TERENCE A. DOYLE ► Finn Jones

Ce fut là le tout dernier mot qu’il put entendre avant de plonger dans les abysses de l’inconscience. Il était encore là pourtant. Mais les paroles suivantes ne s’étaient transformées qu’en simples murmures : de petits sons qui allaient et venaient à des degrés différents. Des cris, des chuchotements. Tout se mélangeait comme une palette de peinture pour les impressionnistes. Plus rien ne se distinguait correctement et pourtant il savait ce que cela représentait : l’alcool ne lui avait pas réussi encore une fois. Un long courant d’air passait à travers son torse visiblement humide, et une forte odeur de muscle et de bière vint perturber ses sens, comme s’il avait passé la nuit dans un vestiaire de footballers irlandais. Pire encore : il n’aimait pas le football. Encore moins la fierté des irlandais. Ce qui n’était pas étonnant de la part d’un gallois de pure souche. Un idiot. Néanmoins, il aurait pu également être Russe si l’URSS ne s’était effondrée ainsi en 1989.

Un retour en arrière s’impose n’est-ce pas ? Certainement.

Né d’un aviateur américain naturalisé gallois et d’une ancienne espionne russe sous la coupe des américains, on pouvait déjà promettre à Terence une enfance très différente d’un anglais basique. Une existence à cent à l’heure, pour être exact. Le père, Bernard Doyle, était d’origine galloise mais avait passé toute son enfance, son adolescence et son début de vie adulte en Amérique. Ainsi, a-t-il décidé, à la chute de l’URSS, de revenir sur les pas de ses ancêtres et récupérer la propriété de ses grands-parents à Derby : Aristocrates issus de la plus vieille noblesse anglaise. Pour l’héritage, Bernard pouvait facilement se reposer sur ses lauriers. La mère, Hannah Berlinsky, quant à elle, provenait d’une longue lignée de couturiers dont les ancêtres travaillaient sur les nouvelles tenues de la famille royale du dernier Tsar. Cependant, féministe engagée et concernée par les conflits politiques des deux blocs, elle s’est tournée vers les américains sous la dépendance des Russes. Une maman pas comme les autres. Une fois les désastres de la guerre froide terminées, la future mère s’est mise en tête de rejoindre son amour de guerre, ce qui s’est fait étonnement vite vu que les autorités russes avaient découvert qui était la taupe du gouvernement. Elle s’est enfuie de Russie sous la sécurité américaine et s’est substituée d’un autre nom afin qu’elle n’ait plus d’espions Russes sur le dos, bien qu’elle eut toujours des contacts réels avec sa famille - dont son frère qui vivait à présent à Seattle -.

C’est ainsi que trois ans plus tard, Terence Alwyn Doyle naquit. Pour le meilleur comme pour le pire.

Pourquoi Alwyn ? Parce qu’Alwyn c’est gallois. Parce qu’Alwyn c’était le prénom de son grand-père. Parce que son propre père avait définitivement décidé de lui pourrir une partie de son existence. Voire même littéralement. Il s’agissait pourtant d’un joli nom. Mais pas aux yeux du jeune Terence qui n’était alors âgé que de cinq ans. A cet âge-là, il partait déjà du principe que tout ce qui provenait du Pays de Galles était à se taper la tête contre un mur. Il était d’ailleurs très doué pour ça. Un vrai râleur qui n’avait même encore appris à lire. Mais un râleur qui allait vite se démarquer par d’autres talents bien plus honorables. Très sociable et charismatique, il attira jour après jour des gamins autour de lui. Tout le monde aimait Terence : à la cour de récré, dans la salle de cours, à travers le gymnase, durant les sorties scolaires, et tout le reste. Il faisait le mariole, ne manquait pas d’entrain et cela plaisait à tout le monde. Même à ses professeurs. Quant à ses parents… c’était un sujet encore délicat. Deux descendants de deux grandes familles opulentes qui avaient décidé de faire vivre leur fils dans un milieu plus ou moins modeste : Ils avaient encore du mal à s’habituer à une vie si simple. Et l’adaptation si rapide de Terence dans ce milieu les déstabilisait davantage.
Qu’allait donc devenir ce blondinet farouche ? C’était la grande question qui se posait. Et la seule étrangement.

L’un des « talents honorables » de Terence s’était révélé quelques petites années plus tard : Un génie indiscutable pour les mathématiques. Le jeune garçon devançait déjà l’ensemble de sa classe sur ce domaine et s’en vantait. Enormément. Mais ça, ce fut une partie de son caractère qu’il avait hérité de son borné de père qui lui provenait bien évidemment d’une famille de vantards compulsifs. Bien joué papa. Heureusement, il n’avait pas tout hérité et pouvait continuer de se faire aimer par 80% des élèves de son école. Et lorsque son imagination débordante rencontrait ce génie si particulier, ça donnait des centaines de croquis qui trônaient sur son plan de travail. Le royaume de Stormageddon, comme il les appelait. Des bâtiments d’une structuration quasi-parfaite, accompagnés de formules mathématiques qui s’emboitaient correctement. Un génie en mathématiques ? Bon dieu, c’était bien plus que ça.

C’était une révélation. Une clé qui permettait à Terence de voir son avenir plus clairement. Avec des danseuses Tahitiennes et des anges qui virevoltaient à travers un ciel sans nuage.

Terence fit beaucoup d’activités durant son enfance, encore plus lors de son adolescence. Enfin un domaine où ses parents se réjouissaient volontiers, notamment ce club d’histoire moderne qu’il avait intégré. Et c’est bien ce club-ci que Terence supportait le moins ; néanmoins, il fit l’effort d’y rester pour le bonheur de ses parents bien qu’il eut séché quelques séances pour suivre des cours de théâtre supplémentaires. Ce n’était pas ce qu’il aimait le plus, mais il appréciait cette douce sensation de se trouver dans une maison de fous, à contrario de la vie que ses parents lui faisaient subir : Carrée et stricte. Terence, lui, avait besoin de ce grand bazar spirituel qui se déversait un peu plus dans son esprit. Il avait tout simplement besoin d’être libre. Voilà pourquoi le théâtre était parfois son exutoire. Mais ce n’était en aucun cas la voie qu’il allait suivre. Non. Terence et son génie en mathématiques avaient déjà une idée bien précise de leur avenir. L’architecture. Son professeur de science et de mathématiques avancées l’encouragea à poursuivre dans cette voie et croyait suffisamment en lui pour ne pas le lâcher d’une semelle. C’est ainsi qu’à l’âge de 15 ans, Terence savait ce qu’il ferait pour le reste de son existence. Peu de gens de son âge était dans son cas. Il s’agissait là d’une véritable aubaine, comme disait le directeur de son lycée.
Oh oui. Une véritable aubaine.

La vie relationnelle et sexuelle de Terence a toujours été un véritable mystère aux yeux de ses proches. A commencer par ses parents. A 16 ans, il mélangeait déjà les genres avec une facilité intrigante, voire alarmante pour son père qui n’avait jamais, ô grand jamais, été confronté une situation si semblable. Il ne s’agissait pas seulement d’un coming-out en bonne et due forme, c’était une bisexualité complètement assumée. Une nouvelle que Bernard Doyle eut du mal à accepter, mais qu’il fit malgré lui bien qu’il espérait sincèrement que son fils finirait par se marier avec une personne de sexe féminin. Quant à sa mère, la réaction fut assez étonnante mais Terence se souvint vite qu’il faisait face à une ancienne féministe qui vivait et militait avec des minorités de son époque. Cela ne choqua donc pas cette mère quelque peu stricte de savoir que son fils craquait pour les deux sexes. Un contraste inédit. Mais cependant, elle gardait cet air abasourdi en voyant la fréquence à laquelle Terence changeait de conquête. Un vrai libertin. Quant aux motivations de ce dernier, il avait longtemps fréquenté des filles et s’était mis en tête d’essayer de changer de bord. « Les filles c’est bien, pourquoi pas essayer les gars ? Hein ? Pourquoi pas ? ». Cette phrase enfouie au fin fond de son esprit, il se lança. Résultat : Il se put se décider. Pour lui, les deux bords étaient aussi merveilleux et il comptait laisser les choses ainsi établies.

16 ans et déjà profondément mature. 16 ans.

Ses parents savaient qu’il voulait devenir architecte. Ils savaient également que ce domaine serait sa matière principale à l’université. Et pour ceci, ils l’approuvaient. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que Terence avait choisi comme premier vœux l’université d’Harvard. En Amérique. De l’autre côté de l’Atlantique. A des milliers de kilomètres du territoire de la Reine d’Angleterre. Une véritable douche froide pour les deux géniteurs.

« Harvard est une très bonne faculté, voire même l’une des plus prestigieuses, mais, chéri, pourquoi ne pas avoir choisi Cambridge ou Oxford ? Elles sont toutes aussi excellentes et ne se trouvent pas aussi loin qu’Harvard. » S’inquiéta sa bonne vieille mère.

Mais c’était Harvard. Ou rien. Le programme d’architecture offrait davantage plus d’opportunités que les plus grandes universités britanniques. Et Terence n’allait pas laisser cette chance passer. Plus, il s’agissait également d’un moyen pour s’éloigner de la pression si constante de ses parents. Il séjournerait dans un campus, là où sa personnalité pourrait y déposer sa propre empreinte. Loin de tout ce qui le relie à ses origines, excepté, bien évidemment, le fait que son père ait vécu en Amérique durant les 30 premières années de sa vie.

C’est ainsi que Terence Alwyn Doyle, russe et gallois inavoué, entra sur le sol américain pour y passer quatre années inoubliables. Voire même trois de plus, qui sait. Ce petit con d’anglais était imprévisible et l’avait toujours été.

Flashbacks enfin terminés, le jeune homme s’autorisa à fermer les yeux pour de bon. L’alcool s’envolerait au loin pendant son sommeil. Même sur un plancher humide et collant. C’était sa vie à Harvard après tout. Et il en raffolait. Nastrovia !

L'architecture. C'est ce qu'il a choisi de faire il y a de nombreuses années. Pendant que la majorité de ses compatriotes rêvaient de littérature et de théâtre, lui jouissait d'être l'élite de son cours de mathématiques avancés et de l'intérêt qu'il possédait pour la construction moderne et quelque peu avant-gardiste. Cependant, bien qu'il ait un génie surprenant et rende ses devoirs le jour voulu, il vit autour du campus une existence sensiblement débridée. Aussitôt qu'il termine ses cours du soir, l'anglais s'envole de sa salle de classe et accourt auprès d'une des nombreuses fêtes d'étudiants d'Harvard. Dépravation au programme : c'est ce qu'il cherche le plus, en y implantant ses propres limites bien évidemment. Et malgré tout, il parvient à concilier tout cela avec pour nouvelle option cette année : Art Appliqué. Ce jeune anglais provenant de Derby pourrait presque être parfait s'il n'avait pas un caractère aussi "tête à claques". Presque.

Terence est un très bon partie. Il est accessible socialement et sait parfaitement comment doit se dérouler une fête. Il sait tout, peut-être un peu trop. Un leader inavoué car depuis sa tendre enfance, il n'a pas pu s’empêcher de devancer ses camarades sans même s'en rendre une seule fois compte. Pour lui, il s'agissait d'une attitude tout à fait normale. Celle d'être constamment arrogant. En grandissant, il a assumé ce côté-ci de sa personnalité et au lieu de l’écarter de son chemin, comme l’espéraient ses parents, il n'a fait que l'amplifier. Conclusion : L'arrogance de Terence, on l’apprécie ou ne la supporte pas.Du tac au tac. Plus, s'ajoute à cela le fait qu'il soit de nature provocateur et ne passe donc pas une journée sans faire une remarque salace et merveilleusement subtile. Il n'a jamais été asocial de toute son existence, il ne peut donc s’empêcher d'ouvrir le bec lorsqu'il en ressent le besoin. Ce qui arrive très fréquemment. Son humour : Il varie en fonction de son humeur, de son état d'esprit et de son taux d'alcoolémie. Mais alcool ou non, Terence peut se montrer particulièrement cruel envers les individus qu'il "attaque". Sa sociabilité et son charisme lui ont cependant permis d'avoir des amis capables de le couper dans son élan quand il va trop loin. Terence a toujours besoin de quelqu'un pour le stopper, auquel cas, il deviendrait un crétin sans vergogne.
Mais s'en tenir à tous ses défauts serait le sous-estimer. Les qualités de cet étudiant en architecture se révèlent dans deux domaines : Les études et le traitement de ses hôtes, hôtes étant le mot approprié pour "aventure d'un soir'. Terence est un jeune homme très épanoui sexuellement et ne le cache pas. Ainsi, dès le lendemain de fête, il fait l'effort de cuisiner pour la personne avec qui il a passé la nuit. Cela en étonne plus d'un sur le campus mais c'est Terence : aimable avec les personnes qui lui montre un soupçon d'intérêt. Une manière de redorer son image ? Certainement pas. Terence ne manqe pas de ce pain là, il ne cherche pas la popularité. Il cherche juste le plaisir sous tous ses aspects.
Quant à ses études, il les prend très au sérieux et fait le bonheur de ses professeurs qui le disent "prometteur". Il est capable de veiller toute une nuit pour terminer un projet et n'est jamais contre pour le refaire de nouveau. Il aime ce qu'il fait et reste résigné à devenir un architecte. Et ce, depuis ses neuf ans.