LEO SALVADORE ► ben barnes

Parfois, on se dit que la vie c’est quand même trop facile. Quand on a la chance de naître dans une famille aisée, soudée, de se voir offrir sur un plateau d’argent toutes les opportunités possibles et imaginables, on n’est pas vraiment du genre à se soucier de ce que le lendemain peut apporter. Jusqu’à ce que la vie décide de vous flanquer un bon retour de karma en pleine tronche et de faire voler toutes vos certitudes en éclats d’un coup de pied retourné bien placé.
Ce qui était, plus ou moins, le sentiment général de Leo Salvadore alors qu’il mettait les pieds à Harvard en tant qu’étudiant pour la première fois, en ce début septembre 2016.
Leo est le fils unique de Diego et Laura Salvadore – ou en tout cas, c’est ce qu’il pensait encore jusqu’à récemment. Les Salvadore, une vieille famille riche et bien établie de Florence, berceau de la Renaissance italienne et mère patrie de Léonard de Vinci. Diego Salvadore, homme de haute taille au teint buriné par une carrière à mener des hommes dans de dangereuses opérations militaires, est un commandant de la Esercito Italiano, l’armée de terre italienne. A sa poitrine, sur son uniforme, s’exhibent les innombrables médailles que son comportement et ses talents de meneur exemplaires lui ont values au fil des années. Son épouse, Laura Salvadore, n’en impose pas moins, avec son regard de braise et d’acier couplé à l’autorité naturelle de ceux nés pour créer et entraîner les autres derrière eux. Businesswoman accomplie, elle possède deux hôtels de luxe à Florence et à Rome et mène son affaire d’une main de maître. Leur rejeton, Leo, héritera de leur charisme et de leur détermination, mais aussi de la rigidité et des contraintes qu’impose nécessairement ce milieu si particulier dans lequel il évolue.
Envoyé dans les meilleures écoles, Leo est un élève brillant ayant hérité de l’intelligence de ses deux parents. Se distinguant aussi bien dans la rigueur des sciences que dans la subtilité des lettres et des langues, son cœur balance très vite dans ces deux domaines que, paraît-il, tout oppose. Lecteur boulimique de romans mais surtout de traités et d’essais philosophiques, c’est un garçon à l’esprit critique acéré qui n’a pas peur de poser des questions et de chercher des réponses par lui-même. Ses professeurs auraient aimé le voir poursuivre la voie noble de la recherche, quel que soit le domaine ; hélas, Diego a pour lui des plans bien arrêtés, et l’encourage à se perfectionner toujours plus en physique et en mathématiques pour poursuivre à son tour la tradition militaire de la famille. Une pression de réussir d’autant plus forte que Leo grandit en voyant sa pauvre mère aux prises avec une maladie qui la ronge depuis peu après sa naissance : le cancer. Même aujourd’hui, Leo est incapable de se souvenir d’un moment où sa mère n’était pas malade. Bien sûr, il y avait des moments où ça allait mieux, la personnalité de feu de Laura l’aidant grandement à maintenir les apparences et à mener ses affaires d’une main ferme tout en suivant ses divers traitements. Mais dès le début, Leo savait que ça ne durerait pas. De chimio en chimio, de radiothérapie en radiothérapie, le garçon est le témoin du long calvaire de sa mère qui n’a jamais cessé de se battre contre son mal intérieur. C’est pour elle, pour ne pas l’inquiéter et pour la rendre fière, que Leo met de côté ses propres centres d’intérêt pour se focaliser sur la route dont elle et Diego rêvent pour leur fils.
Leo commence à apprendre le piano à l’âge de six ans, et, surprise dans cette famille qui ne comprend pourtant aucun artiste, il se révèle très vite talentueux et doté d’une oreille absolue qui l’aide grandement dans son apprentissage. Toujours désireux d’en apprendre plus, il se mit successivement à la guitare, au violon, à la batterie, à la basse, à la flûte, et à tous les instruments que son cœur et ses caprices de jeune musicien lui permettent d’essayer. A la fin de l’adolescence, Leo est un musicien accompli, compose dans sa chambre, empile les partitions et perfectionne son propre style. Un véritable talent que ni Diego ni Laura n’acceptent de reconnaître comme une potentielle carrière. C’est donc sans surprise et sans débat que Leo, une fois son baccalauréat en poche, rejoint l’université de Florence pour y étudier la physique dans l’espoir d’ensuite embrasser une carrière de pilote dans l’armée.
Après trois ans à l’université, Leo obtient son diplôme avec tous les honneurs, et rejoint l’école militaire où il travaille avec acharnement pour rejoindre les rangs de l’Aeronautica Militare. Commençant comme tout un chacun au bas de l’échelle, son aisance dans les airs et son esprit vif lui valent de rapidement monter en grade, à la grande joie de son géniteur. Il accède rapidement au grade de primo aviere capo et entame une carrière prometteuse, ses ambitions musicales complètement oubliées au profit de ses succès militaires. On lui promet même un poste dans la prestigieuse Reparto Incursori Aeronautica Militare…
Mais l’année de ses vingt-cinq ans, en 2015, tout s’effondre. Tôt dans l’année, Diego est dépêché sur le champ de bataille pour une situation d’urgence, mais une bombe stratégiquement placée lui enlève la vie, ainsi que celle de onze de ses hommes. Il est enterré avec tous les honneurs de la nation quelques semaines plus tard, sous le regard dévasté de son épouse et de son fils. Un patriarche respecté et admiré qui s’en va trop tôt, laissant dans sa famille un trou béant que rien ne saurait combler.
Pour Laura, le choc est trop grand. Effet psychologique ou non, elle fait une rechute dans son combat contre le cancer du sein – rechute dont, cette fois, elle ne parvient pas à se relever. Quelques mois plus tard, elle rejoint Diego, laissant leur fils seul, démuni, devant désormais prendre le rôle de chef d’une famille qui ne se compose plus que de lui. Enfin… Pas pour très longtemps. Peu après l’enterrement de Laura, Leo reçoit la visite d’un détective privé qui lui apprend la nouvelle la plus stupéfiante et la plus aberrante de sa vie : l’existence d’une sœur cadette. Si sa réaction initiale est le déni et le rejet, persuadé d’avoir affaire à des profiteurs et des arnaqueurs, les preuves qui lui sont présentées le forcent à accepter la réalité dans tout ce qu’elle a de plus incompréhensible. Une sœur cadette, âgée d’un an de moins que lui, donnée pour adoption – une sœur qui, d’après le notaire familial, est nommée sur le testament de ses parents et se voit remettre la moitié de l’héritage des Salvadore.
Sous le choc, Leo finit par accepter de rencontrer cette sœur étrangère, élevée en Angleterre à son insu le plus total. Mettant entre parenthèses sa carrière militaire, il s’envole pour les Etats-Unis, rejoignant le Summercamp de l’université d’Harvard pour l’occasion. Après tout, Maëlys est pour ainsi dire la seule famille proche qu’il lui reste, et dans le tourment que constituent le décès de ses parents et ces révélations, peut-être n’est-il pas plus mal d’avoir une alliée en quête, elle aussi, de réponses… A sa propre surprise, le courant semble bien passer avec sa cadette, et Leo se convainc de rester un peu plus longtemps aux Etats-Unis – quelques mois pour commencer, et puis on verra, pas vrai ?
Mais le destin ne manquant jamais de frapper quand il le peut, l’ironie refait surface. Laura, qui avait abandonné Maëlys de peur de lui avoir transmis son cancer du sein, ne s’était pas douté un seul instant qu’elle avait pu le transmettre à son fils. C’est une visite chez le médecin à Boston, alors qu’il souffrait de drôles de douleurs à la poitrine, que tombe le diagnostic. Leo est l’un de ces rares hommes à développer un cancer du sein – fait encore plus rare à cause de son jeune âge, mais que sa génétique pouvait laisser anticiper. Sonné, et paniqué, Leo obéit à sa première impulsion et repart en Italie, incapable de rester loin de chez lui et de n’avoir pour seule alliée une sœur qu’il connaît à peine.
De retour à Florence début 2016, il se fait rapidement traiter – heureusement le cancer n’est pas très développé, et la situation est vite à nouveau sous contrôle. Néanmoins, les cancérologues sont formels : il y a de grandes chances pour que le cancer se manifeste à nouveau, mais impossible de prévoir quand et avec quelle intensité. Cette nouvelle achevant de faire déborder le vase, Leo démissionne de l’armée et s’enferme dans un mutisme qui dura des semaines, ne trouvant refuge que dans sa chère musique et ses chers livres. Se laissant finalement convaincre par un de ses seuls amis restants de se faire aider, il parvient à surmonter sa dépression et à fomenter de nouveaux projets. Ne souhaitant pas retourner dans l’armée, et fort de sa part de l’héritage (certes diminuée par rapport à ce qu’il attendait, mais tout de même plus que substantielle), il décide de retourner aux Etats-Unis, où les hôpitaux offrent de meilleurs traitements, et où il compte bien retrouver Maëlys pour tenter, une bonne fois pour toutes, de tirer leur douloureuse histoire familiale au clair. Décidant enfin de se lancer dans la musique, il postule à Harvard, et à sa propre surprise, se retrouve bientôt dans l’avion pour Boston en laissant la direction des hôtels de sa mère à son oncle. Sans savoir, pour la première fois de sa vie, ce que l’avenir peut bien lui réserver.