Ian H. Eastwood ~ Félix Bujo

Enfant de l'amour. Enfant de l'amour de rien du tout. Peut être que tes parents s'aimaient réellement mais au fond t'en sais rien, tu ne les a pas assez connu pour affirmer ce genre de choses. Tu es né, tu as été choyé pendant cinq ans par une femme qu'on appelle communément "maman". Toi t'as trop de pudeur pour utiliser ce mot, alors tu dis pas. Elle est morte point. C'est clair, concis, ça laisse ton interlocuteur à son mal être parce qu'il vient de faire une bourde qui ne t'atteint pas. Et puis c'est drôle de les voir se confondre en excuses. C'est à eux de souffrir comme toi tu as souffert, souffert de cette perte. Comme un grand trou dans la poitrine qu'il faut savoir refermer. Tu t'es déjà recousu la peau sans anesthésie ? Beh essaye, ça fait un mal de chien. Tu peux pas t'empêcher de chialer comme un gosse, comme toi, quand le grand cercueil de bois descendait dans cette terre informelle, boueuse et froide. Voleuse. Tu étais un enfant pâle, copie sans grande saveur de ton grand frère et tu détestais la terre. C'est tout ce dont tu te souviens...

« Et binoclard, passe ta brioche, tu veux ? Ça serait gentil... » Neuf ans. Tu t'en souviens, c'est cette année où le gros Henry avait décidé de s'en prendre à toi. Ça avait commencé par les moqueries sur les lunettes, sur le physiques, les vêtements... Les pro du harcèlement puis du racket. Et t'avais surtout pas le droit de te plaindre. Sinon c'était les poings. Alors tu donnais et tu disais rien, t'osais pas, t'osais pas te rebeller contre cette bande de buffles. Tu t'es encore plus renfermé sur toi même mais au yeux des autres ça changeait rien, t'avais toujours été cette tête à l'expression capricieuse et taciturne. La seule personne qui avait remarqué c'était ton grand frère. Ilhan Eastwood, le seul, l'unique. Tu l'admire, le pose sur ce piédestal de cristal, il est à toi un point c'est tout. Sans lui, tu ne serais sûrement pas celui que tu es réellement aujourd'hui. Vous vous êtes soutenus comme des soldats après cette première tragédie de la mort de votre mère. Vous avez grandis ensembles, bouffer ensembles, fait vos devoirs ensembles. De véritables siamois. Les enfants terribles du quartier. Il a comprit ce qui se passait, et il est venu menacer Big Henry et sa bande, comme ça « Tu touches à un cheveux de la tête de Ian, et j'te butte. T'as bien compris p'tit gros ? Je te tue... » Ce con de petit riche il t'as plus jamais approché. C'est vrai qu'il en imposait Ilhan...

Vous avez grandit et puis il a commencé à déconner. À faire l'idiot, le con, le délinquant. Appelez ça comme vous voulez, toujours est - il qu'il a oser dévier de ce bon vieux droit chemin. Trempant dans des affaires pas très nettes. Tellement pas nette qu'il a été envoyé en maison de redressement. En t'abandonant. Tu l'a mal pris, oh que oui. Un an, un an ou il est devenu un véritable inconnu pour toi. Inconsciemment, sûrement, tu t'es mis à faire la même chose, histoire de te rapprocher de la seule personne qui comptait véritablement à tes yeux bleus d'ange. Drogue, alcool, sexe et t'en passes des vertes et des pas mûres. Mais pas à l'excès, pas jusqu'à la maison de redressement. Tu t'en es sortit en rencontrant un type, un français. Pierre. Un humoriste raté qui traînait dans la bas fonds à donner chaque soirs des one man show risibles pour quelques dollars à dépenser au jeu. Il t'as prit sous son aile, t'as découvert que tu aimais faire rire. Les éclats des gens te permettaient d'oublier quelque peu la misère. Et puis d'après le parisien, t'étais pas mauvais. Alors tu fais rire, tu racontes des blagues, tu distribues de la bonne humeur. Les profs t'adorent, les gens te respectent. C'est rassurant. La prof de bio dit même que tu as tes chances pour de plus grands projets. Tu sais pas ce qu'elle consomme mais elle te voit déjà à Yales ou Harvard. Avec les bourses offertes aux meilleurs élèves. T'as encore du temps, mais ça te fait rêver. En attendant, Ilhan est revenu c'est tout ce qui compte, rattraper le temps perdu...

« Tu m'a manqué enfoiré. » T'es rude mais c'est pour cacher tes blessures, et dans la seconde qui suit, tu plonges dans ses bras, à terre. Cette phrase tu la répète et répète encore. Il ne fait que disparaître, t'as toujours peur de ne jamais le revoir. Sauf que là, c'est ton père qui est à terre, qui ne se relevera pas. Les secours ont appelé de suite, t'es arrivé comme une furie, pleurant sans pouvoir t'arrêter. Alors quoi, ça y est ? Balayette et t'étais orphelin ? Merde, c'est quoi cette vie injuste ! Ton frère est prostré, à terre, les ambulanciers voulant le faire bouger. « Le touchez pas ! » Tu hurles comme un possédé, vous formez un bloc indestructible sur le bitume. Le Roc Eastwood. Ça a été long de vous faire quitter le gravier qui vous écorchait les genoux. Tu t'en souviens, t'as même fait une blague de merde, un bon cri de désespoir qui t'as rendu malade des semaines. Vous avez été trimbalés dans une famille d'accueil, sûrement, peut être, tu t'en souviens plus. Toi ton échappatoire c'était la phsyique, le laboratoire et les préparations moléculaires en tout genre. Un vrai petit génie de la science. Au final, ta vieille prof de sciences naturelles avait raison. T'as suivis Ilhan à Harvard. T'as passé les tests avec brio, tu t'es trouvé un job, une jolie fille sur laquelle fantasmer... Tu te construis mais ça prend du temps, heureusement t'as que vingt deux ans...