we push and pull like a magnet do (jasia)

Ses doigts fins se mirent à pianoter devant l'imprimante de taille qui régurgitait avec une régularité foudroyante les pages saturée de lettres et de formules compliquées. Rien que du contenu plus que familier pour Ezia qui côtoyait les mystères de l'univers depuis cinq ans désormais. Ce n'était qu'un essai incomplet de son dossier de fin d'année mais elle aimait à le voir prendre forme progressivement. Rassemblant les feuilles entre elles, la blonde prit la direction de la salle des professeurs dans laquelle elle espérait trouver son professeur référant pour le lui rendre. Se frayant un chemin parmi le flot estudiantin, elle parvint près de la pièce qu'elle cherchait à joindre dont la porte était restée ouverte après un va et vient considérable à cette heure du midi. Alors qu'elle se présentait à l'embrasement de la porte, frappant un léger coup pour se faire remarquer, elle jeta en même temps un coup d'oeil à l'intérieur. C'est là que ses prunelles noisettes captèrent une once de souvenirs, réminiscence inattendue d'un passé qui en devenait presque lointain. Ses yeux vinrent se fixer aux siens quelques fines secondes, avant qu'une voix ne lui rappelle où elle se trouvaient. « Mademoiselle, je peux vous aider ? » Rompant le contact visuel immédiatement, elle se tourna vers la femme qui venait de lui adresser la parole avec un grand sourire. « Oui, bonjour. » Ezia retrouva son sang-froid à une vitesse fulgurante. « J'étais à la recherche du professeur Grindlay, du département d'astronomie. » ajouta-t-elle en montrant le dossier qu'elle tenait toujours à la main. « Vous n'avez pas de chance, il vient de partir mais si vous voulez bien, je pourrais déposer votre rapport dans son casier. » Après avoir remercier distraitement l'assistante, Ezia glissa un nouveau regard vers Lui avant de sortir de la salle sans savoir vraiment ce qu'elle attendait. Qu'il la suive ? Inévitablement.

J'attends. J'sais pas bien quoi, j'sais pas bien pourquoi. Deux des quatres pieds de la chaise en lévitation, mon corps en équilibre précaire. Jasper écoute distraitement les conversations croisées de ses collègues, accueille d'un rire poli certaines remarques, se contente d'une moue pour d'autres. Nouveau monde que voilà. Mais l'homme s'adapte, c'est une de ses facultés. Il attends que l'ennui le pousse à quitter les lieux. Ou mieux. Tentons l'inédit. Le regard, vague, dont les prunelles se soulignent quand elles s'arrêtent sur celles d'en face, dans la petite ouverture de la porte. On lui parle, et il écoute rien. Il a ce sourire d'idiot aux commissures. L'image s'échappe d'entre les montants de bois, et l'ancien étudiant fait claquer sa chaise en sol, en même temps qu'il se lève d'un bond. Passe la salle, se retrouve dans le couloir. Mes doigts qui se referment sur ton bras, je t'attrape au vol, je te retiens dans mon présent. J'impose la fin. Et dieu que l'illusion est réelle, quand le toucher s'ajoute à mes autres sens. J'y entendrai presque le bruit de ton battant, si l'adrénaline ne brouillait pas le mien. Et quand tes prunelles terminent inévitablement sur ma mine d'homme désorienté, l'Ellington ne trouve rien de mieux à faire que d'appuyer sur la poignée de la salle de cours que vous alliez dépasser. Tu la sais vide, enfin, tu espères. « Pars ici. » Ouais, tu viens d'embarquer une étudiante dans une pièce, sans son assentiment, pour des perturbations passées. Quand tu fermes la porte, scellant ta connerie, l'intellect revient. Un peu trop tard. Lâche la pauvre demoiselle. « Désolé je.. » Suis normal, même brillant, d'habitude. Mais tu t'es éloignée trop de fois. Se pince les lèvres. Va bien falloir s'en sortir, maintenant. « Tu te rappelle de moi ? » Ca serait un bon début, déjà.

Le doute s'empare d'elle alors qu'elle franchit l'embrasure de la porte. Elle marque un temps d'arrêt, hésite, puis repart. Ezia ne sait pas, ne sait plus. Egarée entre cette vision du passé, les souvenirs associés qu'elle a tant ressassée et la réalité du présent, elle se perd entre ses propres désirs et le concret. Elle compte mentalement les années qui les séparent de leurs dernières rencontres, se remémore le jour et l'heure de chacune d'entre elles pour finir par se résigner face au gouffre temporel que cela représente. Trois années depuis la dernière, quatre depuis la première pour si peu de contact. Oh, à quel point il est facile de reculer, de se persuader, d'essayer d'oublier. C'est d'ailleurs ce qu'elle avait finit par faire, tâche à laquelle elle avait si subtilement échouer. Et s'il y était parvenu. Avec si peu d'interactions, il était plus facile d'hypothétiser que de conclure quoi que ce soit. C'est alors qu'elle est arrêtée dans son mouvement, suspendue, retenue. Se retournant dans une même impulsion, elle le retrouve plus près qu'elle ne s'y attendait, balayant ses incertitudes par le contact de ses doigts sur sa peau. Les secondes s'écoulent. Suffisamment pour les éloigner. Suffisamment pour les isoler. La folie disparaît alors. Retour à la conformité, au commun, à la raison. Ezia qui esquisse un sourire. « Ne t'excuse pas. A vrai dire... J'espérais que tu sortirais. » Sa main vint glisser inconsciemment sur le poignet qu'il tenait quelques secondes plus tôt. « Donc oui, je me rappelle. Difficile de ne pas le faire. » Qu'elle le veuille ou non, il était la seule bonne chose qui lui soit arrivée ce fameux 17 janvier. Son sourire tressaute un maigre instant, imperceptible, alors qu'elle balaye l'image funeste qui s'imprime devant ses yeux. Parfois, elle aurait voulu avoir une mémoire sélective. Ne garder que le bon, abandonner la suite. Se souvenir d'un visage sans devoir réaliser qu'elle ne verrait plus jamais le deuxième. « J'ignorais que tu étais professeur. » J'ignore tellement de choses.

L'imprudence gagne sur le raisonnable, l'envie spontanée sur la mesure. Mais Jasper, ce n'est qu'une brève dose, de quoi t'étourdir quelques secondes, le temps de l'isoler. Maintenant, t'en balbutierai presque, toi l'orateur. « Ne t'excuse pas. A vrai dire... J'espérais que tu sortirais. » L'air retrouve ses poumons. Oh tu sais, je déteste ce flot d'incertitudes. Ces remous sous la peau, qui perturbent l'imperturbable, font échouer le plus grand des intellects. Enfin, non, tu ne sais pas. Tu ne sais rien de moi, en vérité, j'suis même pas sur que tu connaissais le timbre de ma voix avant qu'elle ne s'adresse à toi. Le reflet de mes prunelles bleues, quand elles s'animent. Deux inconnus, qui se laissent guider par des idées. Est-ce qu'au moins tu te rappelles de moi ? Les années sont passées, et avec, la vie qui fait son œuvre. Mes traits ont dû se dissiper dans ton esprit, mes traits qui se sont affirmés, privilège de l'âge. Moi j'me rappelle de toi. Ils diront que j'ai juste une bonne mémoire, c'est mon côté dunster. Mais, elle est sélective. Elle broie les souvenirs qui ne comptent pas ; elle ne t'as pas broyé. On s'est retrouvé, plus tard, et j'ai essayé. Il a juste fallut qu'un de ceux qui nous séparaient dans l'espace, soit armé. Ce qui, tu en conviendras, rend l'approche plus difficile. Puis, j'avais, tatoué, des remords, des douleurs. Auxquels ton image était associée, malgré toi. « Donc oui, je me rappelle. Difficile de ne pas le faire. » Je gommerai la date, si je pouvais. Je nous mettrai dans une salle quelconque, un de ces jours ennuyeux. « J'aimerai être désolé que ça soit le cas, mais j'y arrive pas. » Souhaiter l'oubli de ces heures à tous ceux qui l'ont vécu, sauf à toi. Egoiste que je suis. Comme si le sacrifice de nos yeux qui se croisent, ne valait pas celui de l'horreur et des cauchemars. Je n'ai pourtant pas la prétention de les gommer. « J'ignorais que tu étais professeur. » Le regard se baisse rapidement, pour revenir tout aussi prestement. Comme s'il s'en rappelait seulement. « C'est récent. Je n'y suis pas encore très habitué moi-même. » Une lubbie de passage, une occupation. Le sourire se fait amusé, il s'en pince les lèvres. Recule d'un pas, pour mieux rentrer dans la pièce, pour te laisser respirer, aussi. Surtout. Te regarder, toujours. « Tu crois qu'on doit redouter un drame, du coup ? » Essayer de s'en amuser, de couvrir d'un drap les cris et le sang. Faire comme si c'était rien, jusqu'à y croire.