Anahée Leroy ► Nicole Anderson

 
  Je suis née le 26 octobre 1997, 3 ans et demi après mon frère Maxence. Mes parents, Patricia et Yves Leroy, ont été très contents en voyant qu'ils avaient maintenant une fille. Je ne dirais pas qu'ils étaient comblés de joie parce qu'il n'y a pas grand-chose qui les rende vraiment heureux à vrai dire, mais ils étaient satisfaits.
J'ai été élevée au sein d'une famille qui n'était pas très affectueuse : mes parents ne me faisaient jamais de câlins, étaient absents toute la journée, ne s'intéressaient à mes études que pour savoir si j'avais eu de mauvaises notes ; excellence, réussite et débrouillardise étaient les mots d'ordre. Les moments où nous étions tous réunis, mes parents, mon frère et moi, et partagions quelque chose se résumaient à un repas le soir, puis à une récitation des leçons avant qu'on doive aller se coucher -nos parents ne nous mettaient pas au lit, c'était la nourrice qui s'en chargeait. On pourrait se dire que j'avais au moins Maxence pour me tenir compagnie quand nous étions chez nous mais je ne me suis jamais entendue avec lui, déjà parce que je crois qu'il n'avait jamais voulu de sœur, et ensuite parce que nos caractères étaient opposés. Il était comme mes parents, froid, distant, liant l'affectif à l'utile -par là j'entends qu'il fallait être sûre que la personne apporte quelque chose avant de prendre le risque de s'attacher (un peu). Je me rappelle qu'il me pinçait et me tirait les cheveux tout le temps quand j'étais petite et avec le temps j'ai eu le droit aux regards de haut et aux remarques blessantes. En grandissant, j'ai très vite compris que mon frère était le préféré de mes parents et même de la famille entière. Aux dîners de famille, incroyablement longs et douloureux pour moi, Maxence charmait par son sourire, ses remarques bien placés, son aisance dans ce monde qui était devenu le sien. Je me contentais d'attendre que le moment passe en embarrassant le moins possible ceux qui m'avaient mis au monde, comme ils me le demandaient. Cela revenait à ne pas parler de ce que j'aimais ni de ce que je voulais faire mais à vanter les vertus de l'éducation de mes parents, de sourire faussement et poliment aux remarques de mes oncles et tantes. Aux yeux de ma famille, je n'étais rien, pas celle qui allait reprendre l'entreprise familiale ou même qui en avait envie, c'était à peine si j'avais une personnalité et en y réfléchissant, je comprends qu'ils aient pu penser ça, je n'ai jamais été très expressive avec eux. Et même si je l'avais été, je ne suis pas une personne très intéressante ou originale de toute manière.

Concernant mon éducation, j'ai eu la chance de naître dans une famille aisée et exigeante. Mon frère et moi avons été dans les meilleures écoles privées possibles, nous avons eu le droit de prendre des cours particuliers et de nous inscrire dans des clubs -mais pas n'importe lesquels. Quand j'ai voulu faire de la danse, mes parents ont soupiré et je me suis retrouvée contre mon gré à faire de la piscine. À mes 11 ans, alors que j'aurais voulu continuer la piscine mes parents m'ont inscrite au judo ; j'ai tenu quatre séances avant que l'entraîneur n'explique à mes parents que c'était sans espoir parce que je refusais de me battre (d'un je n'aimais pas et de deux je ne voulais blesser personne). Je me suis retrouvée à faire de l'athlétisme, ce qui me convenait mieux.
Scolairement, j'ai toujours été irréprochable. Presque. Mes parents auraient apprécié que je fasse un bac scientifique ou économique mais dommage pour eux je voulais aller en littéraire. Pour la première fois de ma vie, en seconde, je me suis efforcée à avoir de moins bonnes notes que ce que j'aurais pu avoir lors des contrôles qui auraient signalé quand j'avais les capacités de faire ce qu'ils voulaient. J'ai arrêté quand mon père m'a fait comprendre, le visage fermé, le regard furieux qu'il voyait clair dans mon jeu et que je n'avais qu'à aller en littéraire mais qu'il fallait que j'arrête d'être médiocre. C'est la seule fois où j'ai réussi à tenir tête à mes parents et je m'en sens toujours coupable et honteuse.
J'ai décidé de venir étudier à Harvard quand ma professeur d'anglais me l'a suggéré. Passée la première appréhension de devoir déménager seule dans un pays étranger, cela m'est apparu comme la bonne chose à faire. D'un, j'améliorerai mon anglais, de deux je recevrai une formation dans l'une des plus prestigieuses académies du monde et de trois je m'éloignerai de mon frère et de mes parents. Dès le début, je savais qu'ils seraient d'accord : ils avaient l'opportunité de me voir partir et en plus cela était parfaitement en accord avec l'éducation d'excellence et de réussite qu'ils m'avaient toujours inculqué.
Mon frère est toujours resté en France et étudie à la Sorbonne. La seule raison pour laquelle il n'est pas venu à Harvard est qu'il peut plus facilement commencer à prendre contrôle de l'entreprise de nos parents de là-bas.

  Si on met de côté de ma famille, je n'ai jamais eu de mal à me lier avec les gens. J'adore les écouter, apprendre des tas de choses sur eux, j'aime bien leur parler, échanger. Petite, je m'étais liée avec Camille, la cuisinière qui était aussi nourrice, une femme douce, souriante qui me faisait beaucoup rire. Mes parents l'ont renvoyée sans même que j'aie pu lui dire au revoir. Au début, je n'ai pas su pourquoi ils avaient pris cette décision puis mon frère m'a dit un jour, tout sourire, qu'il avait dénoncé Camille en disant à nos parents que nous étions proches, qu'elle me faisait des câlins et me filaient des gâteaux en douce. Après ça j'ai évité de trop sympathiser avec les employés de mes parents.
J'ai toujours eu un caractère plutôt facile et me suis facilement liée avec d'autres personnes en dehors de chez moi. J'aime beaucoup m'amuser, flirter un peu mais je n'ai encore jamais eu de relation vraiment sérieuse dû au fait que même si je partage quelque chose d'intense avec quelqu'un, j'ai toujours une certaine incapacité à m'ouvrir totalement aux autres. J'ai appris à cacher mes sentiments et ça ne veut pas partir. Quand je ressens ce que j'appelle « trop », je me réfugie dans le dessin ou la peinture pour m'aider à extérioriser parce que je n'arrive et ne veux pas en parler.
Pour finir, je suis devenue végétarienne en arrivant aux États-Unis et j'essaye de participer à tout ce qui se rapproche de près ou de loin à des évènements pour  protéger les êtres humains, les animaux et la nature.
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