GAUTIER BLACKBURN ► felix bujo

Un ascenseur en panne au deuxième sous-sol, le décor est planté. De fines perles transparentes ornent ton front brûlant de fièvre. Tes yeux peinent à rester ouverts tant la fatigue t'anéantie et te rends morose, mélancolique. T'as l'impression que toute la misère du monde pèse sur tes épaules et il t'est impossible de positiver à ce moment-là. T'as toujours été un enragé de la vie mais ce soir, le sort semble s'acharner sur l'être minable et naïf que tu es. Un spectacle de désolation s'offre à toi sans que tu ne puisse interagir avec ton destin et faire bouger les choses. Ta mère vient de mourir mais rien n'aurait pu prévoir un présage aussi funeste. Tu n'as jamais eu de chance dans la vie, tu restes persuadé qu'on t'a baisé à la naissance, qu'on a niqué le game pour te mettre à l'épreuve et te tester. Une chose est sure, aucune fée ne s'est penchée sur ton berceau pour te présager amour et prospérité. Depuis ta naissance, tu fais parti de ces personnes qui n'arrivent pas à positiver et à voir le verre à moitié plein. Le tien est vide, lamentablement vide. Résigné à toucher le bonheur du bout des doigts, tu étais loin de t'imaginer que cette nouvelle allait t'accabler autant. La famille est une notion que tu ne connais pas vraiment, tu n'as jamais été très proches d'eux. Blackburn est pour toi un symbole d’échec et d'amertume, une identité qui te colle à la peau semblable à une tragédie fatale. Tes principes sont bafoués par une auto-destruction méticuleuse que tu prends soin à alimenter au quotidien. Tu es bloqué dans cet ascenseur sans le moindre échappatoire, tu ignores si tes appels ont été entendus mais au moins tu as le mérite d'avoir essayé. Enfermé dans ton monde, ton regard s'est naufragé dans la cabine et ta déception est immense. Ta mort, tu ne la vois pas ainsi, tu veux du spectaculaire et du grandiose. Avoir de l'ambition pour sa propre fin, c'est tragique surtout pour toi qui rêve de voyage et de découvrir le monde. Depuis ton plus jeune age, t'as toujours été un bon élève, bien qu'un peu perturbé, dissipé ou renfermé. La solitude a toujours fait partie intégrante de ta vie mais n'a pas fait de toi un associable. Tu n'as jamais fait l’unanimité parmi les autres enfants de ton age. Grâce à ce décalage de pensées et idées, tu t'es forgé une épaisse carapace quasiment indestructible aux yeux de tous. Ce soir, elle allait tomber et se fracasser en mille morceaux, tu n'es pas prêt à l'affronter. Tant d'années à accumuler tes émotions, à te calfeutrer dans ton univers décalé et dérangé, tu as perdu la lucidité. C'est pour cette raison que la mort apparaît finalement comme une douce délivrance. Tu vas quitter ce monde de la même façon dont tu es arrivé, invisible et maudit. La peur s'en est allé de ton âme, tu vas rejoindre ta mère, laissant derrière toi tes frères et soeurs que tu ne connais pas plus cela. Tu t'en vas sans dire au revoir. A quoi bon ? A qui ? Le bruit de l'interphone ne te fait même pas relever la tête qui s'obstine dans ce malheur plus ou moins assumé. Monsieur, vous m'entendez ? Répondez. Cette voix te fait émerger de tes pensées. Tu manques d'air, tu as l'impression de suffoquer et inconsciemment, tu laisses la panique te submerger lentement. Ouvrez-moi, je vous en supplie... Ouvres moi salope ! Tu hurles à t'en faire exploser les poumons, les cinq heures dans l'ascenseur délabré de Détroit ont eu raison de toi, c'était de ta faute. C'est contre l'aluminium des portes que tu laisses ta colère fulminer. Tu pètes un câble face à l'accumulation injustifiée et immorale des récents événements.

Je te préviens Gauthier, tu n'as pas intérêt. Elle refuse le chantage et l'indifférence dont tu fais preuve en la regardant, droit dans les yeux, pourtant elle n'a pas le choix. Provoquant, tu te montres désobligeant envers cette femme que tu as honoré de nombreuses fois. La brutalité de tes coups de reins n'a laissé aucun doute sur la passion dévastatrice qui vient de vous unir. Ou quoi ? T'as l'intention de faire quoi au juste ? Tu es démunie face à moi, admets la soumission Kimmy. Le ton que tu viens d'employer lui donne la nausée, son teint est devenu pâle et terreux. Mise à genoux par un gamin dans ton genre, c'est la dernière des choses qu'elle pensait. Tu as su mener la danse vers les bas fonds de l'enfer, l’amenant directement dans tes filets. Ton piège était prêt depuis deux mois durant lesquels tu t'es livré à une lutte acharnée pour la faire flancher. Conscient de ton pouvoir de séduction, tu l'as manipulé sans le moindre scrupule. Arrête avec ce surnom. T'as vraiment aucune morale ! Flirter avec son élève est risqué, Kim savait les risques qu'elle encourait à entrer dans son jeu. Pourtant elle l'avait fait. La simple attirance s'est rapidement muée en désir. Tu t'es imposé dans sa vie et tu l'as amadouée par des mots que tu ne pensais absolument pas. Effondrée sur le lit, elle ne pleure pas, tu ne mérites pas ses larmes. L'insensibilité dont tu faisais preuve la faisait frémir, tu étais prêt à n'importe quoi pour quelques dollars crasseux, salis. Aucune, tranches-tu de ta voix tyrannique. La vie ne t'a jamais fait de cadeau alors pourquoi continuer à subir ses caprices alors que tu peux renverser la tendance et changer la donne. Depuis quelques années, l’hécatombe règne dans ta vie, ne se limitant pas à un seul membre de ta famille. Les Blackburn sont tous touchés par la malédiction qui perdure au-dessus de leurs épaules. L'absence du père de famille au détriment de ses bouteilles de whisky n'est pas passé inaperçu mais au lieu de l'aider, tu l'enfonces toujours un peu plus dans son alcoolisme en buvant avec lui. La bouteille ne t'as pas épargnée, tu restes néanmoins plus discret sur le sujet. Tu me fais peur Gauthier, j'peux pas... je ne peux pas me permettre de perdre mon travail. C'est de l'argent maintenant mais qui me dit que tu ne vas pas me demander plus ? Dans deux ans t'es majeur, je te jure que tu vas regretter ce que tu me fais subir. Je trouverais un moyen de me venger. Tu brûles les étapes par manque de temps, il te faut cet argent au plus vite. Ralentis par une fierté que tu as enterré ce soir, tu lui mets la pression en espérant sournoisement arriver à tes fins. Tu veux qu'on laisse l'opinion publique décider de ton sort. Remues-toi un peu Kim, comment as-tu osé abuser de ce pauvre gosse, privé de repère. On appelle cela de l'abus de confiance, ce qui fait de toi une délinquante sexuelle dans les cinquante et un états. C'est à prendre ou à laisser, je ne me répéterai pas, je veux que l'argent. L’insolence se ressent dans la dureté expressive de ton regard, tu ne veux pas plaisanter. Elle essaie de pénétrer le moindre signe de pitié qui réside en toi mais c'est sans compter sur ta détermination qui n'a jamais atteint son paroxysme. Pour le coup, Kim incarne ton ticket pour une vie plus confortable, moins pénible, tu ne vas pas la laisser te filer entre tes doigts. Ce petit jeu entre vous va durer quatre ans, jusqu'à ce que tu plies bagage pour Boston.

Ta vie d'aujourd'hui se résume à ton art, ton obsession pour l'argent et la joie infime que cela peut t'apporter. Habiter un 70m² avec un pote, ce n'est pas vraiment ce à quoi tu aspirais en intégrant Harvard. Mais tu assumes et tu avances la tête haute. Arrivé en 2011, tu t'es fait une place dans cette université, tu te complais à exercer ta folie artistique un peu partout dans la ville. De nombreux projets en tête, tu estimes avoir tout à prouver dans ce monde de requins ingrats. Tu restes non loin de ta famille, ils peuvent te traiter d'égoïste ou de bizarre, tu ne les as jamais lâchés. Tu survis, le coeur lourd et l'âme déjà vendue au diable.