Je croirai à l'égalité des sexes quand on verra des spams "reduce your vagina".

Elle est retrouvée ! - Quoi ? L'éternité. - C'est la mer mêlée. Au soleil.

-A. Rimbaud.

Il y a une odeur bizarre ici. Enfin pas vraiment bizarre pour moi j'suppose, j'y suis habitué. C'est l'odeur du vomi de maman. Pour le vomi c'est pas grave, je vais juste nettoyer, comme d'habitude, passer après elle. Ce que je pourrais pas nettoyer par contre, c'est l'odeur du malheur. Je sais pas si connaissez. Peut-être que c'est moi qui l'ai inventé. En tout cas c'est une odeur vachement désagréable. Elle te rentre par le nez, pour infiltrer tout ton être. Pour te bouffer peu à peu le cœur. Et bah cet appartement il empeste le malheur. Moi aussi je suppose. C'est peut-être pour ça qu'on m'évite à l'école. Je sais pas où elle est Maman. Elle a du revenir hier soir pendant que je dormais. Elle est jamais là de toute façon. C'est pas comme si ça me faisait quelque chose. Elle me sert à rien ma mère de toute façon. Tout ce qu'elle sait faire c'est me hurler dessus. Pourtant j'lui ai rien fait moi à maman. J'veux dire, à part naître. Je sais que je suis une erreur, depuis le début. Elle arrête pas de me le répéter. Erreur. Ma vie en est une au final. Bref. Je vais lire mes bouquins. Ils me font un peu oublier, eux. Je me sens bien entre les pages. Je me perds dans les mots. Entres les syllabes et les consonnes. Je suis roi, chevalier ou enchanteur. J'apprivoise les dragons, je massacre les ogres. Je vis dans un monde enchanté, ou le sourire n'est plus rare. Ou la tendresse n'est plus qu'un rêve. Je parcours le monde et les dangers. Je m'abreuve d'amour et de rire. Je n'ai plus le silence et la solitude. Puis la dernière page arrive. Le dernier mot. Et je dois refermer le livre. Puis retomber dans la vraie vie. Celle qui nous blesse et nous tue peu à peu. Et je me rends compte que les magnifiques histoires, entres les couvertures de cuir, ne seront jamais les miennes. Que ma vie n'a pas de quoi écrire une épopée, ni même une tragédie. C'est comme ça, je peux pas y changer grand chose.
Il fait nuit. Je suis seul dans ma chambre. Maman est ivre morte dans la chambre d'à côté. Y a plus de lumière. Je crois qu'on nous l'a couper. Moi j'aime pas l'obscurité. Je préfère la lumière. L'obscurité me fait peur. Tout peut s'y cacher. Tout s'y terre. J'ai l'impression qu'il y a des tas d'êtres autour de moi. Qui me regardent, m'auscultent, me jugent. J'ai l'esprit en bouillie. Ça recommence. J'entends des rires et des insultes. J'entends des pleurs et des cris. C'est un silence hurlant. Je suis dans une brume noire. Je ne sais pas si je monte ou je descends. J'ai l'impression qu'on me touche. J'ai peur. Le cœur qui accélère. Mes larmes souillent mon oreiller. Et la brume s'agite autour de moi. Comme si elles se nourrissaient de mes pleurs. La rumeur enfle et grandis dans ma tête. Cris. Pleurs. Rire. Chuchotements. Insultes. Elle m'explose le cerveau. Stop. Je veux dormir. J'ai mal. Allez maman, je t'en supplie. Viens rallumer la lumière. Je t'en supplie. J'ai peur. Aide-moi. Aide-moi. Protège moi des créatures de la Brume. De l'Obscurité. Je t'en supplie. Reviens. Allume la lumière. Aide-moi. Parce que je déteste ça moi. Les combats dans l'ombre.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit. Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées. Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

-V. Hugo.

Schizophrénie. C'est le diagnostic du psy. C'est plutôt marrant que la Brume ait un nom maintenant. Alors c'est ça, le truc qui me perturbe depuis mon enfance ? Ça porte un nom bizarre. Tout a une explication alors. C'est scientifique. Donc je suis réellement un fou. Y a rien de poétique là dedans. C'est mon cerveau qui est bizarre. Au final les voix qui me hurlent dans la tête, c'est Moi. C'est moi qui m'torture. C'est moi qui m'empêche de vivre. C'est dingue. Je suis dingue. Mais les médecins disent qu'il y a de l'espoir. Que je peux me soigner. Il y a des médicaments qui peuvent m'aider. Deux cachets et pouf, tout s'est envoler. Les voix, les gens, les pensées. Et je me retrouve seul, avec l'assourdissant silence de ma tête. C'est assez bizarre, j'veux dire, d'être seul. Totalement. C'est une sensation étrange de n'avoir personne en soi. J'ai jamais connu ça. Mais je me sens quand même mieux. J'ai l'impression de.. je sais pas. D'être libre. Mon sommeil est calme. Sans rêve. Je n'ai plus peur de moi même. Les autres ont moins peur de moi. Mais parfois les médicaments ont du mal à faire effet. Et les voix m'assaillent encore. Plus violentes et blessantes que jamais. Comme pour se venger d'avoir été autant de temps bannis. Ce sont des moments de purs souffrances. Qui peuvent durer des semaines. J'ai découvert un autre médicament. Il marche bien mieux que tout les précédents. Il fait pas que bannir la Brume de ma tête. Il me fait carrément sortir de mon corps. Et c'est dingue ce que ça me fais. Ce que je ressens dans ces moments là. C'est dingue. C'est fou. J'ai comme l'impression de devenir léger. Je ne suis plus enfermé dans cette carcasse de chair et d'os. Je deviens tellement plus grand. Je suis Tout. J'englobe tout. C'est mieux que les livres. Je danse sur le Vent. Et je tourne. Ou bien c'est la Terre qui tourne. Je suis surpris à chaque fois. Contrairement à tout le reste, ça me lasse pas. Curieusement, les voix sont toujours là. Sauf qu'elles sont différentes. Elles sont bienveillantes, chantantes. Il paraît que ce genre de médicament peut détruire. J'en veux bien une mort de ce genre. Ce serait juste dingue et infini.

J'aime pas l'école. Sérieusement. Ça m'ennuie. Ces profs débiles qu'essayent de nous apprendre la vie. Comment prendre au sérieux un mec qui n'a rien réussi ? Eux aussi ils ont du suivre les conseils d'un professeur qui se croyait instruit. Pour finir par faire quoi ? Enseigner des formules à des adolescents lobotomisés et complètement ennuyés. Et ça me saoule d'être enfermer entre quatre murs. Toute la journée. J'ai l'impression d'être un animal en cage, condamné à écouter. J'suppose que c'est la bonne métaphore ça : animal. Ici on veut nous dresser. C'est simple. Si t'es différent, t'es écarté. Si tu ne penses pas pareil, si t'as envie d'autre choses, on te brime et on t'en fait baver. J'ai la particularité de ne rien faire de tout ça. Je suis juste ignoré. J'aime bien ça, être l'homme invisible. La personne dont on ne se souvient jamais du nom, ni du visage. Le seul cours que j'aime ici, c'est le théâtre. C'est la seule chose que j'attends, tout le temps. Être sur scène, c'est la plus belle des choses. Qui est-ce que je suis sur scène ? Je ne suis pas moi. Et c'est la seule chose importante. Je m'échappe et je m'évade, pour quelques heures. J'adore le théâtre. C'est sans doute ce que je ferais de ma vie. Ne pas être moi. C'est la meilleure chose qui soit.

Il s'est passé quelque chose de quelque peu étrange hier. J'étais un peu bourré, un peu défoncé. C'était la seule soirée d'lycéens à laquelle j'avais été invité. Pitié, sans doute. Ou encore curiosité. J'en sais rien, mais j'y suis quand même aller. Ça me semblait toujours mieux qu'une soirée avec ma mère, devant une assiette de spaghettis réchauffé. Et je me souviens pas de tout. J'ai rien que quelques bribes qui arrivent dans ma tête, comme ça. Et j'avais besoin de le raconter. Parce que ça m'a quelque peu troublé. Les gens dansaient, serrés sur la piste. Ondulants leurs corps. C'est agréable à voir. Les corps qui se mouvent, qui se rapprochent, s'éloignent. J'aurais bien aimé avoir un carnet. Pouvoir les dessiner. Je ne me souviens pas de la soirée. Je ne me souviens que de ces mains. C'est débile. Ces mains, elles n'avaient pas de visage. Pas de corps. Non, dans mon esprit c'était juste des mains. Elles allaient, calmes et lentes. Le long de mon flanc invisible. Elles dansaient. J'étais malléable, je ne pouvais plus bouger. J'étais comme paralysé. Et les mains filaient toujours, sur mon corps. C'était étrange. Je haletais, je gémissais, mais je ne bougeais pas. Mon corps était déconnecté de ma tête. J'avais envie de crier, malgré le plaisir. Et j'avais vraiment l'impression d'être mort. Puis d'un coup, tout s'est arrêté. Tout s'est stoppé. Tout est devenu noir. Ou blanc. Ou mauve. Enfin, c'était la couleur du Rien. C'était le Vide. Blackout. Et réveil. Mal de tête horrible. J'en ai parlé à mon psy. Tout ça c'est mon imagination. Peut-être une autre branche de la maladie. Alors, je suppose que je suis maintenant à 100% cinglé. Hallucinations. Mais c'était vraiment plus que vrai. Comme les voix. J'arrive pas à croire que c'est juste ça. Des réactions chimiques dans mon cerveau malade. C'est débile, mais j'y crois pas. C'est bien plus grand. Bien plus complexe que ça.

L'opium agrandit ce qui n'a pas de bornes. Allonge l'illimité. Approfondit le temps, creuse la volupté. Et de plaisirs noirs et mornes. Remplit l'âme au-delà de sa capacité.

-C. Baudelaire.

Maman est morte. Je me sens mal, parce que ça ne me fais rien. C'est pas comme si elle était importante dans ma vie. J'ai l'impression d'être un monstre, mais c'est la vérité. C'est tout. J'ai pas d'famille hors d'elle. Enfin y a mon père. Mais je sais pas qui c'est. Personne le sais. J'aimerais bien qu'il soit pianiste dans un groupe de jazz, qu'il s'appelle Barthélémy, comme l'un des Rois Mages, qu'il veuille de moi, qu'il vienne s'excuser, me supplier de le pardonner de m'avoir abandonné, il m'embrasserait fort, m'emmènerait en Australie, on vivrait des aventures dingues. Ce serait mon père quoi. Mais la réalité est toute autre. Mon père doit sans doute être un réalité un raté, un foutu paumé. Une merde que ma mère a ramené. C'était sans doute le vieux Big Mac froid, qu'elle aurait pris parce qu'il n'y avait rien de disponible. Ouais, ça devait être une roue de secours. Mon père est un putain de Big Mac moisi ! Je préfère encore le foyer. Il faut pas croire les clichés. J'aime bien ça, c'est plutôt cool. Il y a quelques problèmes parfois. Mais un poignardé en quatre ans dans un foyer difficile, j'dis que c'est positif. Et ce foutu psy qui me dit que je suis pessimiste. Puis il y a des trucs cool. Genre les familles d'accueils. Parfois, elles sont supers. C'est de vrais familles, le genre à être sur une boîte de céréales ou à avoir une série genre ''Ma famille d'abord''. Ce sont les meilleures et les pires. Parce que a moment où l'on se sent bien dans cette espèce d'asile sentimental, il faudra partir. Tu comprends, on t'aime bien, mais on ne peut pas te garder. Je le sais bien ça, j'suis pas fait pour être aimé. Et puis il y a les autres : celles qui veulent te faire du mal. Leurs buts c'est pas l'fric. Non. Eux, ils s'enrichissent sur votre malheur. Plus vous souffrez, plus ils jubilent. Ça peut aller de légères piques à des choses bien plus sérieuses et malsaines. Comme cette fille. Nathalie qu'elle s'appelait. J'étais dans la même ''famille'' qu'elle. Le mec, il était toujours en train d'la regarder. Elle avait peur, mais elle lui laissait pas paraître. Puis il l'a emmené dans son bureau. On entendait rien. Mais moi je les percevais ces cris silencieux. Mais je bougeais pas. Je faisais rien. Qu'est-ce que j'aurais pu y faire ? Et on l'a revu, le matin, au petit déjeuner. Ça se voyait qu'elle avait pleuré. Mais elle ne disait rien. Elle souriait pour dire qu'elle allait bien. Et c'est comme si c'était moi qui souffrait, parce que je n'ai rien fais. Parce que je l'ai laissé se faire détruire un peu plus qu'elle ne l'était. Nathalie, c'est tout mes regrets. Quand j'ai pas crier, quand j'ai pas frapper, quand j'ai pas dénoncer. Nathalie elle s'est suicidé, quelques jours après. Ça m'est resté dans la gorge, et c'est jamais parti. Même maintenant, y a et y aura sans doute pour toujours un p'tit bout de Nathalie en moi. Elle me rappellera toutes mes erreurs et ma lâcheté. On a tous une Nathalie.

Les sanglots longs. Des violons. De l'automne. Blessent mon coeur. D'une langueur. Monotone. Tout suffocant. Et blême, quand sonne l'heure, je me souviens des jours anciens. Et je pleure; Et je m'en vais. Au vent mauvais. Qui m'emporte. Deçà, delà. Pareil à la feuille morte.

-P. Verlaine.

J'entre à Harvard cette année. C'est dingue, c'est fou. Je peux pas y croire. Pincez moi. Cette lettre, j'ai du la rêver. C'est impossible. J'vais enfin pouvoir m'en aller. De cette vie, du foyer, des ennuis. Peut-être que je finirais pas comme ma mère ou comme tout les gens autour de moi. Peut-être que j'ai une chance, j'veux dire, d'être normal. Peut-être que cette université pourra enfin m'aider à sortir de tout ça. Et la brume peut-être disparaitra sans aucun médicaments. Harvard. Ça sonne grand, ça sonne classe. J'suis p'têtre pas un total raté. Je suis peut-être quelqu'un qui mérite de réussi un truc. Harvard, ça va sans doute être mes meilleures années. Ou les pires. J'en sais rien. Tout ce qui compte, c'est que je vais enfin partir.