ALIX CAMIL RAÏS ► Dylan Rieder

Tu veux que j'te raconte quoi ? L'histoire d'un mec lambda que tu vas t'efforcer d'essayer de comprendre pour satisfaire ton égo insatiable et ta curiosité pourrie ? L'histoire d'ce mec banal qui s'fout aucune pression et qui sans prétention t'affirme en grande pompe qu'il n'a rien à te raconter ? Tu veux me cerner ? M'voir de prés ? Savoir à qui tu parle, quel monstre se cache sous ces traits ? J'pourrais te baratiner comme j'fais avec les filles que j'croise en soirée. J'pourrais t'inventer une histoire parfaite de plein pied et te la faire avaler jusque dans ta gorge. J'pourrais t'raconter n'importe quoi, t'en dirais rien, tu comprendrais pas. La vérité c'est que je m'en branle d'être un mec sympa. Je m'en branle de me taper des barres avec des gens inintéressants, niveau gentillesse et tendresse j'suis carrément aux abonnés absents. Et j'vais pas m'trouver d'excuses. Et venez pas m'faire une psychologie de comptoir, m'dire que si j'suis aussi antisocial c'est lié au fait que j'ai grandis en orphelinat. En somme, si j'vous aime pas, ne jetez pas la faute sur moi, remettez vous en question : vous n'êtes pas des gens bons mais de gros jambons que j'aime bien assaisonner d'mépris et d'insultes aussi. T'en veux toujours ? Aller plus loin ? Tu veux encore la lire l'histoire d'ce mec qui t'parle comme à un chien ? Viens pas dire que t'es pas prévenu, t'auras rien ici qui t'éclairera sur qui j'suis. Tu pourras prendre les raccourcis, essayer de synthétiser, mais moi j'aime pas parler et encore moins révéler mes secrets.

J'suis né sous X dans un hôpital de Londres. J'sais bien que ma génitrice aurait préféré avorter, que mon père aurait préféré n'jamais la croiser, mais c'est très conservateur l'Angleterre, t'as pas le choix quand t'es engrossée : faut mettre bas, puis assumer. Sauf que ma génitrice, elle n'a pas assumé. Ouai, j'suis né sous X comme un sale film porno, j'suis né comme un déchet d'hôpital, comme un truc inutile dont on ne sait pas quoi faire et qu'on s'balance de centre d'accueil en centre d'accueil. J'en ai fait des lits différents, j'en ai traversé des couloirs. C'est toujours la même histoire : à qui criera l'plus fort pour s'faire entendre, et toujours bagarre sur bagarre. On n'est pas tendre entre enfants perdus. On s'efforce de n'pas l'être parce que nous on sait à quel point ce monde est pourri. Il abandonne ses propres enfants, alors ouai, c'est pourri. J'sais pas comment j'ai fait pour m'en sortir en cours, quand j'étais petit, j'imaginais que mon père était astronaute et que c'était à cause de lui que j'savais aussi bien compter. Puis j'ai grandis et j'ai finis par arrêter de compter sur mes rêves et mes fantasmes. J'suis né seul, j'grandis seul, et si j'suis fort en maths c'est parce que le chiffre absolu est le 1. Juste 1, toujours 1. J'te passe les détails que tu dois déjà bien imaginer dans ta tête. Enfant perdu, enfant de la rue, dealer dans des affaires pas très propres, galérer pas mal à l'adolescence. C'était galère l'adolescence, j'en ai bavé. Mais il y avait June pour m'accompagner. Un type encore moins sympa que moi, c'est le gars qui dormait dans le pieux à côté du mien. A cinq ans déjà on nous disait, "on dirait des frères". Et on était frères. On a traversé ce merdier ensemble, tout le reste aussi. On partageait nos sandwichs, nos clopes et nos meufs. On s'imaginait devenir deux gangsters, finir super riche et cracher à la gueule du monde. Puis claque, 17 ans, on est en bagnole, sans permis ni autorisation, un truc volé pour la soirée, mauvais crochet, atterrissage dans le faussé. C'est moi qui conduisait, June était côté passager. J'avais jamais compris l'expression "place du mort", maintenant quand je monde dans une voiture, je sais ce qu'elle veut dire. C'est la place de June. June, c'est le mort. J'en parle avec froideur, ça te fait peur ? Je t'avais dis. Pas d'âme, pas d'empathie. Je m'en branle s'ils disent que je n'ai pas fait le deuil, je m'en branle s'ils pensent que je refoule ma peine. J'ai décroché mon diplôme, ma bourse pour Harvard et j'ai mis les voiles vers Boston. Londres, j'la laisse à June, il peut la hanter. Moi j'fais une croix catégorique sur l'île et j'viens sauter à pieds joints dans la vie d'américain.
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