NYX LEVENTIS ► megan fox

I. I AM SOMEBODY
Juillet 2008, troisième personne du singulier
Elle ne savait pas où elle allait, mais une chose était sûre : il était temps de se montrer, de regarder le monde droit dans les yeux et de s'afficher comme la princesse qu'elle était. Ou, du moins, qu'elle croyait alors être. Après tout, on s'était évertué à ce qu'elle se perçoive comme telle. Nyx avait presque quinze ans et était assise à l'arrière d'une voiture de sport luxueuse, cigarette pincée entre des doigts parfaitement manucurés et un verre de vin au bord des lèvres. Cela faisait trois ans que sa mère s'était remariée à un magnat du pétrole, Hugh Tanner, qui leur avait apporté argent, paillettes et luxe, désormais toujours à portée de main. Aja Leventis avait alors su convaincre sa fille, encore toute jeune quand on y pense, que c'était ça, la vie ; que tout ce qu'elles avaient maintenant leur était dû. Sous son influence, ainsi que celle de l'école pour filles anglaise qu'elle fréquentait, Nyx s'était transformée en gamine capricieuse et trop attachée aux apparences, qui finissent toujours par apparaître pour ce qu'elles sont : superficielles. Cela n'était pas pour déplaire à Maman, qui ne voulait que le meilleur pour le fruit de sa chair, et avait une façon un peu particulière de le montrer... Mais elle revenait de loin, il faut le dire ; pas étonnant que son sens des valeurs en ait été quelque peu chamboulé.
La voiture traversait les rues de New York à vive allure, frôlant plusieurs fois l'excès de vitesse. Johnson conduisait adroitement malgré le trafic alentours, comme était son habitude, mais il était grassement payé pour ses services, donc rien d'étonnant là-dedans, pensa Nyx en fixant les bâtiments et enseignes lumineuses qui défilaient dans la nuit noire derrière sa fenêtre. Elle en venait presque à se demander si les gens bougeraient ne serait-ce que le petit doigt si l'argent n'était pas là pour les motiver. Après tout, la fête à laquelle se rendait l'adolescente avait pour unique but de permettre à de jeunes fortunés, ses soi-disant amis, de se pavaner au retour de leurs vacances dans les Hamptons. Ils parleraient de toutes les choses qu'ils ont pu s'offrir, des empires qu'ils bâtiraient avec pour unique but de renflouer les caisses familiales déjà pleines à craquer, de leurs vies, passées, présentes ou futures, parfaites en tout point.
C'est à cette pensée que Nyx sentit son estomac se retourner. Elle faillit renverser son verre sur la robe Gucci qu'elle avait exigé et s'était fait offrir des semaines en avance en prévision de cette soirée, mais peu lui importait soudainement. Cela faisait déjà plusieurs mois qu'un sentiment d'inconfort, de doute même, la taraudait. On aurait dit que c'est comme si l'essence de son caractère, ce qu'elle était vraiment, bouillonnait en elle de nouveau, après avoir hiberné pendant trop longtemps. Toutes ces prétentions, ce n'était pas le reflet de son âme, même si jusqu'il y a une heure elle semblait se complaire dans cette idée. Comme c'est facile de monter la tête à une enfant, et en réalisant cela, Nyx se sentit rougir de honte et de colère.
“Tout va bien mademoiselle ?”
Elle ne répondit pas tout de suite et fixa le vide un instant. Johnson se retourna dans son siège une fois arrêté à un feu rouge et reposa sa question.
“Non, je ne dirais pas ça comme ça,” lâcha Nyx d'un air morose. Elle marqua un temps de pause avant de reprendre solennellement : “Faîtes demi-tour, Johnson. La fête est finie.”
“Mais il n'est que...” Commença le chauffeur, avant d'être interrompu par la voix de Nyx, soudainement caractérisée par quelque chose qu'il n'avait pas l'habitude d'y entendre : de la douceur, comme née d'un moment de faiblesse ou d'incertitude. “S'il vous plait...”
Peu habitué à cette phrase dans la bouche de l'adolescente, Johnson hocha la tête, refit face à la route et s'exécuta dès que le feu passa au vert.

II. JUST GIVE ME SOME TRUTH
Septembre 2011, première personne du singulier
Enfin, la soirée touchait à sa fin.
J'avais dû jouer mon rôle de potiche auprès des invités de Maman et ça m'avait complètement vidé. Je ne me sens jamais aussi peu humaine que dans ces moments-là ; incarner ce personnage supposé être à l'aise dans les hautes sphères, qui passe ses journées à voguer de boutiques de luxe en salons privés, qui se complaît dans une fortune qui n'est pas la sienne... C'est à vomir, vraiment. J'avais déjà eu l'occasion de constater qu'il y a un cruel manque de dignité – ou, du moins, la perception de cette qualité diffère beaucoup – dans le monde de l'argent. Je le connais bien, je l'ai fréquenté ; j'ai donné dans ces idioties fut un temps, mais tout ça c'était fini. Ça se ferait sans moi désormais.
“Merci encore pour ce superbe dîner, Aja” dit un homme dont le nom m'échappait déjà en s'éclipsant, manteau sous le bras, Rolex dorée au poignet. Ma mère lui adressa un sourire poli avant de fermer la porte derrière lui. Il était le dernier à s'en aller. Elle claqua dans ses mains : “Joanie ! Est-ce que pouvez venir débarrasser je vous prie ? Je veux que tout soit rangé lorsque j'aurais fini de me préparer pour la nuit.” Je roulai des yeux, comme par habitude, sans même m'en rendre compte, puis la domestique entra en trombe dans la salle à manger, ses ballerines noires impeccablement cirées claquant sur le sol de marbre. Je quittai la pièce, emboîtant le pas à Aja ; le chandelier était encore allumé et les dorures de la façade scintillaient dans la semi-obscurité de la pièce. J'avais toujours trouvé la maison très belle presque malgré moi, mais je me faisais une hâte de la quitter. Mais pour cela, il me faudrait des réponses à mes questions.
“Maman, on doit parler, c'est important,” commençai-je en arrivant à la hauteur de ma mère, le son de la détermination perceptible dans ma voix. Elle poussa un soupir sans essayer de s'en cacher. “Mais enfin, tu vois bien que je suis exténuée... On remet ça à plus tard.”
Je me plantai devant elle, les sourcils froncés, une expression de lassitude ancrée sur mon visage.
“Non, c'est maintenant qu'on va parler... Parler de Papa.”
Aja me dévisagea en silence un instant. Elle s'y attendait, c'est sûr, mais elle semblait aussi agacée que si je l'avais prise complètement au dépourvu.