CIEL V. PROUST ► adrien sahores

Elle le regarde. Il lui sourit. Elle entre-ouvre la bouche et affiche des dents d'un blanc éclatant. D'un bond, il se lève et parcourt les troupes d'anciens étudiants. Et sans l'avoir quitté des yeux, elle fend la foule droit vers le bar. Il arrive et l'attend, un bras posé contre le bar et une main cachée dans sa poche. Elle étouffe un rire, elle connaît que trop bien cette façon d'être. Ses yeux d'un bleu si profond, le replonge dans un lointain passé. Elle arrive à sa hauteur. Il halète, ses mots sont saccadés. Elle a chaud et est un peu troublée. Ils sont là. Silencieux. Ils se regardent. Autour d'eux, des petits groupes se forment et des mots virevoltent autour d'eux. Et pourtant, eux, ils ne parlent pas. Ils en ont pas besoin. L'instant est magique. Comme si le temps n'existe. Comme à cette époque où elle se faisait belle pour lui. Comme à cette époque où il passait la chercher après ses ballets. Elle fait un pas. Il se rapproche d'elle. Ils le savent tous les deux. Il a une femme et un fils. Elle vient d'accoucher de sa petite fille qui est restée en Écosse avec son père. Mais ce soir... Ce soir, plus rien n'existe. Ce soir, leurs corps vont s'unir une dernière fois. Avant de se dire adieu.

A son retour en Ecosse, elle comprend que cette dernière nuit est un cadeau empoisonné. Elle comprend que cet amour d'antan restera dans sa vie... Mais sous une autre forme. Celle d'un enfant. Fruit d'un amour oublier.

Telle une statue faite de marbre, il est assis là. Stoïque, il semble perdu dans ses pensées. « Père, vous allez bien ? » Il tourne sa tête vers toi et son visage a totalement changé d'expression. De l'homme froid et distant, il passe au père aimant et chaleureux. A cet instant, vous mourrez d'envie de vous prendre dans les bras l'un et l'autre. Mais, par pudeur ou peut être par fierté vous ne le ferrait pas. Vous êtes des hommes. Enfin, tu vas le devenir. Dès que la limousine arrêtera sa course et que le portier ouvrira ta portière, tu devras laisser le petit garçon de dix ans et devenir un homme. Un vrai et un futur lord. « Tu sais Ciel, je suis fier de toi. Vraiment. Ces années au pensionnat vont crée la personne que tu seras plus tard. Et n'oublies pas, t'es un Proust. De base, tu es supérieur à tous ces gueux. » Et sur ses mots, il plonge ses mains vers tes côtes et s'amuse à te chatouiller comme lorsque tu n'étais qu'un bébé. Cet instant de complicité ne dure pas vraiment...

Tu sens que la limousine entre sur un terrain tout cabossé. Tu sens ainsi la fin d'une période. D'une période que l'on dit de l'insouciance. A la fin de cette allée, tu vas enfin devenir un homme.

Un sourire se dessine aux commissures de tes lèvres. Un sourire de délectation. Un sourire assez malsain qui se dessine au fur et à mesure que la voiture s'éloigne en emportant au loin ce sale type. Tournant le dos à l'allée, tu commences l'ascension des marches menant au perron de ta résidence. Tous les regards se posent sur toi, mais tu les snobes. Actuellement, tu te sais sur le point de devenir intouchable sur cet échiquier géant. Ta traversée se fait stopper par une main qui se pose lourdement sur ton épaule gauche. «Dis Ciel, tu n'es pas réellement le responsable de tout cela ? » Ne préférant pas répondre, tu pousses ce blond qui autrefois était ton ami. Reprenant l'ascension, tu te retiens d'éclater de rire. Tu sais que cela serait mal vu. Surtout que tout le monde sait que tu es responsable du départ du feu roi de cet échiquier grandeur nature. En même temps, tu as été son suivant durant presque quatre ans. Quatre ans à obéir aux moindres de ses ordres. Quatre ans à subir des moqueries et autres. Alors, dès que tu as entendu parlé de cette coucherie entre ce vieux pervers de prof et ton feu bourreau, tu as sauté sur l'occasion. Arrivé en haut des marches, tu te retournes devant la cour nouvellement tienne. « Le Roi est mort... Vive le Roi. »


Ses longs cheveux blonds dansent au rythme de l'alizé qui se lève dans la pénombre. Ses yeux blonds lourdement fardés sont à la recherche de réponses entre les étoiles qui se dessinent dans le ciel Corse. A cet instant précis, tu t'en veux d'avoir provoqué cette dispute entre vos parents. Tu sais que cela va avoir de grosses répercussions sur les vacances en famille, mais surtout sur Hell qui vient tout juste de rentrer d'Harvard. Le bruit de tes pas sur les branches mortes semblent la ramener à la réalité. "Je suis désolé Hell, je n'aurais pas dû..." Ta voix se brise sous le bruit des vagues qui déferlent quelques mètres plus bas. Sans te répondre, elle se lève et vient te prendre dans ses bras. " Tu n'as pas à t'en vouloir... Tu sais même si père, n'est pas ton... " Elle se tait. Et la vérité s'abat sur toi. Tout comme cette multitude de question. Hell desserre son étreinte et te lance un de ses regards que tu ne connais que trop bien. Son regard qui te dit qu'il est temps de laisser les problèmes aux vestiaires et d'avancer la tête haute. " Ouvres la bouche minus!" Ne sachant pas quoi faire, tu obéis à ta grande sœur qui place un petit carton de LSD et tu te laisses entraîner vers ce lieu tenu secret. Arrivé sur place, cette dernière disparaît et te laisse seul entouré de centaines de jeunes tous plus défoncés les uns que les autres. Bien que l'ambiance est plus torride que jamais, une part de toi se refuse à s'amuser. Une part de toi continue de s'interroger sur l'identité de ton véritable paternel. Alors, tu t'éclipses vers un coin désert de la plage en espérant ne pas être dérangé. Assis les pieds dans l'eau, tu songes à cette personne qui a été là pour ta conception. Sait-il qu'il a un fils? T'aimerait-il? Mais ta solitude n'est que de courte durée... Un jeune homme sort de la nuit et vient t'accoster. La suite est un peu trouble dans ta tête. Tout ce dont tu te souviens ce sont ses mains qui parcourent ton corps nu...

« Mère... Pourquoi ? Pourquoi refusez vous de me dire la vérité ? Qui est-il ? Pourquoi tant de secret entre vous et moi ? Pourquoi ? Répondez, j'ai le droit de savoir ! C'est mon père ? » Elle raccroche sans même te donner un espoir de réponse. Énervé, tu jettes ton téléphone cellulaire sur ton lit d'hôtel. Une part de toi te crie de tout péter dans cette chambre et d'envoyer la note au domicile familiale. Pourtant, tu te retiens. Enfin, c'est plutôt que tu n'as pas vraiment le temps. L'écran numérique de ta montre affiche deux heures, tu sors alors de ta chambre et tu te diriges droit vers le bar de l'hôtel. Assis seul en retrait, un homme en imperméable beige t'attend. Arrivé à sa hauteur, tu le fixes attendant qu'il t'invite à se joindre à lui. Chose qu'il ne tarde pas à faire. Dans ses yeux, tu lis un certain étonnement. Mais, l'instant d'après, ce dernier reprend son air sérieux et sors un épais dossier. Alors, tu lui tends l'enveloppe contenant la somme dont vous parlez au téléphone... Et il sort. Sans demander son reste. Anxieux, tu restes un instant bloqué sur ce dossier. Voilà deux ans que tu attends cet instant. Maintenant, tu ne peux plus faire marche arrière. Une voix intérieure te crie d'ouvrir le dossier, tandis qu'une autre te dit d'attendre d'arrivée auprès d'Hell à Harvard.