JESSIE BANNERMAN ► anna kendrick

             Selon son état civil, Jessie Iris Bannerman est née le 5 décembre 1990 à l'hôpital de Boston. Elle est la première d'une fratrie de 4 enfants.

« Jessie, laisse ta mère respirer ». Elle se souvenait avoir lancé un regard noir à son père. Au moins, elle, elle s'intéressait à sa mère. Elle était si jeune, sûrement trop jeune pour s’asseoir sur un des sièges en plastique affreux des urgences. Jessie faisait en sorte d'occuper ses frères, avec tout ce qui lui tombait sous la main, notamment les magazines débiles qu'on pouvait trouver dans les salles d'attente. Elle n'en menait pas large mais s'arrangeait pour ne jamais se départir de son sourire. C'était sa marque de fabrique, de la bonne humeur en bouteille.

« Elle a quoi maman ? » avait demandé Damian en penchant la tête, comme si elle était soudainement devenue lourde. Pour une fois son père se retint de tout dire. Il semblait presque avoir pris conscience que les enfants n'avaiten pas à tout savoir. Mais Jessie avait entendu. Détresse respiratoire, avait-elle pu entendre lorsque le médecin s'était avancé vers son père. Il avait eu beau baisser la voix, elle était bien plus maline. S'ils arrêtaient de se prendre la tête avec son père, on n'en serait peut-être pas arrivé là. Sa mère était restée alitée plusieurs jours avant d'être autorisée à sortir. C'était peut-être ça le début de tout. De son envie d'aller dire merde aux maladies en devenant infirmière, d'accepter enfin l'idée que si ses parents ne faisaient rien, leur famille allait probablement imploser.


            Quel meilleur moment pour un divorce que l'entrée à l'université ? Jessie n'était pas aveugle, contrairement à ses frères. Elle avait compris, depuis quelques temps déjà, que ses parents étaient rarement présents dans la même pièce au même moment. Il fallait dire qu'avec un père directeur financier, il passait plus de temps avec ses collaborateurs qu'avec sa propre famille. Ils s'étaient tous fait une raison et avaient trouvé un rythme de vie à 5. C'était presque comme si elle n'avait qu'un père par intermittence. Il y avait du monde pour les cadeaux de Noël et les vacances d'été, mais le reste de l'année, c'était une toute autre histoire. L'université, c'était presque le nouveau souffle qu'elle avait attendu. L'occasion de s'éloigner de la maison. Le travail du pater n'avait pas que du mauvais ; couplé avec ses différents petits boulots et sa bourse, elle avait pu intégrer le College of Nursing and Health Sciences. Ses frères écument actuellement les mêmes bancs de cours qu'elle, dans des domaines différents.

Son choix de filière en avait étonné plus d'un. Sa mère, traductrice anglais-français lui avait permis d'effectuer quelques traductions avec elle et de devenir bilingue – un avantage lorsqu'on veut intégrer l'université. Son père, même s'il n'en parlait jamais, attendait surtout après ses frères pour prendre sa suite. Peut-être que s'il n'avait pas été voir ailleurs lorsqu'il était encore marié, ça aurait pu se faire. Maintenant, il se mettait probablement le doigt dans l'oeil.


            Jessie était crevée, sa garde de nuit était déjà terminée depuis plus de 20 minutes mais pourtant, elle restait plantée là. A veiller sur la chambre 120. La patiente - admise pour une infection pulmonaire sévère alors qu'elle était venue faire du tourisme dans la région - avait le sommeil plus que léger. Les craintes des patients qui se réveillent, les douleurs aussi. C'était le lot quotidien de Jessie. Depuis qu'elle avait intégré l'équipe des infirmières de nuit au Massachusetts General Hospital, en janvier 2016, elle faisait de son mieux pour les accompagner jusqu'au petit jour. Elle prenait généralement son service vers 20h et ne sortait de l'enceinte de l'hôpital que vers 8h30, se dirigeant d'un pas traînant vers son petit appartement, à quelques pâtés seulement de son travail.

Il était plutôt fréquent qu'elle assure deux ou trois nuits de suite, histoire d'arranger ses collègues. "Évidemment que je peux te remplacer demain", s'entendait-elle souvent répondre. Appréciée au travail, Jessie, c'était le rayon de soleil du service. Si jeune, si forte. Lorsqu'elle faisait du rabe, elle en profitait les jours suivants, c'était presque des vacances ! Le top pour aller boire un verre avec la bande. Elle ne les voyait pas assez souvent à son goût avec ses horaires décalés. Sans compter que ça lui occupait l'esprit, histoire de ne pas penser au sombre abruti qui l'avait laissée en plan il y a quelques mois. Il n'avait rien trouvé de mieux que de la larguer au téléphone. Ouais, au bout de 6 mois. Jessie ne savait même pas où il était et il s'en fichait pas mal. Ils s'étaient rencontrés grâce à des amis communs, et ç'avait presque été le coup de foudre. Même si le principe même du coup de foudre paraissait tellement naïf à Jessie. Elle avait l'exemple parfait avec ses parents. De leur bonheur familial, il ne restait que la maison de son enfance qui avait été vendue depuis quelques années. Elle passait parfois devant et elle avait encore du mal à voir des enfants d'inconnus s'amuser dans l'herbe qu'elle avait foulée pendant plus d'une décennie.

Spoiler: