Martha 'Kim' Delgado ▪ Marina Nery

Harvard,
Le 23 mai 2013

Mademoiselle Delgado,
La prestigieuse université d'Harvard tient à vous féliciter de votre admission dans ses bâtiments. Vous avez avec brio passé les étapes de la composition de l'entretient puis du passage des SATs  (vos résultats vous sont donnés à la feuille conjointe) et êtes attendus à la prochaine rentrée universitaire.

Au plaisir de vous revoir prochainement sur le campus,
Le doyen de l'université d'Harvard.

Tes yeux relisent et relisent encore. T'es acceptée, toi la petite brésilienne sans histoire, poussée par tes professeurs de lycée à postuler dans les universités de l'Ivy League. T'y crois pas. Un cri de joie pousse la barrière de tes lèvres et tu laisse éclater ta joie. Tu pars pour Boston ! Tu déboule dans la cuisine, manquant de causer une crise cardiaque à ta mère. Ses yeux si semblables aux tiens relisent et relisent eux aussi. Et c'est l'extase. Ensemble vous fa I tes paniquer les voisins, qui arrivent paniqués, pensant à une quelquonque catastrophe. Mais non, pour eux aussi c'est la fête. Tout l'immeuble est heureux pour toi. C'est ça le Brésil, cet esprit familial entre tous. Les larmes viennent, tu craques, ça fait lourd tout ça. T'as besoin de parler à quelqu'un. À ton père. Lui il ne parlera pas, il t'écoutera.

L'entrepôt que tu connais si bien se dresse devant toi. Ton géniteur bosse ici, bossais ici et bossera ici toute sa vie. C'est triste mais faut remplir les assiettes alors vous vous en contentez, au moins il a du boulot lui. La garage retentit de bruits familiers, de silhouettes sans secret pour toi. On te salue, te reluque, on te reconnais, tu es la fille de Matéo. « Papa ? T'as deux minutes ? » l'homme aux mains comme des batoirs aussi douces que celles d'un agneau relève son masque, sourit. Vous avez le même rictus, la me.même fossette. Dieu qu'il va te manquer.  « T'sais Martha, pour toi, j'ai toute la vie. » C'est le seul de ta connaissance à utiliser ton vrai patronyme. Vos mains se mélangent quand tu lui tend la missive, et que ta voix la lit pour lui. Ton père, il sait pas lire mais c'est lui le premier qui a insisté pour que tu ailles à l'école, qui a sacrifié ses économies pour t'acheter des bouquins. Tu te tais, le laissant réfléchir. « Tu vas y aller, Martha. Si il y en a bien une qui mérite cette fichue lettre, bah c'est toi. J'veux te voir briller comme les étoiles, sans oublier d'où tu viens. J'veux que tes études, elles t'y servent dans la vie. Quand t'aidera les pauvres parce que ta voix elle y comptera chez les grands. Mais oublie pas d'où tu viens, jamais. Ça tu dois promettre. » Tu pleures, tu chiales comme une enfant, son étreinte est ton berceau. « Je te l'promets. » Vous scellez votre pacte, comme deux égaux et son visage buriné sèche les gouttes salées qui coulent sur ton faciès. Une tape sur ton épaule, un simple vas - y sans besoin de paroles en plus et tu quittes les docks comme une fleur du soleil.

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« Nan pas celui là, il te fait des fesses de brésiliennes. Tu pars aux usa Kim, et aux usa, fait comme... Les uessiens ! » Vos rires remplissent la pièce. Luna aussi elle va te manquer. C'est ta soeur, ta meilleure amie. Tu veux pas partir sans elle, mais t'as pas le choix, le billet d'avion et la lettre d'admission te le rappelle à chaque instant. Ta première amie, quand vous vous êtes rencontrées à la première rentrée dans la petite école de derrière l'usine de textile. Elle supportait pas l'odeur alors elle se cachait. Dieu que ça t'avais fait rire, tu l'avais traité de petite blanche. Elle avait pas aimé. Puis elle t'avais demandé d'être sa Grande Amie, avec les majuscules. Et t'avais accepté parce qu'être une gamine, c'est être simple. Oui ou non, ça te scelle un destin. Depuis, vous traînez toujours ensemble. Quand l'une faisait quelque chose, l'autre le réalisait aussi. Des jumelles, une black avec des dreads et une métisse avec toutes les boucles du monde sur la tête. « Justement, j'ai pas le droit d'oublier d'où je viens, alors si ce pantalon me fait des fesses de "Brésilienne" comme tu dis, bah je le prend. Et puis t'es con toi ! Les uessien... D'où tu sors ça encore ! » Tu lâches le jean dans la valise déjà pleine à craquer et tu te précipite dans les bras de ta meilleure amie. Sans un mot, elle sors un paquet, te le tend. C'est son cadeau d'adieu, tu le sais, ça te fait mal au coeur. Un bracelet brésilien et un prospectus sur la protection du requin blanc au large des côtes sud africaines,  comme seul Luna peut les faire. Elle a de l'or dans les doigts, cette future couturière. Toi tu vas à Harvard pour le sport, on a remarqué tes qualités en tant que gymnaste et handballeuse. Tu ne réalise toujours pas ta chance. Ta soeur de coeur attache le bout de tissus bariolé à ton poignet fin. Te revoilà fontaine de larmes, de bonheur cette fois. T'es heureuse d'être heureuse. Dit comme ça, ça n'a pas de sens mais ça reste ta devise. Des chemises, des bouquins et d'autres effets plus ou moins utiles rejoignent ta valise, que tu peine à fermer. Luna viens s'assoir dessus, et à nouveau vous vous pliez de rire. Le cliquetis du cadenas semble bloquer à jamais un tournant de ta vie, mais tu es prête, tu le sais.  

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Le bruit de l'avion qui décolle t'assourdit. Ou alors se sont les adieux des gens que tu aimes qui résonnent derrière les hublots ? T'en sais rien, parce que là, tout ce que tu sais c'est que tu vas étudier dans l'une des meilleures universités du monde. Tes prunelles vertes parcourent la piste qui ne cesse de s'éloigner, et ça y est, tu voles. Tu n'as plus peur, tu sais que de toute façon, tu reviendra. T'en a fait la promesse... Il est à peine six heures du matin et toute l'agitation des derniers mois se fait sentir dans tes muscles contractés. Tu fermes les paupières, t'abadonant au dossier de ton siège et cinq minutes plus tard, tu dors...

TO BE CONTINUED...