ZHADIG K. RHODES ► Nate Buzolic

   
   La petite blondinette qui se colle à moi pour me faire le câlin quotidien avant d’aller se coucher dans son lit, c’est Zorah. Elle a six ans, comme moi, et me ressemble comme deux gouttes d’eau, mais en fille. C’est normal, c’est ma jumelle. Le bébé qui pleure en bas au milieu de son biberon parce notre mère veut lui faire faire un rot alors que lui veut finir de manger, c’est Zachary, il a tout peine trois semaines. Et la deuxième petite blonde de la famille qu’on n’entend pas parce qu’elle dort déjà du haut de ses trois ans c’est Zoélie. Dans la famille, nous sommes quatre enfants et nos parents sont de riches avocats, fous amoureux aussi bien officiellement qu’officieusement. Notre vie c’est la vie d’une riche petite famille qui s’aime et qui vit tranquillement, en essayant de se préserver des feux des projecteurs et des critiques blessantes de la presse. Parce que quand on a des parents avocats, oui il y a de nombreuses personnes qui nous en veulent rien que du fait qu’on ait le même nom. Enfin bref, mes parents ont toujours fait beaucoup pour nous depuis notre naissance, surtout ma mère et je les remercie de me donner si jeune les vraies valeurs de la famille. Bon après je dois avouer que je les aurais aussi remercié s’il m’avait fait tout seul avec Zorah parce que les petits sont parfois casse pieds à pleurer et bientôt je devrai partager mes jouets avec eux. Ca c’est moins drôle.

  Zorah rentre du lycée, elle est rouge écarlate et je la vois foncer sur moi. Cela n’annonce rien de bon. En effet je ne l’aurai jamais cru capable de le faire, mais je prendre une belle gifle, comme ça, d’un coup, gratuitement. Puis elle se met à crier et je suis incapable de l’arrêter. Je dois aussi avouer que je suis plus concentré à faire circuler à nouveau le sang dans ma joue rougie par sa main, que l’écouter me dire à quel point je suis un connard d’avoir largué sa meilleure amie. Ses copines, je les aime bien, mais pas trop longtemps en fait, et ça, elle ne le supporte pas. Elle préfèrerait que je m’en tape moins mais que je reste plus longtemps avec elles, parce qu’au moins elles seraient jalouses les unes des autres mais pas blessées… Les filles… Heureusement que j’ai une jumelle sinon je crois que je ne les comprendrai jamais. Enfin c’est ça aussi d’être plutôt beau gosse et populaire, on a trop de choix, un choix qui se renouvelle trop souvent alors même si on est bien quelque part, la tentation d’aller voir ailleurs est trop grande. Bref, on s’adore quand même, mais on est comme chien et chat et pour ça on ne se refera pas.

  Je soupire une nouvelle fois, ils me saoulent tous. Je n’ai pas la tête à la fête et pourtant je suis là. Parce qu’ils ont insisté bien sûr. Un cancer foudroyant. Voilà ce qui s’abat sur ma famille. D’après les médecins il ne reste plus très longtemps à ma mère. C’est un drame pour moi surtout quand on sait à quel point les rapports avec mon père se sont dégradés. En effet, quand il a été question d’entrer à l’université, j’ai refusé de faire droit, alors le ton est un petit peu monté et tout ce qu’on s’est balancé en pleine figure n’a pas forcément été digéré. En plus, Zorah a suivi la voie toute dessinée pour elle mais ce n’est pas pour cela que ça l’a calmé. Bref, nos rapports sont tendus et savoir que c’est ma mère qui va bientôt partir, celle qui permet de garder l’unité de notre famille, ça me fait beaucoup de peine. Alors je suis en soirée, je suis là, sans être là, mais j’aurais surement dû faire comme Zorah, rester chez nous, ou aller à la maison avec Zachary et Zoélie. Mais à quoi bon broyer du noir, ça ne combattra pas quelque chose où il n’y a plus d’espoir malheureusement.

 Je suis de garde. Tout est calme. Je passe un peu de temps avec ma mère qui a été hospitalisée d’urgence en début de semaine. Je suis en cinquième année de médecine et j’adore ça. Ma spécialité, il va bien falloir que je la choisisse mais pour le moment je ne sais pas vraiment, j’hésite encore entre la cardiologie, la neurologie et la chirurgie esthétique. Oui enfin ce dernier choix est surement dicté par mon amour des belles femmes… Mais c’est quand même tellement mieux quand c’est la nature plutôt que le bistouri qui les a rendu belles ! Bref… Pour le moment ma spécialité est le cadet de mes soucis, ma mère est hospitalisée car elle était trop faible pour rester à la maison et voilà deux jours qu’elle a été mise dans le coma pour qu’elle souffre moins. Je suis là, je la regarde, je prends sa main et même si je ne suis pas croyant je prie pour qu’elle guérisse, qu’on nous la laisse, les meilleurs partent toujours trop tôt. Avec la fatigue, mes yeux se ferment tout seul. Je me réveille dans un sursaut en sentant sa main se serrer sur la mienne avant de se relâcher puis toutes les machines bipper. J’hurle, j’essaye d’appeler les médecins, de lui faire le massage cardiaque avant qu’ils arrivent mais rien n’y fait. Le 15 août 2014 elle s’en va.

  Le coma, il est passé de ma mère à moi. Voilà six mois que je ne refais pas surface. Après le décès de ma mère j’ai pris ma voiture, la rage m’aveuglant je n’aurais jamais du conduire. A un feu rouge où je suis passé tout droit, un chauffard ivre m’est rentré dedans. Je suis passé au rouge, il avait un taux d’alcoolémie impressionnant… Alors les torts étaient presque équilibrés mais lui était plus en infraction que moi. Et puis lui, j’ai entendu les médecins le dire bon nombre de fois, on ne sait pas comment il a fait pour en sortir indemne alors que moi le résultat n’était pas beau. Nombreuses fractures, rate éclatée, poumon perforé, on peut dire qu’en ce moment même où je suis en train de me réveiller je reviens de loin. Les fractures de mon bassin et de mes jambes ont eu le temps de résorber mais je suis une vraie loque. Plus aucun de mes membres ne répond à cause de la perte de muscle, c’est une catastrophe, j’ai l’impression d’être un esprit dans un corps mort, un corps mort qui répond au ralenti.

 La vie sans maman c’est comment ? Triste. Avec mes frères et sœurs c’est le bonheur, mais avec le patriarche de la famille ce n’est jamais beau et rose. Il se noie dans le boulot, refuse d’aller dans le même sens que ses enfants la plupart du temps, trouve toujours quelques chose à critiquer et ne trouve pas un acte qui pourrait attiser sa fierté. En plus de ça ? Il m’en veut d’avoir plongé sa famille dans une plus grande tristesse en rajoutant mon accident au décès de ma mère. Sauf qu’il ne comprend pas que je m’en veux déjà bien assez et qu’en plus de tout cela j’ai loupé le moment pour lui dire un dernier adieu. Quel boulet, si je dois devenir un père comme lui, je préfère ne jamais devenir père.

 Je suis assis sur ma chaise et je crois que je suis incapable de m’en lever après l’annonce qui vient d’être faite. On ne vient pas de me dire que j’allais devoir apprivoiser petit à petit une nouvelle famille, on ne vient pas de me dire qu’après deux années de deuil mon père s’autorise à aimer une nouvelle fois, non non, on ne vient pas de m’annoncer ça… Si on est tous réunis autour de la table aujourd’hui c’est pour la simple et bonne raison que mon père vient de nous annoncer qu’il va se marier. Il parle d’un coup de foudre, que tout est allé très vite et tout… Mais je ne suis pas duppe… On ne me prend pas pour un fou, surtout en sachant que je trouvais qu’il se remettait un peu trop vite de la mort de notre mère… Enfin ce ne sont peut être que de fausses idées que j’ai dans la tête mais les faits sont là : une nouvelle femme va venir habiter dans la maison où j’ai grandit avec ma mère et je déteste cette idée encore plus que je ne la déteste déjà elle alors que je ne la connais même pas.