high by the beach (nour)

Il est à peine 17h32 et tu t'ennuies déjà. Ça doit faire une quinzaine de minutes que t'as franchi les murs de la bibliothèque. Autant t'adores cet endroit, autant aujourd'hui t'as tout sauf envie d'y passer toute ta soirée. Tu poses tes coudes sur la grande table, le visage entre les paumes déformant un peu tes joues. T'as trouvé comment t'occuper pour l'instant. T'analyses tous les visages d'étudiants que tu croises du regard. À droite, deux tables plus loin un petit bouclé aux lunettes rondes. Tu souris, il a la tête parfaite du garçon timide. Alors tu décides d'entamer une bataille de regard, histoire de tester un peu sa gêne. 1, 2, 3, il te regarde lui aussi. Tu persistes, tentant un petit clin d’œil pour le déstabiliser encore un peu plus. Et là on arrive au moment drôle du garçon timide : il est gêné, ça se voit. Il tourne le regard, fait mine de s'intéresser à son livre (qui devient tout d'un coup absolument passionnant) et fait bien attention à ne plus recroiser tes yeux. Tu souris, première victoire. Tu cherches une autre victime à ton petit jeu et tombe sur une jeune femme brune. Tu l'observes quelque temps, t'analyses ses gestes rapides. Elle a totalement l'air sur le point d'exploser, elle s'énerve en entendant son stylo tomber, le ramasse et entraîne son livre dans une chute imprévue par son mouvement. Ça y est, t'as trouvé une encore meilleure victime. Tu réfléchis à ta technique d'approche. Fière de ta trouvaille, tu t'avances et t’assois juste en face d'elle. Elle lève les yeux de son livre pour te regarder. Tu commences avec un vrai faux sourire, histoire de montrer que tu n'es pas totalement folle. Et puis tu lances la bombe.
— T'as encore de la poudre sur le nez.
Tu fais mine de t'essuyer le nez avec un sourire moqueur, attendant sa réaction.

La semaine avait été longue, trop longue peut-être. T'étais rentrée de ce voyage au Mexique avec les Dunster, t'avais pas vu le temps passer, t'avais pris du retard sur tes cours, t'angoissais rapidement. Alors ce matin t'avais pas hésité à te lever très tôt direction la bibliothèque. T'avais pris de quoi tenir, sentant ton corps beaucoup trop endormi pour se concentrer plus de deux secondes. T'étais assise là sur cette chaise, surplombant cette table en bois massif. Tu commençais à piquer du nez, t'allais faire un petit tour aux toilettes, tu sortais ta petite boîte magique et tu te roulais un rail sur un livre. Avec le temps, t'avais appris à faire ça rapidement et efficacement. Tu sniffais, tu penchais ta tête en arrière, tu te secouais légèrement et un sourire victorieux venait se feindre sur ton visage. Tu retournais à ta place, rouvrant ton livre, te concentrant plus que jamais. Seulement ton stylo tombait, et c'était un enchaînement avec ton cahier, tu soupirais. Ta jambe tremblait d'énervement, tu perdais un peu le contrôle, t'avais peut-être un peu abusé sur la dose du rail que t'avais pris. A ce stage, c'était plus seulement une question d'être boosté mais d'être défoncée. Tu serrais les dents, t'arrivais plus à lire correctement. Tu te devais de te calmer, c'était primordiale. Seulement tu sentais un regard, tu levais tes yeux sur une blonde que tu n'avais jamais vu jusqu'ici.  Tu levais un sourcil devant son sourire, qu'est-ce qu'elle te voulait ? Puis là tu sentais le monde se dérober sous tes pieds, c'était impossible, elle mentait. Tes yeux s'arrondissaient tel deux ballons de foot, t'apportais automatiquement ta main droite à ton nez. C'était impossible, tu regardais à droite, à gauche, tu reposais tes yeux sur ton livre puis tu finissais ta route sur elle. T'avais toujours ta main à ton nez, venant le frotter d'un retour de manche avant d'voir qu'aucune poudre se trouvait sur ton pull noir. T'étais perdue, tu comprenais pas, est-ce qu'elle t'avait vu ? Tu te levais, tu la scrutais. "Pourquoi tu dis ça ?". Tu sentais bien que c'était pour te déstabiliser, tu savais pas quoi faire, ni quoi dire. T'avais envie de partir en courant, c'était impossible. Personne n'était au courant, pourquoi cette inconnue serait-elle la première prévenue ?

C'était bien une de tes passions ça, enquiquiner de pauvres inconnus qui n'ont rien demandé. T'étais restée gentille avec le petit bouclé, mais là t'avais eu envie de rire un peu plus. Tu ne savais pas trop si c'était la meilleure technique d'approche mais généralement, les gens se souvenaient de toi après une rencontre assez mémorable comme celle là. T'avais marqué le coup pour cette fois, tu l'attaquais sur un territoire défendu et secret. Enfin, elle avait tout l'air de cacher cette addiction au reste du monde. Puis t'arrivais, avec ton sourire angélique pour révéler que t'avais tout compris, bien trop rapidement. T'avais en quelque sorte une faculté d'analyse du comportement assez développée, d'autant plus quand il s'agissait de consommation de drogue. Tu savais en reconnaître les effets à dix kilomètres. Et puis vu son attitude, il n'y avait plus vraiment de doute. Tu te mettais à rire sans retenue. Elle avait l'air totalement déboussolée par ta remarque, comme si tu venais de lui apprendre le pire drame de sa vie. Ses yeux, ronds comme des ballons, avaient doublé de taille. Elle s'essuyait rapidement le nez et comprenait bien vite qu'il n'y avait absolument rien. Au moins, elle faisait ça proprement. Pourquoi, qu'elle demande. Tu lui souris et hésite entre une grande démonstration de ses actions ou une simple remarque.
— On le voit à quinze mille kilomètres que t'es sous coke. Je dois pas être la seule à l'avoir remarquer.
Tu regardes autour de toi et fais mine de pointer d'autres étudiants du doigt. Tu t'amuses comme une enfant. T'as bien envie de jouer l'énumération des effets secondaires aussi.
— Hyperactivité, zéro coordination, agitation... Je continue?
Elle va finir par te détester si tu continues. Alors tu tentes de paraître un peu plus amicale, toujours sur le ton de la plaisanterie.
— C'est bon je rigole! Je le dirai à personne promis, c'est notre petit secret.
Clin d’œil et index sur la bouche l'air de dire "chutttt", tu lui souris et reposes ton visage entre tes paumes.
— Bon allez je vois bien que t'es pas passionnée par ce que tu lis aloooors... On fait quoi ce soir?
Betty et l'art de monopoliser la parole face à des inconnus avec qui elle se comporte comme s'ils étaient ses meilleurs amis. T'espères au moins qu'elle sera un peu drôle sinon t'as plus qu'à repartir l'air boudeur. Ou insister, c'est bien aussi, t'es plutôt douée pour ça.