HAZEL SACHS ► sophie turner

   
   Le froid t’a rendue apathique. Ou peut-être que c’est la faim.Tu sais plus trop. Ton cerveau fonctionne au ralenti. Tu as sommeil, tellement sommeil… Tes yeux ont envie de se fermer tout seul et tu n’as plus trop la force de lutter.
Ca fait des jours que tu luttes, toute seule dans la rue. T’as grignoté ce bout de sandwich trouvé à côté d’une poubelle. T’as fait fondre de la glace dans tes petites mains pour boire l’eau. Mais c’est comme si tu étais un fantôme, assise là sous ce porche sombre. Personne ne te voit, personne ne s’attendrit, personne ne se soucie de cette petite fille de 6 ans qui attend patiemment. Attend quoi ? Tu as tellement sommeil… Alors tu les fermes et tu te souviens.
C’était comment avant ? C’était Maman qui fait des bruits bizarres, Maman qui crie, Maman qui pleure. Et les méchants monsieurs. Eux, ils te font peur. Tu te caches toujours quand ils arrivent. Le dernier, il était vraiment pas gentil. Il cognait fort sur Maman. Alors t’as cogné sur lui, aussi fort que tu le pouvais. Ca l’a mis très en colère. Tout le monde criait, tu courais pour fuir les coups et puis d’un coup, il fait chaud, des flammes partout. T’as ouvert la porte de l’appartement et t’es partie, pieds nus au coeur de l’hiver. Ca devait être chouette, c’était censé être ton anniversaire. Au lieu de ça, t’as jamais revu Maman.


Les circonstances dans lesquelles tu t’étais retrouvée à vivre avec les Sachs sont floues. T’avais l’impression d’avoir évolué comme dans un brouillard jusqu’à ce que tu mettes les pieds sur la côte est des Etats-Unis. Tout était tellement plus… brillant, plus occidental… Rien à voir avec la Russie. Et tu ne parlais pas la langue en plus. Il y a plus sympa comme nouveau départ dans la vie. Non pas que tu ne sois pas reconnaissante… mais tu voulais Maman. Et Maman visiblement elle n’était plus là. Tu ne savais pas trop ce qu’il avait pu lui arriver, au demeurant. Et tout le monde m’était tellement d’efforts à essayer de te faire oublier. Ca te mettait… tellement en colère ! Et cette colère, elle n’a fait que grandir, encore et encore au fil des années. Tu n’étais pas une enfant vive et enjouée. Tu étais silencieuse et colérique, une petite reine des glaces. Il ne t’a pas fallu longtemps pour maîtriser l’anglais ainsi que les aspects les plus fleuris de ce langage. Clairement, les Sachs ont dû déchanter très vite. Tu sais pas ce qu’ils avaient vu en toi, dans cet orphelinat miteux de St Petersbourg. Probablement qu’ils avaient fini par se poser la question aussi. Ils ont fini par adopter un deuxième enfant. Tu n’étais clairement pas une réussite alors tu ne leur en voulais pas. Puis il fallait admettre que Carmen était un vrai rayon de soleil. Toujours souriante, toujours reconnaissante. Il n’y avait guère qu’elle pour atteindre les aspects les plus sombres de ton âme et les éclairer de sa petite lumière. La plupart du temps, tu avais l’impression d’étouffer entre les quatre murs de cette baraque. Bondée selon toi mais alors pourquoi tu te sentais si seule ?

On peut le dire: tu as un certain goût pour le danger et l’auto-destruction. La mesure ? Connaît pas. Plus c’est trash , plus tu aimes. Plus tes parents flippent, plus tu le fais. Comme si après toutes cess années, tu essayais toujours de les pousser à te ramener à l’orphelinat. Le monde extérieur, c’était pas ta tasse de thé. Tu aurais été tellement heureuse d’éviter cette jungle qu’est le lycée mais pas moyen. Tu ne te fondais pas dans le moule là-bas. Les profs ne te comprenaient pas. Il te prenait pour une gamine stupide et rebelle, avec des fringues toutes noires et ton khôl autour des yeux mais t’étais juste trop sensible pour leur merde superficielle. Ton seul répit, tu le trouvais derrière l’écran de ton ordinateur. Au moins là, tu faisais pas de conneries. Du moins, c’est ce que tes parents pensaient. Mais ça pouvait [pas être pire aue de trainer avec la bande pour eux. Avec eux, Dieu sait ce que tu t’enquillais dans la gueule. Ta première fois ? Très floue, à base d’alcool et de beuh, tu te souviens avoir gerbé après. Il était plus vieux, ils étaient tous plus vieux dans la bande. Et peut-être bien que tu te les étais tous faits à un moment donné. Est-ce que c’est important ? Ce brouillard a duré longtemps mais c’était plus facile que de vivre le reste.

La prise de conscience a cogné très fort. Bal de fin du lycée, tu finissais ta terminale. La bande était là. Pas question que tu participes plus que nécessaire à ce simulacre. Carmen avait voulu suivre, t’avais dis non, t’avais été ferme. Mais les mecs avaient insisté alors la peur avait commencé à ronger tes entrailles. Ils étaient imbibés et affamés de chair fraîche. Pas moyen de les arrêter - ou de l’arrêter elle - si ce n’était de la suivre. Tu la pensais en sécurité. Tu la ramenais, comme prévu, c’était pour ça que tu n’avais pas avalé une goutte d’alcool ce soir-là. Pas comme le conducteur de la voiture qui vous a percutée alors que vous n’étiez plus qu’à quelques minutes de la maison. Tu es la seule qui a survécu dans la voiture. On appelle pas le siège passager la place du mort pour rien. Après ça, ta vie a comme percuté le fond à pleine vitesse. Plus rien n’avait de sens. Tu te sentais vide, en miettes, tu ne comprenais pas. Pourquoi elle et pas toi ? Pourquoi est-ce qu'on t’arrachait encore quelqu’un que tu aimais alors que c’est toi qu’on aurait dû prendre ? Pour une fois, t’as écouté tes parents, t’as essayé d’en parler mais psy ou groupe de soutien, y’avais juste rien à faire. Alors comment ils faisaient les gens comme toi ? Toi qui ne te sent en sécurité que derrière la vitre de ton écran. Alors l’idée a germé, l’idée d’une plateforme pour les gens comme toi qui ont besoin de parler, à eux-même ou aux autres à travers un écran. Pandora Box était née. Si tu avais que de ta souffrance naîtrait une machine bien huilée à plusieurs millions… Tout le monde voulait savoir qui était à l’origine du phénomène, tu étais au coeur d’un cyclone médiatique. Alors tu t’es purgée de tes démons et tu as laissé l’ancienne Hazel derrière toi, tu as commencé à vivre la vie comme Carmen l’aurait fait finalement. Comme elle l’aurait dû. Tu es devenue la fille parfaite, la soeur parfaite, la CEO parfaite. Mais au fond, est-ce que c’est vraiment toi ?