RUTH WYNTERS ► joanna halpin

HARVARD, CAMBRIDGE
SEPTEMBER 10th, 2016

Okay, elle retire absolument tout le mal qu'elle a pensé d'Harvard. Cet endroit est absolument magnifique. Le campus a quelque chose de charmant qui adoucie le scepticisme et pessimisme maladif de la jeune femme. Il a ce quelque chose de paisible et de vif à la fois, un endroit où tout est possible, où les rêves les plus fous peuvent devenir réalité. « Mademoiselle... Wynters ? » Assise sur une banquette dans un couloir aussi grand que tous les appartements qu'elle a occupé depuis, elle tourne la tête vers une femme, bien apprêtée évidemment, qui l'invite à la suivre dans le bureau d'un des adjoints. Tout de suite elle se dit qu'elle aurait dû faire un effort vestimentaire, histoire de ne pas faire tâche avec son vieux jeans, son vieux T-shirt à message débile et baskets abîmées aux pieds. D'ailleurs elle rectifiera le tir cet après-midi après ce rendez-vous. « Bonjour, je suis Ruth Wynters. » Elle se présente et serre poliment la main de cet homme de la soixantaine sûrement, sourire aux lèvres. « Évidemment, je connais vos grands-parents et vos parents.. Tout d'abord je tiens à vous présentez mes plus sincères condoléances pour ces derniers, [...] » La jeune femme ne l'écoute qu'à moitié, gardant une oreille attentive dans le cas où une remarque intéressante se fait entendre. Mais elle se concentre plus sur son personnage, sur elle. La nouvelle « elle » et sur toute l'histoire de Ruth. Pour la première fois depuis très longtemps, elle se dit qu'elle devait peut être jouer le jeu, s'y donner à fond. Cette opportunité qu'elle a eu, elle ne se présenterait pas deux fois à elle, ça elle en est sûre. Il faut qu'elle en prenne soin, qu'elle en profite. Elle ne doit pas tout faire foirer à moins de ne tout perdre et retourner dans son vieux trou à rat... L'époque où elle n'était pas encore Ruth, mais celle où elle n'était que Winona.

DEUX MOIS PLUS TÔT...
SYDNEY, AUSTRALIE

« Tu comprend pas Winnie ! Cette fois on est vraiment dans la merde, on ne peut pas rester ici. Il faut qu'on parte d'ici, de ce pays, très loin. Ce type a des gars partout. Le temps qu'il remarque l'absence de l'autre taré, qu'il voit le trou dans son compte en banque...  On a une semaine tout au plus. » A bout de souffle, il déposa une main contre le mur, s'appuyant pour gagner quelques secondes de répit. « Une semaine ! Mais on ne pourra pas se faire de nouveau papier d'ici une semaine ! » Elle avait envie de le lui hurler à la figure, mais impossible. Dans le bar, elle aurait bien trop attirer l'attention, si ce n'était déjà pas bizarre que l'unique barmaid de l'heure soit en train de discuter à part avec un type tout aussi étrange. « Je vais faire mon sac, et on file à l'aéroport alors ? » Le visage de son frangin se crispa, avant de littéralement se décomposer. Elle comprit tout de suite, à son expression qui lui disait désolé, mais je n'avais pas le choix que ce gaillard lui avait fait à l'envers. « T'as pris qu'un seul billet salaud... » Déception. Rage. Si elle ne travaillait pas, et si elle était certaine de pouvoir lui faire mal, elle lui aurait enfoncé ses poings dans la figure. La gorge serrée, elle garda la face bien que les larmes de rage lui chatouillaient les yeux. « Dégage... » souffle-t-elle, le regard fixant la sortie. Elle aurait préféré qu'il se contente de s'en aller, qu'il n'essaie pas de s'expliquer davantage. Il n'y avait rien à expliquer, tout était très clair. « Tu vas t'en sortir Winnie, tu t'en sors toujours. Il faut juste que... » « DÉGAGE ! » tranche-t-elle avec véhémence. Bon sang ce qu'elle le déteste. Elle le hait. Du plus profond de son cœur. PUTAIN D'ESCROC... Et pourtant, cela ne devait pas la surprendre. C'était dans leur sang. Leurs parents étaient des escrocs, ils étaient morts en escroquant des gens. Son frère est un escroc. Elle-même est une escroc. Elle ne doit pas s'attendre à ce que les escrocs soient honnête envers elle.
« Excuse-moi... » parvint-elle à dire dans un souffle, revenant à son poste derrière le bar auprès de Ruth, la vacancière britannique. Cette dernière haussa légèrement les épaules, la regardant d'un air inquiet. « Ca n'a pas l'air très... légal ton truc ? » Les deux jeunes femmes ne se connaissaient que depuis quelques heures mais c'étaient comme si elles étaient sœurs. Pour le peu de confiance qu'elle accordait aux gens en général, Ruth était la grande exception à l'heure actuelle. C'était plus simple de se confier à des inconnus, de parler de choses personnelles dans la mesure où vous ne les reverrez plus jamais. La jeune barmaid reprit le verre en main et l'essuya avec un torchon, comme si cela allait l'aider à faire passer la mauvaise nouvelle, en vain.

***

« Mais oui c'est parfait ! » Winona recrache sa boisson, mettant sa main devant sa bouche dans un réflexe, pour cacher les dégâts. « Ohlaaaa doucement Ruth. Je... C'est complètement dingue ce que tu racontes. » « Non c'est exactement ce qu'il fallait ! Je ne veux pas aller à Cambridge, et toi tu rêves de te barrer de ce putain de bled paumé ! » C'est dingue. Complètement dingue. Prendre la place de Ruth ? Devenir Ruth. Être Ruth, c'était ça son plan. Vivre une vie parfaite, dans la peau d'une fille parfaite, à la réputation parfaite. L'exact opposé de tout ce qu'elle était ou avait. « On se ressemble un peu, faudrait juste que tu te teigne en blonde et ça passera crème ! » Et le pire, c'est qu'elle y croyait dur comme fer à son idée. Et pourtant c'est bien elle qui passerait de tout à presque rien du tout, mais faut dire que tout ce qu'elle avait ne faisait pas son bonheur, alors que Winnie donnerait n'importe quoi pour avoir ce qu'elle possède. La stabilité et un avenir. « Je te laisse absolument tout ! Prend mes fringues, mon pc, mes lunettes... Tout ce que tu as à faire, c'est de t'appeler Ruth à ma place. Et si j'ai bien compris, ça devrait être un jeu d'enfant pour toi. » « Et toi ? Qu'est-ce que tu vas faire ? » « Ne t'en fais pas pour moi. Si tu veux, fais moi de faux papiers mais je m'en vais vivre dans la campagne, ça aura peu d'importance. Je viens de perdre mes parents, je ne veux pas perdre Julian aussi. » Ça se tenait. La vie de gosse de riche n'avait pas l'air de lui convenir à l'entendre parler. Sa famille maternelle voulait absolument la récupérer, récupérer Ruth auprès d'eux, mais la jeune femme ne les portait pas dans son cœur. Winona, elle, ne les connaissait pas, ce qui aurait été plus simple pour mettre la rancœur de côté. Elle soupira longuement, devant cette opportunité si belle. Trop belle... « Fais le pour moi et pour toi. »

On peut apercevoir l'excitation sur son visage alors qu'elle sort du bureau de l'adjoint des étoiles pleins les yeux. Ses lèvres ne peuvent que s'étirer. La désormais Ruth prend une grande inspiration, humant l'odeur de sa nouvelle vie débuter. « Alors c'est ça la vie de riche hein... » La liste des choses à faire est encore longue, mais on est bien loin du genre de soucis qu'elle avait à faire en Australie. Ici, ca revenait à : se trouver un appartement, trouver un job, passer à la banque, aller en cours, … « Ca me plait ! » finit-elle par se confier à qui voulait bien l'entendre, avant de faire volte-face et rentrer malencontreusement un grand gaillard.