RUBEN TAYLOR ► Jay Read

   
   Le bruit des aiguilles est assourdissant. Les dix premières minutes d'une nouvelle scéance son toujours les plus dures, mais une fois passés, le corps accepte la finalement la douleur. Yann active son magnum de cinquante aiguilles sur le crane de Ruben. Il est serein, il connait cette sensation désagréablement-agréable.
Il avait alors 12 ans lors de son premier tatouage. Une aiguille de couture, un stylo cassé en deux et un briquet pour stériliser le tout. Fier, il avait alors montré l'initiale du prénom de sa mère gravé sur son avant bras, mais la principale intéressée l'avait purement et simplement giflé. Il faut dire que ce n'était pas simple de travailler à l'usine et d'élever seule trois enfant en bas-âge. Avec du recul, Ruben ne la blamait pas, elle faisait de son mieux.  
Plus agé, Ruben se passionnait pour le dessin. C'était son exutoire dans son quotidien de petit banlieusard Londonien. A force de travail, il avait acquit un assez bon niveau. Son professeur d'art avait d'ailleurs vivement recommandé de l'inscrire aux Beaux Arts pour continuer sa scolarité.
Il ne finira jamais ce cursus. Trop de libertés. Trop de mauvais fréquentations.
La rencontre avec le tatouage se fit vers ses 17 ans. Il alors dessinait pour des amis, des connaissances. Un logo ? Pas de soucis, Ruben est la. De boulots en boulots, il rencontrera finalement un vieux briscard du tattoo. C'est avec lui qu'il fit ses premières armes. Il passait plus d'une année à travailler sa technique, le vieux était intransigeant avec lui et ne laissait rien passer. Puis vient l'époque de la peau de cochon. Des ronds et des lignes droites parfaites. L’exercice ultime. C'est également lui qui ouvrait, nettoyait, accueillait les clients puis fermait la boutique.
Un soir d'hiver, alors les rideaux de la boutiques étaient fermés, il se tatouait lui même sous le regard de son mentor. Il tremblait d'excitation. Il tremblait sous le regard du vieux. Finalement, ce n'était pas si mauvais pour un débutant.
Il gravissait maintenant lentement les échelons. ll préparait les dessins pour les clients. Tatouait le matin quand la boutique était fermé. Il passait la majorité de son temps scotché sur son carnet.
C'était sans compté sur cette petite rousse qui passait la porte du magasin, un beau jour de juillet. Le coup de coeur direct. Il n'y avait plus qu'elle. Un premier rendez-vous pour un tatouage, puis un premier rendez-vous au restaurant. Une première nuit d'amour puis une première semaine passé ensemble. Ruben était accro à cette fille. Aveuglément accro. Trop amoureux pour se rendre compte que Marta se servait de lui. Trop bon, trop con. Les soirées, les nuits d'ivresses, de défonce. Puis très vite les sauts d'humeurs, le retard au travail puis l’absence. Il avait perdu son travail, ses amis et sa famille.
Le réveil, la seringue encore dans le bras. L'appartement est vide. Plus de télé, plus d'ordi, plus de cash, plus rien... et bien sur Plus de Marta. C'est le déclic. La claque.
Ruben enchaine les petits boulots, le travail est devenu sa religion. Homme de ménage le jour, livreur de pizza le soir, tatoueur la nuit. Il reste clean et sobre. Une renaissance. Puis il s'installe comme tatoueur, ouvre sa boutique. La clientèle revient rapidement dû au mouvement de mode que connait le tatouage ces temps-ci. Il embauche, délègue. Lance sa propre marque de vêtements. Le tatoueur fait maintenant place au business-man. Son look interpelle, surprends... C'est bon pour les affaires.  
Et puis vient l'envie de tout plaquer, de changer, de voyager, de découvrir le monde. L'aiguille s'arrête finalement, il ouvre les yeux. C'est fini. C'était la dernière scéance. Son crane est désormais quasiment noir, il prends le temps de s'admirer dans le miroir. Exactement comme il l'avait souhaité.