SCARLETT R.-STRUDWICK ► Karen Gillan

Il était une fois...
« Hé, Scar ! Arrête de faire ta princesse, c'est bon, on sait que t'as tout dans la vie. » On sentirait presque la jalousie dans sa voix. On la voit, dans leurs yeux qui glissent sur mon teint parfait. Mes cheveux roux qui dégringolent dans mon dos, parfaitement bouclés. Mes lèvres rouges. Les vêtements qui recouvrent mon corps perfectionné au scalpel. Oui, vous avez tout à m'envier. Ou, presque. Tu veux qu'on échange ? Mon passé contre le tien ? Tu peux pas avoir mon présent sans goûter de quelques coups du passé.

Y en a eu des coups, pas beaucoup, j'ai eu de la chance. J'ai plus eu peur qu'été marqué. Mais j'ai vu l'étendue des dégâts sur les peaux d'Alexander, Spencer, et les autres. J'ai toujours admiré le premier pour sa fougue, la seconde pour sa retenue. J'ai surtout vu qu'il n'y avait aucun comportement a adopter pour nous sauver. Que tu l'ouvres ou non, tu finissais par te ramasser un coup de ceinture. Ils étaient déjà là quand je suis arrivée chez les Strudwick, à l'âge de deux ans, alors que mes parents avaient décidé de se prendre un camion en pleine face. Enfin, j'suis pas sûre qu'ils l'aient décidé. Mais c'est arrivé. Et moi je suis arrivée chez les Strudwick quelques jours plus tard. Une famille pour les cas perdus apparemment. Je n'ai pas compris tout de suite, enfant naïf et stupide que je suis. Je sais juste que c'est mes frères et sœurs qui s'occupaient de moi, plus que mes « parents ». J'ai vécu deux ans de tranquillité, ne me mettant à hurler qu'en écho à mes compagnons de galère, quand ils disparaissaient derrière une porte et se mettaient à pleurer. A quatre ans, j'ai compris. J'ai compris que j'étais assez grande pour goûter aux punitions. Ca n'a pas duré longtemps. Juste assez pour me laisser quelques cicatrices, pour me traumatiser en coupant mes longs cheveux roux, et pour me donner l'impression que je méritais tout ceci. Oh, mais je ne me plains pas. J'ai eu de la chance, je n'ai rien vécu comparé à eux. Qu'une version des réprimandes. Grâce à Alexander, qui était devenu ma référence dans la maison. Je l'admirais pour sa fougue, son caractère que je jalousais. Pour les blessures qu'il a parfois eu à ma place. Mon rempart à la folie violente. Je les aimais, tous. Un an après, quand j'avais 5 ans, Alex 8, et Spencer.. boh, vieille quoi, on nous a libéré. Et on s'est quitté. 

En fait non, j'te passe pas mon passé. Je le garde bien au chaud pour moi, et eux aussi, tout au fonds de mon être. 

J'avais 5 ans donc, et j'ai été placé quasi immédiatement. Malgré ma bouille de sauvageonne, j'ai séduis un couple de bourges, les Rowan, qui devaient se dire faire une bonne action. C'est moi, j'suis la BA des riches. Je suis fille unique, j'habite à Manhattan. On m'a bien élevé, essayé de gommer mon habitude de grimacer tout le temps, et les gros mots que m'avait apprit Alex. Essayé, j'ai bien dis. Une bonne petite gentille fille. Personne n'a jamais su ce que j'avais vécu, même dans la famille, l'école, mes nouveaux parents ne voulant pas trop diffuser la honte d'avoir un pauvre petit oisillon dans son nid. Ca l'fait pas de dire que la mignonne colombe est en fait un vilain pigeon qui s'est cassé la gueule plusieurs fois à peine née. Je vais dans les meilleures écoles, on m'apprend à rentrer dans le moule, à paraître plus conne que je ne le suis, car ça rassure les autres, et être jolie. La plus jolie. Quand je suis adolescente, on me refait le nez, et la poitrine. Parce que c'est plus harmonieux comme ça. Et je porte des extensions, aussi. Sinon, j'ai une coupe garçonne, celle que je garde pour me rappeler encore qui je suis dans le miroir. La gamine a qui on a coupé ses boucles pour la punir. J'oublie pas, j'suis toujours révoltée. J'ai juste appris à le cacher. J'ai l'impression que je leur dois ça, aux Rowan. Certes, ils sont exigeants, mais je suis pas sure que d'autres auraient accepté de m'adopter. La preuve qu'ils ne sont pas si mauvais, ils acceptent même que je vois Alex de temps en temps. Nos parents se connaissent, mais évitent les contacts trop fréquents entre nous. Faudrait pas que je perde mes faux ongles à force de le côtoyer. C'est pour lui aussi, qu'ils ne veulent pas que je rentre à Harvard. On nous verrait ensemble, et il faudrait expliquer notre histoire. Cette histoire qu'ils cachent à tout le monde. Je me suis retrouvée à prendre des cours particuliers jusqu'à maintenant, mais à force de persuasion, ils ont accepté à la rentrée dernière mon inscription à Harvard. Pas question de scandale, je vais les rendre vraiment fiers. Puis tant pis s'ils m'ont transformé en un truc que je suis pas, ça me fait un joli déguisement. Je suis une menteuse professionnelle, une manipulatrice de génie, et j'me perds parfois dans mon identité. On s'en fout de qui t'es vraiment, qui y fait attention ?

Et un jour, j'me suis pris une voiture dans la gueule.

Bon, y a eu d'autres trucs entre. Je suis allée à Harvard, j'ai revu Alex, j'ai revu Azrael. J'vous ai pas encore parlé d'elle ? C'était la petite, ma fusion, j'suppose que c'est celle dont j'étais la plus proche, on pourrait dire. Ca, c'était avant que mon frère et elle... bon, vous savez, tout le monde est au courant. J'me suis un peu éloignée d'eux, du coup. J'me suis rapprochée d'autres. J'ai frôlé un espèce de bonheur. Éphémère. En allant la rejoindre, ce bonheur, j'ai vu de beaucoup trop près cette voiture là. J'serais pas foutu de vous donner la marque, juste qu'elle était noir. Ou alors c'était sous mes paupières, que c'est devenu noir. Un noir de jais, pendant quatre mois. Je viens de me réveiller. Vous allez me le dire, que mon bonheur est cauchemar ? Qu'en quatre mois, le monde peut sombrer d'avantage. Quatre mois, c'est suffisant pour ôter tout le rose d'une chambre de petite fille.