JAHIR A. WESTON ► Gabriel Loureiro

« Salut tout le monde. » Je marque une pause, mon sourire enjoué ne s’écroule pas une seule seconde, il reste perché sur mes lèvres malgré le numéro d’équilibriste que je lui demande d’exécuter présentement. Mes joues sont rosées par le trac, par la timidité maladive qui me paralyse dès qu’il s’agit de prendre la parole en public. Les projecteurs sont braqués sur moi, les quelques membres de la production qui se tiennent à mes côtés, derrière la caméra, me font signe de continuer. Le temps c’est de l’argent, on ne peut pas se permettre de le jeter par les fenêtres en le gaspillant de la sorte. Je m’éclaircie la gorge, incertain et lève les yeux. Je ne m’adresse plus à la caméra à présent mais à la productrice que je sens déjà soupirer avant même d’avoir pu entendre le son de ma voix briser le silence de mort qui règne dans cette pièce. « C’est à cet instant que je suis supposé me mettre à raconter toutes les choses qui ont fait de ma vie un enfer ces dernières années ? Ah oui, pour s’attirer les faveurs du public, encore et toujours. » Elle acquiesce, baragouine quelque chose en rouspétant et coupe les caméras. On reprend dans cinq minutes, c’est bien ce qu’elle a dit ? Ses assistants la rejoignent, les silences laissent place à quelques murmures régulièrement ponctués de regards dans ma direction, ils parlent de moi, aucun doute là-dessus.

Une stagiaire, je crois que c’est ça, ils ne l’appellent même pas par son prénom, numéro 4, elle répond comme du bétail entassé dans un abattoir, elle porte un numéro et attend sagement son tour, le moment où elle sera jetée dehors comme une moins que rien, c’est bien ce qu’ils font ici non ? Ils te prennent, t’utilisent et te détruisent une fois qu’ils ont terminé de pomper chaque segment de ton âme qui les intéressait et pouvait potentiellement les enrichir. Cette industrie qui me faisait tant rêver, quelques jours en son sein et je suis déjà tombé de haut, très haut. Qui l’eut cru. Cette fameuse stagiaire me rejoint, elle a encore l’énergie, l’espoir… Communiquer sans prendre un air hautain des plus agaçants est encore à sa portée. « Jahir, tout va bien ? » Elle est la seule personne à qui je parle depuis mon arrivée ici, Bon Dieu mais qu’est-ce qui m’a pris de venir ? « Je ne sais pas ce que je fais là, je ne devrais pas, ce n’est pas moi tout cela. Je ne vends pas mon image, j’ai juste pensé que… Que pour une fois chanter ferait la différence ! » Naïf, mes parents n’ont eu de cesse de me le répéter, je n’étais déjà pas capable de chanter devant eux alors devant des millions de personnes en direct ? Je ressortirai de cette expérience grandi, je leur ai donné tort, chanter devant des inconnus s’est avéré plus facile que devant mes proches, je suis même parvenu à me qualifier, c’est ainsi qu’ils appellent cela n’est-ce pas ? Félicitations Jahir, trois coachs se sont retournés pendant ta performance, tu n’as plus qu’à faire ton choix, bienvenue dans The Voice. « Tu es différent Jahir, joue sur cette différence, montre leur que la différence fonctionne ! » Un regard rassurant, une main posée sur l’épaule en signe de soutien et la voilà déjà repartie, elle a sèchement été rappelée à l’ordre par la productrice, il est temps pour les caméras de se rallumer.

Une brève inspiration, mes yeux se ferment un instant pour faire le vide, plus rien n’existe à l’exception de cette maudite caméra. Tu dois te prouver que tu peux le faire, ne donne pas raison à tes parents, ces mêmes parents qui t’ont fait promettre de reprendre tes études de médecine si tu n’arrivais pas à percer dans la musique cette année. Une nouvelle énergie retrouvée, un peu plus d’assurance malgré cette timidité maladive. « Comment j’envisage la Battle de ce soir ? Comme une formidable opportunité, une occasion beaucoup trop rare de chanter avec un autre musicien talentueux. Ce soir je ne combattrai pas pour une qualification à l’étape supérieure, je prendrai simplement plaisir à fouler cette scène histoire d’entasser les bons souvenirs. Profiter, j’espère donner le moi-même, surprendre et continuer à profiter comme je le fais depuis le début. » Ils n’auront pas mon intégrité sous prétexte que la compétition doit faire rage, je ne suis pas un combattant, pas un gladiateur, je ne suis qu’un petit jeune qui croit en ses rêves.