Ellanaelle Dévereux ► elsa hosk

Mes premiers cris retentirent dans la chambre prénatale, annonçant ma naissance. Ma mère était en sueur, ses cheveux blonds comme les blés arrangés en un chignon confortable. Deux sages femmes lui épongeaient le front et changeaient les draps souillés pour la mettre à l'aise après l'effort qu'elle avait fourni. Elle me prit dans ses bras pour la première fois et même si je ne pouvais pas me souvenir de cet instant je sus qu'elle m'aima. Le manoir familial accueillit quelques jours plus tard une grande fête en l'honneur de ma naissance. Il n'y avait que des nobles sur la liste des invités et on pariait déjà sur le nom de mon futur fiancé parmi les enfants présents ce jour là. Et oui, nous étions au vingtième siècle et pourtant les mariages arrangés étaient encore monnaie courante au sein des familles nobles.

J'eus le droit à une éducation exemplaire. Digne des plus grandes princesses. Des précepteurs depuis mon jeune âge pour m'apprendre les rudiments de la langue anglaise et française en raison de nos origines normandes. En plus des cours de piano, équitation et danse de salon, je pratiquais le waterpolo et le squash avec une coach personnelle qui entraînait aussi mon frère William. Il avait deux ans de plus que moi et avait la lourde tâche d'assumer l'héritage familial. Il allait hériter du poste de directeur de la Bonhams, la très célèbre maison de vente aux enchères en plus du titre de vicomte de Hereford. J'étais heureuse de ne pas avoir ces responsabilités, même si je savais pertinemment que mon rôle était tout aussi important. Je savais que j'allais devoir trouver un parti riche et noble pour une alliance convenable mais durant mon enfance je préférais profiter de mon statut et mes privilèges pour tester toutes les activités, toutes les matières, tout ce qui était possible de faire.

J'ai intégré la St Paul's Girl School pour mes études secondaires et après mon diplôme j'ai été admise à la LSE pour un cursus économique et en relations internationales. J'avais des notes brillantes et j'aimais étudier, ce qui aidait pas mal. J'ai rencontré Nathanael durant mes études. Je croyais d'abord qu'il était un autre fils de riche snob et effronté mais en creusant un peu j'ai découvert une autre facette de lui. Il était doux, romantique et attachant. Je tombai amoureuse de lui peu de temps après et notre idylle dura deux ans. Elle n'avait pas fait que des heureux, notamment auprès de son père. Pourtant je venais d'une bonne famille mais il avait peur que je perturbe les études de son fils et lorsque Nathanael m'apprit qu'il partait pour Harvard je compris qui avait été derrière tout ça. Il avait du faire un choix. Notre histoire ou ses études. Il choisit ses études et je mis un moment à m'en remettre. J'étais encore blessée et certainement qu'une part de moi l'aimait encore. Mais les années étaient passées malgré tout. Lorsque j'appris qu'une bombe avait explosé à Harvard et que Nathanael faisait partie des nombreux blessés, je ne perdis pas de temps pour venir lui rendre visite à l'hôpital londonien où il avait été rapatrié. Il était resté deux semaines dans le coma et je lui rendais visite chaque jour, quand je savais que ni son père ni sa mère n'étaient présents. Le jour où il se réveilla je décidai de ne plus revenir le voir parce que je n'étais pas capable de l'affronter. Après tout c'était lui qui était parti et si il avait voulu me voir il avait eu des semaines pour me joindre. Sauf qu'il n'en fit rien.
En 2015, William s'engagea dans l'armée suite aux différents attentats commis à travers le monde par l'état islamique. Il avait envie de se rendre utile et de servir son pays. Il alla combattre en Syrie avec les armées de terre de plusieurs pays alliés. Mais une attaque surprise ravagea leur campement et William fut gravement blessé par un missile. Il fut renvoyé en Angleterre pour être soigné mais après avoir été amputé des deux jambes il succomba à une septicémie. J'avais perdu mon grand frère, mon meilleur ami en l'espace de quarante huit heures. Quelques semaines après son enterrement, mes parents m'avaient expliqué les nouvelles responsabilités devenues miennes. Je devais transmettre l'héritage familiale et accepter le titre de noblesse qui en découlait. Mais pas que...

Septembre 2016, j'entamais ma sixième année d'études à la LSE, j'y avais pris mes marques et j'avais des amis fiables et loyaux. Mon père organisa un gala dans notre manoir sans vouloir me donner la raison, une surprise avait-il dit. Le soir même, je compris que j'étais l'invitée d'honneur et lorsque mon père me présenta à mon futur fiancé je compris que ma vie n'avait plus une once de liberté. Je devais me marier à un prince, dès la fin de mes études, ce qui nous laissaient un peu moins de deux années pour apprendre à nous connaître et éventuellement à nous aimer. Je ne voulais pas de ce mariage, je ne voulais pas être princesse, pas au détriment des sentiments. Mais j'avais beau débattre, la décision était irrévocable.
En cachette, je remplis une demande d'admission en cours d'année à Harvard afin d'y terminer mon cursus universitaire. Je ne m'attendais pas spécialement à être prise mais lorsque je reçus la validation, je sus qu'il s'agissait d'un signe. Je devais partir, loin de ma famille et de mes repères pour pouvoir refaire le point sur ce que je voulais et qui j'étais. J'étais prête à assumer la tâche qui m'incombait depuis la mort de William, j'acceptais d'être vicomtesse, j'acceptais d'hériter du poste de directeur de la Bonhams mais je n'acceptais pas de me donner moi en mariage. Je voulais donc profiter de mes études aux Etats-Unis pour me reconcentrer sur l'essentiel, à savoir mes études justement, que j'affectionnais et qui me permettaient de garder un minimum de contrôle sur ma vie. Que mon ex se trouve exactement dans la même école n'était qu'un pur hasard, ou du moins c'était ce que je me disais.