PAIGE MCIVER ►Mary Elizabeth Winstead

14 ans, la première perte,

Il est tard. Dehors, le passage des voitures se fait de plus en plus rare, laissant planer de longs moments de silence avant que des phares éclairent la rue et ne brisent la tranquillité. Loin d'être fatigué, je sirote dans mon lit un thé déjà froid, le regard plongé dans mon écran d'ordinateur, absorbée par la création d'un énième site internet. Je capte mon reflet. De grands yeux brun, des cheveux bleu, que j'aborde fièrement. Après de nombreuses demandes, mes parents ont enfin accepté que je mette un peu de couleur dans ma vie.
Je fredonne l'air qui sort de mon casque audio, en tapant frénétiquement sur les touches lumineuses de mon clavier. Aux murs de ma chambre, on peut apercevoir de nombreux posters de séries, surtout celles de science fiction, quelques groupes de rock alternatif, et des slogans militants. Un vieux polaroid est posé sur mon bureau, cadeau de mon frère pour mes douze-ans.
En bas, le téléphone sonne. Mon père, qui devait surement dormir, peste contre cet appel nocturne. Il décroche avec une voix endormie, qui se fige à la minute où l'interlocuteur commence à parler. Lorsque mes trois frères et sœurs et moi-même descendons dans le salon en pyjama, des larmes créent des sillons sur ses joues pâles.
Ma mère. La caserne. Un feu qui ne semble pas vouloir s'éteindre. Des morts, même chez les pompiers. Surtout chez les pompiers. Ils ont préférés mettre à l'abris les habitants de l'immeuble, quitte à y laisser leur peau. Elle y a laissé sa peau.

16 ans, la première révolte,

La foule est bruyante, sa clameur porte loin. Pancartes et banderoles colorées poussent comme des champignons au dessus de cette marée humaine qui manifeste. J'y suis, dans ce cortège. Je crie, moi aussi, même si à force ma voix épuisée est presque imperceptible. Je n'ai jamais rien ressentit d'aussi enivrant que cette sensation là. J'ai l'impression que rien ne pourra nous arrêter, pas même les policiers que je vois arriver en face et derrière nous. Pour l'instant, ils surveillent, mais je sais qu'ils redoutent des débordements.
Sans surprise, ce qui devait arriver, arriva. Les gens commencent à se bousculer. Les cris s’intensifient. J'ai un peu peur, je ne le cache pas, mais je suis surtout impressionnée par la détermination de ceux qui sont autour de moi. Finalement, la police finit par faire évacuer tout le monde car des petits malins extérieurs à la manifestation se mettaient à jeter des projectiles. Quand je me couche ce soir là, quelque chose à changé en moi. Cette manifestation ne sera pas la dernière à laquelle j'assisterai, cette cause ne sera pas la dernière que je soutiendrai à vive voix.

18 ans, le premier départ,

Lorsque j'ai appris que j'étais accepté à Harvard, un sourire béat s'est accroché à mon visage pendant plusieurs jours, ne semblant pas vouloir partir. Pourtant, derrière cette joie immense se cachait un peur muette. Celle de tout quitter. Quitter mon pays, ma famille, mes quelques amis. Comme nos revenus ne nous le permettaient pas, je n'ai jamais voyagé plus loin que l'Australie. Et même si je suis indépendante, je ne me suis encore jamais retrouvée seule et dénuée de toute attache dans un lieu inconnu.
Le jour du départ arrive, et mon cœur se serre de plus en plus au fond de ma poitrine. Ma valise est faite depuis longtemps, mais mon esprit, lui, est loin d'être prêt à partir. Ma sœur me tricote une écharpe aux mailles irrégulières, et malgré ses défauts c'est surement le plus beau cadeau du monde.
Au moment où l'avion décolle lentement du sol, où les maisons semblent aussi ridicules que des jouets, je suis apaisée. Même si je laisse certaines choses derrière moi, je sais que des centaines d'autres m'attendent de l'autre côté de l'océan.