CAMELIA ABDERRAFI ► madison beer

Tu connaissais d’avance leur position, leur retranchement. Tu savais qu’elle allait être leur réponse et pourtant, tu demandais « Kids of Dubaï m’a appelé hier pour participer à la prochaine saison » tu lançais la bombe sans la moindre hésitation. Tu faisais tourner la pomme entre tes mains que tu fixais sans aucun regard pour ta mère voilée, ton père lisant le journal. Tu savais la réaction de ton père, ta mère cherchant dans son mari une réponse à dévoiler. « Ils nous ont appelé avant » évidemment. Ici les choses se faisaient hiérarchiquement. Une jeune fille ne pouvait décidée par elle-même d’évènements si importants dans sa vie. Tu levais la tête, surprise par le manque de sévérité de ton père. Il continuait la lecture de son journal comme si de rien était. Tu étais perdue. « Amina m’a dit que ses parents avaient accepté qu’elle intègre l’aventure » tu lâchais de nouveau, cherchant le regard de celui dont tu attendais l’accord. Tu avais envie de vivre cette expérience que toutes les filles de riche vivaient, cette expérience qui allait un instant te propulser jusqu’à la gloire la plus totale. « Nous le savons aussi » riposte-t-il de nouveau. L’homme qui savait tout, l’homme qui avait une emprise certaine sur la ville. Tu fronçais les sourcils, ne disant plus rien. Et s’il le savait, qu’attendait-il ?

« C’est quoi ça Camélia ? C’est quoi cette injure à ta propre famille ? » tu n’osais regarder ton père plus énervé que jamais. Dans tous les magazines il voyait des nudes de sa famille, proche d’un garçon occidental. Ce garçon qui faisait déjà du bruit dans sa propre famille, qui était loin d’être le gendre idéal. Ce garçon que tu avais rencontré à une boîte de nuit, avec qui tu n’avais pourtant pas sauté le pas. Toi, préservant ce qui faisait ta féminité orientale à ton futur mari comme tes parents te l’avaient imposé. Toi qui n’avait seulement fait qu’envoyer des photos à ce garçon qui était à l’autre bout du globe. Tu détestais soudainement cet homme en qui tu avais eu confiance, tu le détestais d’avoir pu laisser de tels clichés circuler. Tu n’osais répondre à ton père qui t’avait déjà tant donné. Tu n’osais répondre à celui qui avait tenté de te léguer l’éducation la plus parfaite qui pouvait. Il t’avait laissé partir dans cette aventure luxueuse qu’était la télé-réalité. Au moment où cet homme si dur, si conservateur, avait lâché du mou, voilà que tu lui coupais le bras. Tu voyais dans ses yeux un regard mouillé. Il avait, sûrement pour la première fois, pleuré. Pleuré de dégoût, de frustration, de colère. Une trahison émanant de sa propre fille.

Il entrait dans ta chambre sans même te demander la permission. Il ne te demandait plus rien à l’heure actuelle. Tu étais complètement soumise au moindre de ses désirs si tu souhaitais quelconque pardon de sa part. Tu le savais, tu tentais alors de paraître cette fille parfaite que tu avais tant été pour lui. Mais si seulement il savait que tu continuais à insulter ton éducation dans son dos, s’il connaissait le nouvel homme avec qui tu avais dansé l’autre soir. « Nous avons pris une décision avec ta mère. » Il t’observait, alors que tu avais le visage dans tes bouquins de biologie. Tu ne levais la tête, peu intéressée par ses paroles. « Tu vas rejoindre ton frère à Harvard » mais soudainement il avait piqué ta curiosité. Pour toi, cela semblait tellement impossible. Tu fronçais les sourcils, non ce n’était pas possible. Les larmes te montaient aux yeux. Tu poussais soudainement à tes amies que tu abandonnerais si tu partais d’ici. Tu pensais à Amina qui voulait se lancer dans une nouvelle télé-réalité avec toi, tu pensais à Sana qui n’allait pas bien en ce moment, qui avait besoin de ton soutien. Tu pensais à toutes ses filles qui faisaient parties de toi, qui avaient une place essentielle dans ton cœur et que tu devrais abandonner si tu suivais les paroles de ton père. « Mais je suis bien ici, je n’ai fait aucune erreur. Les États-Unis sont le diable, tu ne peux m’envoyer là-bas » tu ne comprenais pas la décision de tes parents, tu ne voulais pas entendre d’explication. N’importe laquelle te semblerait incompréhensible de toute évidence. « Nous ne te demandons pas ton avis, nous avons déjà appelé l’Université, ton dossier est en train d’être monté ».

Le corps étendu sur le lit, tu observais le plafond, les larmes qui te coulaient une nouvelle fois sur les joues. Déjà une semaine et tu n’arrivais à te faire de l’absence de tes amis, du manque de repères que tu avais ici. « Tu vas t’habituer Cammie » que te lançait ton frère tendit qu’il te préparait un chocolat chaud. Il était ce garçon idéal, ce gendre dont toutes les mères souhaiterait. Il était cet homme attentionné et ambitieux que rien arrêtait. Tu te demandais parfois s’il était vraiment ton frère tant vous étiez différents. « Tu te rends pas compte à quel point ils ont été cruels, je m’en fous d’être ici moi » tu criais presque, à la limite de faire sursauter les colocataires de ton frère qui ne devaient certainement pas comprendre un seul mot d’arabe. « Cammie c’est quand que tu arrêtes de te plaindre ? Père a bien fait de sanctionner un tel comportement qui n’est pas celui d’une Abderrafi. Et encore, c’est une chance pour toi d’être dans une telle université. Essaye de te rendre compte que ce n’est pas une sanction. S’il te plaît » le frère, l’entremetteur qui avait toujours les bons mots. Tu soufflais, tu ne trouvais rien pour le contre-carrer. Il était là, tu avais son soutien, et c’était tout ce que tu attendais de lui. Et de son chocolat chaud. Tu étouffais déjà dans cette université que tu allais pourtant tenter de t’approprier, tenter d’en faire ta cour.