MANON S. HEINEKEN ► crystal reed

Manon avait les yeux qui pétillaient, et cela pouvait se voir partout. Même Oswald, de l'autre côté de l'ordinateur, de l'autre côté de l'Atlantique. La gamine rayonnait. « C'est vrai qu'il est beau ! » Elle venait d'envoyer une photo de son petit copain à son amie qui venait de la complimenter pour ses goûts. Elle allait renchérir, lui dire à quel point elle était amoureuse de ce garçon quand son téléphone portable se mit à jouer une entraînante mélodie. Le prenant en main, elle informa Oswald. « En parlant du loup, il vient de m'envoyer un message ! » « Vas répondre à ton Jules alors, qu'est ce que tu attends ? » Tout sourire, elle s'exécuta et commença à lire ce qu'elle pensait être un mot doux. Son coeur ne s'envola pas en milles papillons, mais rata un battement. Irrégulière harmonie. Manon, elle sentait les larmes perler aux coins de ses yeux. Elle ne pouvait même plus lire la fin du message tant sa vision s'était troublée. « Nonon ? Ça va ? T'as l'air bizarre.. » Elle se sentait si lourde sur le poids de ces terribles révélations... Son coeur lui faisait si mal qu'elle se leva de son lit et courra jusqu'à la chambre voisine. Celle de la responsable de tout ses malheurs. Elle était là, assise sur le rebord de la fenêtre à fumer sa cigarette du bout des lèvres. Un peu trop maquillée, Margaux elle jouait déjà aux grandes. Manon, elle n'était encore qu'une gamine, les cheveux peignés dans son beau pyjama en soie. L'écart entre les deux jumelles ne pourrait être plus grand. « Qu'est-ce que tu veux encore ? » Son âme se brise un peu plus. Manon, elle sait pertinemment que Margaux est consciente du pourquoi elle se retrouve dans sa chambre, les yeux pleureurs. Seulement, elle a plus envie d'être parfaite ce soir. Alors elle explose. « T'es vraiment qu'une sal*pe Margaux ! ». Elle hurle, enfonce ses ongles manucurés dans la tendre chair de sa main. « Allez, fait pas comme si t'étais amoureuse, c'est qu'un mec. » À ce stade, jolie Manon, elle ne sait plus si les larmes qui caressent ses joues rougies par la colère sont d'amour ou de rage. Margaux, elle ne pourrait pas avoir plus faux. « Comment t'as pu coucher avec lui ? Avec MON MEC ! » Le reflet du miroir ne lui renvoie que le sourire sadique de la brune. « En réalité, c'est un très bon coup, faut croire que tu es trop coincé vu ce qu'il m'a dit l'autre soir... » Margaux attrape son paquet de cigarettes et quitte la pièce d'un air nonchalant, non sans lancer un dernier coup fatal. « Bonne soirée sis' ! » puis Manon, elle tombe au sol, désarmée.

En train de manger ses céréales dans l’immense cuisine des Cabots, Manon, elle repensait à son parcours et comment elle était arrivée là. Il y a encore quelques mois elle étudiait la médecine avec Oswald, mais elle avait changé ses projets du tout au tout. Elle qui devait devenir une neurochirurgienne de renom avait son nom qui lui pesait. Margaux ne faisait rien pour adoucir sa peine, alors Manon, elle a décidé qu’elle porterait l’empire sur ses épaules, et les siennes seules. Perdue dans ses pensées, la vide maison s’anima autrement que par le son de ses céréales croquantes. Comme une lourde valise que l’on roule le long des escaliers. Relevant la tête, ses yeux endormis se posèrent sur la figure de celle qu’elle considérait comme une chère amie. « Mélu ? Qu’est ce que tu fais ? » La rousse était sublime, aussi belle que le jour où Manon l’avait rencontrée. Un jour d’été sur la grande place de la faculté, où elles virevoltaient toutes deux entre les stands de confréries qui s’arrachaient leurs faveurs. Puis comme un appel des plus divins, elles se sont dirigées toutes les deux vers la Cabot House, pour ne plus jamais se quitter. Si elles ne se connaissaient pas encore il y a deux mois, elles avaient depuis tout traversé ensemble. Si seulement Manon elle avait su qu’elle deviendrait l’une des personnes les plus importantes qui soient... « Un peu de ménage dans ma vie. » Haussant un sourcil, Manon mit quelques secondes à essayer de comprendre ce que lui disait la belle. Puis un sourire vint orner ses lèvres. « Ah tu fais ta bonne action de la journée ? J’savais pas que les Mathers avaient besoin de fringues… Quoique, je trouve que c’est quand même du gâchis, tes vêtements vont être tout tachés par l’alcool et le vomi... » Mélusine était telle de l’adrénaline. Désormais complètement réveillée, Manon, passionnée par son monologue, elle n’avait même pas remarqué à quel point le sourire de son amie se fanait au fur et à mesure du temps qui s’écoulait.  « … bon et puis elles n’iraient tellement pas à la grosse Becky. Tiens, j’y pense.. Ça te dirait une journée shopping pour fêter tout ça ? » Envoyant un sourire sincère à Mélusine, elle ne se doutait pas du sort que le destin venait de lui jouer la nuit précédente. Risible amie.

« J’arrive dans deux minutes, tiens-toi prête ! » Raccrochant son téléphone, Manon s’observa dans le grand miroir de l’appartement. Elle était parfaite, comme d’habitude. De ses doigts fins, elle s’empara d’une parure qu’elle essaya d’accrocher à son cou. La touche finale. « Laisse-moi faire. » La voix suave, son cher colocataire venait de frôler son oreille de ses lèvres, la faisant légèrement sursauter. Accrochant le collier sans effort, l’anglais fit tourner la belle pour qu’elle lui fasse désormais face. « T’es superbe, Manon. » Elle ne pût s’empêcher de rosir sous le compliment, non sans se reprendre et lui envoyer une pique. Ils fonctionnaient comme ça depuis qu’ils vivaient ensemble, depuis que Manon avait quitté sa chambre à la Cabot House, peu après Mélusine. « Je sais. Et que dire de toi ! Alors quelle demoiselle aura l’immense privilège de passer la soirée avec le magnifique, que dis-je, l’unique Philip Hamilton ? » Un sourire taquin ornait ses lèvres colorées par son rouge à lèvres hors de prix. Le bellâtre allait répliquer quand un klaxon résonna dans tout le voisinage. Oswald. Sans attendre, Manon, elle attrapa sa pochette et déposa un léger baiser sur le coin des lèvres de Philip. « Et protège-toi surtout, hm ? » Un clin d’œil pour son colocataire et la belle était déjà en bas, à rentrer dans la voiture d’Oswald. Le trajet fût animé, comme d’habitude dès que les deux se retrouvaient. Elles chantaient, dansaient, vivaient. Arrivées devant la boîte de nuit du campus dans laquelle elles avaient leurs habitudes, elles n’eurent pas à attendre et passèrent directement par la file des VIP. La faute à leur sang. « Tu sais où l’on doit rejoindre Arthur ? » Pénétrant dans le couloir chatoyant sous mille couleurs, Manon, elle pouvait distinguer le grand sourire sur les lèvres d’Oswald. Lui envoyant un regard inquisiteur, l’anglaise se décida à répondre à sa question, non sans que les étoiles disparaissent dans ses yeux. « Oui, comme d’habitude. À ce propos, j’aimerais que tu rencontres quelqu’un… » Manon, elle se stoppa aussitôt dans sa progression entre les corps déjà mous et les cerveaux coulants. Son cœur battait un peu plus fort que d’habitude, et elle avait du mal à respirer. Elle avait peur. Et Oswald, elle le savait bien. Elle avait assisté au spectacle de son cœur qui serait à jamais brisé. Elle savait le peu de confiance que Manon accordait à tout homme se rapprochant plus ou moins sentimentalement d’elle. La hollandaise se sentait piégée. « Tu verras, il est génial. Il s’appelle Liam, c’est d’ailleurs le garde du corps d’Arthur, t’as dû le voir plusieurs fois. » Évidemment qu’elle l’avait remarqué Manon. Même si leurs échanges ne s’étaient traduits qu’en regards et sourires, comment avouer à son amie qu’il mettait déjà le bazar dans ses plus profondes pensées ? « Relax Manon. Je suis sûre que vous allez vous plaire. » Elle n’en espérait pas tant, jolie Manon. Respirant un grand coup, elle fit le vide, se débarrassa de ses plus négatives craintes et attrapa Oswald par la main. « Avant on passe au bar, j’ai besoin d’un verre. » Riant aux éclats face à cet entrain retrouvé, les deux compères se dirigèrent vers l’un des bars de l’établissement, et commandèrent un mètre, puis un second. Tout devenait plus flou d’un coup, de ses songes jusqu’au battement irrégulier de son cœur. Jusqu’à voir arriver les deux garçons. Manon princesse des glaces, comme ça, elle se serait presque sentie fondre.