ANJA ELDJARN ► Michelle Randolph

       « J'arrive toujours pas à le croire. » exprimas-tu, le regard dans le vide alors que ton sourire ne te quittait plus. Sa main vint caresser ton bras, tendrement, ce qui attira tes yeux verts jusqu'à ses perles azurées. « Tu peux me l'avouer maintenant. » annonça-t-il en haussant légèrement les sourcils. Mais tu ne voyais absolument pas à quoi il faisait allusion, ce qu'il devina aussitôt « Que tu as triché pour être prise là-bas. ». Tu fis mine de t'indigner et le poussas gentiment « Dis pas des bêtises. En plus c'est, je pense, impossible de tricher pour y entrer. » dis-tu en haussant les épaules. Vous étiez là, assis sur le rebord de ta fenêtre, et tu ne savais plus comment agir. Lorsque tu avais eu ta réponse pour Harvard, tu avais sauté dans tous les recoins de ta chambre, relisant un nombre incalculable de fois ce bout de papier qui t'ouvrait les portes d'une des meilleures universités au monde. Tu n'y avais pas cru, et pourtant, c'était la réalité. A présent, tu réfléchissais à toutes les conséquences que cette lettre allait avoir sur toi, et ta vie. Tu allais devoir changer de pays, ce qui voulait dire partir du foyer familial, s'éloigner d'Elias avec qui tu partageais une relation amoureuse depuis quelques mois. Tout allait changer. Tu laissas tomber ta tête sur l'épaule du beau blond à tes côtés et soupiras, sans ajouter quoi que ce soit. Les minutes passaient dans un silence doux mais tu sentais la main d'Elias sur la tienne raidie, tout comme le reste de son corps. Tu te redressas et l'observas, interrogative. Il remarqua ton regard et leva sa main vers ton visage pour y caresser ta joue, délicatement. « Boston... C'est loin An. » prononça-t-il dans un murmure à peine audible. Tu penchas ta tête pour sentir un peu plus sa paume contre ton visage et soupiras. « Je sais, mais ça nous coûte rien d'essayer, pas vrai ? » tu avais conscience que cette proposition pouvait déplaire à ton petit ami. Vous étiez jeunes, trop jeunes pour vous encombrer d'une relation à plus de huit d'heures de vol l'un de l'autre. Mais tu étais rêveuse, et profondément attachée à son sourire. Tes yeux scrutaient chacun de ses traits, à la recherche d'une réponse. Au bout de quelques secondes, un sourire apparût à la commissure de ses lèvres et il déposa un doux baiser sur ton front. « Comme si j'allais laisser un américain te toucher. » dit-il avant de te prendre dans ses bras, ce qui provoqua une petite hilarité chez toi.


       Délicatement, tu poussais la porte menant à la chambre de Noora. Il était tôt, beaucoup trop tôt. Tous les étudiants dormaient à poing fermé alors que tu te faufilais dans le lit de ton amie. Tu savais qu'elle ne dormait pas. L'angoisse lui bouffait l'estomac tout comme elle t'envahissait petit à petit depuis quelques jours. Tu n'avais pas besoin de parler, parce qu'elle savait ce que tu avais en tête tout comme tu savais ce qu'elle ressentait à cet instant même. L'aurore peignait le ciel d'une couleur orangée presque apaisante, et pourtant, ton cœur s'affolait. Ton esprit était préoccupé, tu te sentais menacée comme il y a un an, jour pour jour. Ta main vint saisir la sienne dans un geste tendre, moins précipité et violent que la première fois où vos paumes se sont rencontrées, sous cette table, seule défense contre les murs de la cafétéria du campus qui s'abattaient sur vous. Ses doigts effectuaient une pression sur les tiens, geste qui t'encouragea à t'approcher un peu plus d'elle pour la prendre dans tes bras frêles. « N'en profite pas pour me tripoter. » chuchotas-tu, ironique. Tu camouflais ton stress du mieux que tu pouvais, un effort pour rendre cette journée moins pesante, moins maussade. Chaque élève allait se réveiller avec le souvenir écrasant du bruit des explosions, avec l'image de leurs amis blessés par les écroulements ancrée dans leur mémoire. Toi, tu n'avais pas fermé l’œil de la nuit. Tout comme Noora. De par le rayon de lumière qui s'infiltrait dans la pièce, les cernes de ton amie étaient visibles. Elle te fixait de ses yeux bleus et t'apparaissait si fragile à cet instant. Bien loin de l'idée qu'elle renvoyait au quotidien. Vos visages se faisaient face et tu lui accordas un maigre sourire, auquel elle répondit tout de suite. « Tu fais peur à voir. » dit-elle, sans gêne. Tu rigolas légèrement « Je te retourne le compliment. ». T'aimerais effacer cette journée de ta mémoire, t'aimerais revenir en arrière et ne jamais mettre les pieds sur le campus à ce moment. Mais dans cette noirceur apparaissait une pointe de bonheur, personnifiée par le sourire de Noora.



       Un nuage de fumée s'échappait d'entre ses dents en même temps qu'elle levait sa tête vers le ciel bleu tandis que tes yeux étaient fixés sur ton carnet tout en surveillant du coin de l’œil ton téléphone. « C'est pas en scrutant ton IPhone toutes les deux secondes que la réponse arriva plus vite tu sais. » annonça Noora en t'observant, un sourire taquin attaché à ses lèvres. Tu soupiras et la pointas du bout de ton stylo, menaçante « Premièrement, je n'attends rien. » puis, tu tendis ta main vers elle en désignant le joint qu'elle tenait entre ses doigts « Deuxièmement, passe moi ça. ». Elle s'effectua et tu tiras deux petites lattes avant de lui rendre. Son regard était quelque peu insistant mais tu n'y faisais pas attention, parce que tu savais très bien ce qu'elle allait dire ou tout du moins, le sujet qu'elle allait évoquer. Il ne lui fallut que quelques secondes pour se décider à te rentrer dedans comme elle savait si bien le faire « Sérieusement Anan, depuis ce matin t'es accrochée à ton téléphone dans l'espoir d'une réponse. Elias est très certainement occupé. » . Tu posas ton stylo dans ton carnet et le refermas d'un coup sec avant de le ranger dans ton sac. Aucune réponse ne te venait à l'esprit ou plutôt, tu n'avais pas envie de répondre. Elle avait raison et pourtant, ça ne t'empêchait en aucun cas de t'inquiéter. Cela faisait cinq ans que vous étiez ensembles, cinq années à se voir pendant les vacances et encore, cela arrivait quand vous aviez la chance de l'être en même temps. Noora, à tes côtés, haussa les épaules, lasse. « Y a des moments où je me demande pourquoi tu t'emmerdes avec une relation à distance. Y a des mecs plutôt pas mal dans le coin. » ajouta-t-elle en posant ses iris sur un groupe de Mather passant par là. Tu suivis son regard et t'appuyas un peu plus contre l'arbre où vous aviez l'habitude d'aller pendant les pauses et répondis, d'un ton des plus sarcastiques « Ah oui t'as raison. Les mecs qui pensent qu'à se bourrer la gueule et à se taper le plus de nanas possibles, c'est tout à fait mon type. Sans compter leur désintérêt total pour ce qui les entourent, je suis charmée. ». On pouvait l'admettre, tu étais une jeune femme pleine de préjugés et on avait beau essayer de te faire penser l'inverse, bien souvent il était difficile de te faire changer d'avis. Tu attrapas ton sac et te levas avant de te retourner vers Noora « Je te les laisse volontiers. ». Tes jambes t'éloignaient doucement d'elle et avant d'être trop loin, tu lui accordas une dernière parole, amusée « On a cours de physique dans dix minutes. Si t'es encore en retard, M. Goff va pas t'accepter et compte pas sur moi pour te filer le cours. ». L'agitation que provoqua ton annonce chez ta meilleure amie te fit rigoler et quand elle apparut de nouveau à ta hauteur, tu ne cachas pas ton hilarité.