MAIA CADWALLADER ► sophie cookson

« Ah bonsoir ! Je suis contente de vous voir. Il s'agit de la petite fille là bas. » La traductrice chinoise racontait que les infirmières semblaient dépassées par la situation. Avoir du renfort à ce moment-là n'était pas de refus. Après ce qui était arrivé, il fallait prendre en charge cette gamine également. Les séquelles psychologiques pouvaient être importantes, et la présence des services sociaux n'était pas malvenue au contraire. « Elle s'appelle Maia. Nous avons pris en charge ses grands-parents dont le pronostic vital est engagé. Elle était chez une amie lorsque l'accident s'est produit, c'est le voisin qui a appelé les secours. Elle n'a plus de parents, ils étaient archéologues et sont décédés à bord d’un avion. Elle n'a aucune autre famille connue à priori. Quelle triste histoire... » Elle se passa une main sur le front, balayant le trop plein d'émotivité qui lui prenait. « Très bien. Merci beaucoup, nous allons nous charger d’elle à présent. »

SIX ANS PLUS TARD...

Les capteurs avaient beau parcourir son corps et clignoter sous ses yeux à un rythme irrégulièrement agaçant, rien ne pouvait venir troubler sa concentration. Elle avait passé des heures et des heures devant un écran mais sa capacité de concentration était indéniable. Elle en oubliait presque que ses yeux commençaient à lui piquer de fatigue et que ses doigts s'engourdissaient à force de pianoter différentes touches de commande. Elle avait à peine eu le temps de décrocher ses yeux des écrans pour observer les autres jeunes qui étaient là eux-aussi. Derrière la vitre teintée et insonorisée, les blouses blanches scrutaient les différents écrans avec une attention particulière. Chaque courbe, petit bip, ou chiffres que donnaient les capteurs étaient interprétés, aucun détail n'était laissé de côté. La porte du sas s'ouvrit et laissait place à un homme d'un certain âge qui reflétait une prestance que l'on pouvait facilement qualifier d'imposante aux premiers abords. Le silence avait envahi la pièce à la demie-seconde où il avait passé le seuil de la porte. Il consulta certaines personnes suivi de son assistant puis s'avança au devant de la vitre teintée, observant les quinze jeunes adolescents qui étaient alignés dans la petite salle. Un écran attira particulièrement son attention, il s'arrêta devant. « Identité ? » demanda-t-il après quelques secondes de réflexion. Son assistant feuilleta un dossier contenant toutes les informations importantes sur le sujet en question. « Maia Edelstein, monsieur. » Le regard du colonel s'assombrit un instant. On aurait dit qu'il avait vu un fantôme. « Edelstein ? La fille de ... » « Gabrielle et Henry, oui. »  Le vieil homme se gratta doucement le menton, comme pour mieux réfléchir. Il ne quitta pas la fillette des yeux. « Quand est-elle arrivée ? » « Décembre 1999. Ses grands-parents l'ont élevé à Taïwan mais ils sont décédés il y a quatre ans. Comme convenu, l'enfant a été rapatrié sur le sol américain selon le protocole. » Comme s'il l'avait demandé, l'assistant poursuivit la consultation du dossier du garçon afin d'en  établir un résumé. « Elle a passé la première épreuve en quatre mouvements, terminé la seconde en moins de 22.34 secondes. En revanche, elle n'a validé la dernière qu'à 97,63 %. L'émotivité, comme toujours. Telle mère, telle fille. » Hochant doucement la tête, le colonel se redressa d'un air solennel. « Vous savez ce qu'il vous reste à faire. Transférez-la à Washington, je la veux dans le Programme. » « Gabrielle et Henry n'auraient pas voulu voir leur fille mêlée à tout ça... » « Nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté de bons éléments et vous le savez. Nous ne déciderons rien tant qu’elle n’aura pas atteint la majorité. En attendant, elle suivra le Programme. Transférez-la demain dans les plus brefs délais. » L'assistant baissa la tête, comprenant bien qu'il ne pourrait pas tenir face aux directives du colonel. Voyant l'hésitation, ce dernier trancha dans le silence « C'est un ordre. »


Ces gens-là ne se laissaient pas méprendre. Ils ne perdaient pas leur objectif de vue. Jamais. Ce jour était un jour spécial. C’était l’anniversaire de Maia. Elle soufflait ses dix-huit bougies. Autrement dit, elle était majeure. Majeure, et avec un dossier du Centre en béton armé : majorante dans la plupart des disciplines et épreuves réalisées auprès de ces jeunes recrues du Centre. Oui. C’est pour ça qu’au lieu d’être avec les autres pour profiter de la petite fête organisée en son honneur, qu’elle était dans le bureau du Colonel. À parler d’elle, de son avenir, de son passé… D’enfin apprendre ce pour quoi ses parents ont perdus la vie, la mission dans laquelle ils s’étaient engagés. Le fait que les malfrats qu’ils devaient infiltrés ont non seulement démasqué le pot au rose, mais ont réussi à retrouver et s’en prendre à leur famille jusqu’à Taïwan. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Elle secouait frénétiquement la tête, la tristesse, la colère, la rage qui s’emparaient de son corps. Le vieil homme pouvait lire la soif de vengeance dont faisait preuve la jeune femme. Aussi, il leva une main pour demander à Maia de se calmer, ce qui avait le don de l’agacer davantage. Elle voulait être recrutée dans l’immédiat, mais c’est sans compter sur le vieillard et son règlement. « Il vous faudra être patiente. Il y a un bon nombre de critères à remplir pour être intégré à cette brigade. Notamment l’âge requis de vingt-cinq, et le fait d’obtenir au minimum le Bachelier, et d’avoir un minimum d’expérience dans la vie active. » « Mais je ne peux pas att... » D’un signe de la main, il la stoppe net dans son argumentation. Faut dire qu'il avait beau ne plus tenir sur ses pattes, il imposait tout de même le respect. Maia soupira et s’avachit sur sa chaise, lorsqu’une idée. « Et si j’obtiens mon diplôme en dehors du système scolaire du Centre ? Je pourrai trouver un travail à côté de mes études, et je remplirai tous les critères à mes 25 ans révolus. » Elle était obstinée quand elle s’y mettait. Mais ce n’était pas un défaut dans son cas actuellement. « Ce peut être une option. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de vous laisser autant de temps en dehors du Centre. Vous n’êtes pas prête. » Elle pouvait sentir son sang bouillir dans ses veines. Pas prête ? Elle ? La major de sa promotion. « À quelle université pensiez-vous ? »


« Mademoiselle ? » « Euh… Je... » Sincèrement, elle était paumée. Dans la file d’attente, les gens commençaient à perdre patience. Et plus ils grinçaient des dents, et plus elle était perdue. Commander un café, c’est quelque chose de simple. De banal même, lorsque vous avez l’habitude de le faire. Lorsque vous voyez vos parents, vos amis, les inconnus le  faire tous les jours. Pour Maia, ce n’est pas le cas. Elle s’est jetée dans la fosse au lion en s’affrontant au quotidien des gens “normaux” et elle ne savait pas dans quoi elle s’embarquait. Elle devrait se contenter de dire un café, s’il vous plait mais qui lui aurait dit qu’il y avait une liste entière de cafés différents… « Tu me fais de la peine. On dirait que tu n’as jamais commander un café de ta vie... » Ce type qui maugréa derrière elle. La jeune femme ne prit aucunement la peine de se retourner. Elle n’avait pas à le faire puisque le jeune homme prit les devants en la dépassant, laissant Maia avec son air défait, totalement absente. « T’as une tête à aimer le mocha... Un mocha et un double expresso, s’il vous plait. » … mais reconnaissante quant à l’intervention de cet inconnu pour la tirer d’affaire, sans vraiment qu’il ne se rende compte à quel point. Le vendeur soupire, ravi de pouvoir enfin poursuivre ses affaires. « Merci ! Pour le... » Comment il appelait ça ? … Mocha ? « Ah mais non seulement tu parles, mais tu parles anglais ! J’croyais que j’avais à faire à une touriste paumée de la vie, ou pire... » Un mince sourire vint briser la ligne parfaite de ses lèvres, tandis qu’il s’avance pour suivre la file du comptoir et Maia de copier scrupuleusement son mouvement. « Je.. J’étais simplement un peu perdue dans toutes ces boissons qu’ils proposent. C’est dingue qu’il y en ait autant. Là d’où je viens, il n’y en a qu’un choix, voir deux et c’était très bon aussi ! » « Ah mais là ce n’est pas du tout la même chose crois-moi ! Tu ne les regretteras même pas tes vieux cafés du distributeur. » Les sourcils légèrement froncés, elle le défie quelque peu, pas certaine qu’il marque un point sur ce coup-ci. Leurs boissons fin prêtes, ils récupéraient chacun leur gobelet et alors que le jeune homme lui fit un rapide signe de la main pour la saluer, elle s’empresse de fouiller son sac pour mettre la main sur son porte-feuille. « Pas besoin. Je t’offre ton premier vrai café ! » Et il fit volte face pour pousser les portes de l’enseigne. Maia le regarda partir avant de s’en retourner auprès de son collègue, qui l’attendait patiemment à une table. « Alors toi ma vieille, tu vas faire cramer ta couverture en moins de deux… Et puis c’était qui ce type ? » Elle hausse les épaules, sans prendre en compte la pique envoyée, parce que sur le coup, il n’avait pas tort. Elle ne savait absolument pas ce qu’elle faisait, mais maintenant, c’était chose faite. « C’est bon ça les Mocha ? » demande-t-elle avant de humer la boisson et de la porter à ses lèvres. « Bon, on la continue cette visite du campus ou bien ? »