Aisling Cunningham ► KJ APA

Faut pas se voiler la face, les apparences sont trompeuses et les Hommes sont des menteurs. Il l’a compris dès son plus jeune âge, l’a vu de ses propres yeux, en a fait les frais et voit les conséquences dans son comportement encore aujourd’hui. Mais pour autant, il ne pas faire comme eux, ne va pas torturer une autre personne à cause de son apparence, son intelligence et ses hobbys. Au contraire. La différence est ce qui rend chaque personne unique. L’unicité de chaque être est la chose la plus importante sur Terre.

30 janvier 2000, San Francisco, Etats-Unis - « Baguette. » « Stylo. » « Allumette. » Non, ce n’est pas une liste de courses qu’il se dicte les uns après les autres. Ce n’est pas une dictée de la maitresse sur des mots que l’on utilise quotidiennement. Ce sont des adjectifs que les enfants utilisent pour décrire Aisling. Déjà, son prénom assez féminin lui donne des moqueries de la part de tous, sa paire de lunette à six ans n’arrange pas les choses. Mais son physique mince, presque maigre est définitivement la pierre noire de sa vie. Il n’a que six ans mais voit le monde autrement. Hyperactif, il est toujours en train de courir partout, a des mauvaises notes à l’école parce qu’il n’arrive pas à se concentrer et tout ce qui s’en suit d’une hyperactivité acquise depuis la naissance. Alors oui, c’est le petit monstre de l’école et cela fait un an que ça dure, depuis qu’il a posé les pieds dans l’enceinte scolaire dans la nouvelle ville où son père a trouvé un boulot d’ingénieur informatique pour Google. Il aurait aimé retourner en Ecosse, c’est chez lui, mais non. Il doit supporter et rester le plus sage possible. Difficile à dire pour lui qui a un grand besoin de se dépenser tous les jours pendant des heures afin de pouvoir dormir la nuit. « Viens mon chéri, ton cours de soccer va bientôt commencer. » Il prend la main de sa mère, baisse la tête devant les enfants qui rient de son apparence, et se colle contre les jambes de celle qui le protège depuis des années.

25 juin 2006, San Francisco, Etats-Unis – Douze ans sur cette Terre, cinq ans à San Francisco, il est temps de partir. Ses parents sont au bord du divorce, sa famille éclate et il est malade. Beaucoup trop pour rester dans cette ville qui l’a rejeté depuis qu’il y est. Enfermé dans sa chambre, broyant du noir. L’hyperactif a fait sa première dépression et est encore en plein dedans. Le divorce de ses parents n’est que le point culminant d’années de douleur et de peur. Il a peur de sortir, d’aller en cours, de faire face aux autres. Il est exclus, isolé, complètement abbatu et ne pense qu’à une chose, rester seul quitte à ne plus jamais sortir. C’est un état d’urgence pour la famille Cunningham. Les deux parents essayent de mettre leur différent de côté et d’envoyer de l’aide au jeune homme. Mais rien n’y fait. « On ne peut pas le laisser comme ça Declan. Il est malheureux. Amène le avec toi en Italie, ramène le là où il est né. Laisse le profiter de sa vie d’ado pendant deux mois. » L’année scolaire finit, il pouvait très bien partir avec son père. Hélène, sa mère, aurait le coeur brisé, mais c’était la meilleure des décisions. Il ne pouvait pas rester ici et vivre comme un reclus. Une semaine plus tard, il est en Italie, dans sa ville de naissance. Rome.

Février 2008, New-York, Etats-Unis – Rien n’y fait. Il a passé l’été deux années de suite en Italie, il a rencontré sa meilleure amie là bas, Gianna. Elle est comme une petite sœur pour lui à présent. Mais sa vie est toujours aussi misérable. Il jongle entre les périodes où il se sent bien, et d’autres où la peur de sortir le clou dans sa chambre, arpentant la pièce tel un homme perdu.  Sa mère l’emmène chez un psychologue. Son nouveau travail en tant qu’attaché de presse les a fait déménagé à New York, mais la situation en cours est toujours la même. Il a quatorze ans, est hyperactif et adore sortir. Mais cette peur panique de sortir, ce n’est pas normal. Cette impression que tout ce qu’il fait est minable, ce n’est pas normal. Cette impression d’étouffer dans son propre corps, de se noyer, ce n’est pas normal. Alors le psychologue discute avec lui, essaye de le comprendre. Un œil étranger, un avis extérieur, un diagnostic simple. Il souffre d’un trouble de l’anxiété et jongle avec une dépression depuis un bon moment sans s’en apercevoir. Les signes sont là pourtant, mais qui ne sait pas ne peut pas soigner. Alors il commence un traitement, espérant grandement que tout va s’arranger, que sa vie va changer.

5 Novembre 2010, New-York, Etats-Unis – L’oeil tuméfié, la bouche fendue, le corps meurtri, il rentre chez lui la tête baissé, caché sous sa capuche et passe devant sa mère le plus vite possible. Mais la manière dont il se tient le bras, ses côtés fêlées qui lui font souffrir le martyr si bien qu’il ne peut pas monter les marches jusqu’à sa chambre sans gémir de douleur, alertent sa mère. Il est en mauvais état et vingt minutes plus tard, c’est à l’hôpital qu’il est. On l’a tabassé. A cause de quoi ? Ses notes excellentes depuis qu’il commence son traitement, son physique toujours aussi fin, la fine paire de lunette qu’il porte sur son nez, son visage adorable et ses yeux uniques. Qui sait ? La jalousie d’une vie rêvée par un autre. La méchanceté gratuite dans un monde qui part déjà en ruine. Il ne sait pas, mais il veut mourir plutôt que de vivre encore un jour de plus ainsi. La prise en charge est rapide et il est laissé seul dans une chambre d’hôpital. Sortant de son lit, il se dirige vers la salle de bain, et avec le peu de force qu’il lui reste, il enfonce son point dans le miroir. Les bouts de verres tombent autours de lui et son reflet n’est que celui d’un pauvre type qui ne sait pas se défendre. Prenant un bout tranchant, il s’apprête à commettre l’irréparable, mais il voit le visage de sa mère sur le pas de la porte avec la carrure de son père juste derrière lui. Les deux parents prennent leur enfant dans leur bras, et essaye de sauver du mieux qu’il peuvent leur fils unique. Quelques heures plus tard, il est emmené dans un hôpital psychiatrique pour profonde dépression, anxiété aggravée et tentative de suicide.

6 Septembre 2014, Harvard, Cambridge – C’est la rentrée, le début d’une nouvelle aire. Plus musclé, moins intello, des yeux à faire tomber, un sourire de charmeur, mais toujours le coeur sur la main et la gentillesse dans le coeur. Il est ici, après une année en hôpital, et la fin de son lycée dans un établissement privé de Los Angeles. Il a apprit à aimer sa différence, à se défendre, même si il a toujours un trouble de l’anxiété assez prononcé et que sa dépression le guette au moindre coup dur. Mais là, sa bourse lui permettant d’intégrer une des meilleures universités du monde, sa passion pour le cinéma étant sa mineur, et son envie de toujours dire la vérité dans le journalisme en major, il est prêt à prendre le monde et montrer de quoi il est capable. Il n’adhère pas au système des confréries mais veille sur une en particulier, les Dunster. L’ambition qui l’habite est indéniable, et il a le goût du travail. Toujours sous médicament pour contrôler son hyperactivité, suivis par un psychologue à propos de sa dépression et son anxiété, il garde tout son contrôle et espère être le meilleur car c’est ce à quoi il aspire. Être le meilleur.

20 décembre 2014, Harvard, Cambridge – Noël était proche, très proche. Et pour la première fois, il allait passer cette fête seul, sans ses parents. Bien entendu, il allait les skyper en bonne et due forme chacun leur tour afin de leur souhaiter un bon Noël. Sa mère avait rencontré un bel homme qui la faisait fondre, et son père courait les minettes comme d’habitude. Mais au moins, ils étaient heureux. Et c’était le plus important. Il parcourait les magasins du centre commercial avec la maigre paye que le cinéma du coin lui donnait chaque mois pour son travail à la recherche d’un cadeau pour sa mère et Gianna. C’était peine perdu. Et puis, il l’avait vu. Elle. Blonde, assez petite mais pas trop, belle à en mourir. Il voyait la jeune femme avec un œil à la fois amusée et passionnée. « Je peux t’aider ? » Son sac coincé dans une porte qui refusait de s’ouvrir, ses cheveux en pagaille à force de lutter contre la force du destin qui voulait la ridiculiser. Il pouvait parfaitement comprendre le mince sourire de honte qui se dessinait sur les lèvres de la jeune femme. « S’il te plait. J’en ai un peu marre que tout le monde  me regarde comme une folle. » « Ne t’inquiète pas, ils n’ont jamais vu de vrais fous. » qu’il répond. Il fait parfois allusion à lui ainsi, mais elle ne le sait pas. Pas encore. Pas tout de suite. Ils finissent par passer la journée ensemble, à se découvrir, à s’ouvrir à l’autre car la connexion est là, belle et bien présente. Agathe Thomspers. La fille qui deviendra l’élément le plus important de sa vie.