(harrova) all I do is get burnt

Le froid glacial de cette nuit de janvier mord impitoyablement chaque centimètre carré de peau qu’il peut atteindre. Le contraste avec l’étouffante atmosphère du nightclub n’en est plus que frappant et tu ne peux contenir les frissons qui parcourent ton échine, malgré les quantités importantes d’alcool ingérées ce soir. Tes mains se hâtent de trouver ce qu’elles étaient venues chercher dans la boîte à gants de ta voiture, et rapidement tes doigts se referment sur les indispensables préservatifs. Un demi-sourire se dessine sur tes lèvres quand tu songes au canon qui t’attend devant les toilettes du club. Le choix du lieu de vos ébats à venir n’est certes pas le glamour qui soit, mais le feu d’artifice oral qu’elle t’a promis et ton état d’ébriété avancé ne te permettent pas d’émettre une quelconque réticence. Tu te presses de refermer ta voiture pour retourner au chaud et retrouver l’heureuse élue du soir quand une silhouette surgit soudainement devant toi. Vous êtes à deux doigts de vous rentrer dedans mais la collision est évitée de justesse. « Désolé ! » Tu t’excuses par réflexe dans un souffle, avant que celui-ci ne soit brutalement coupé. Tes yeux ont identifié la personne qui se trouve devant toi. Une jeune femme que tu ne t’attendais certainement pas à croiser de la sorte. « Ludmila ? » Tu poses la question comme si un doute était possible. Mais il n’y en a aucun, tu reconnaîtrais ce visage entre des millions d’autres sans une once d’hésitation. Un visage et un prénom qui résonnent singulièrement dans ton esprit et déclenchent un je-ne-sais-quoi dans le reste de ton corps. Encore surpris de cette rencontre inattendue, tu demandes d’une voix que tu espères la plus naturelle possible. « Ça va ? Qu’est-ce que tu fais ici ? » Aussitôt ces mots prononcés, tu les regrettes. Question stupide. Tu prends conscience que tes facultés intellectuelles sont troublées, et tu n’es pas certain que l’alcool en soit le seul responsable.

C'était certain, Ludmila n'accepterait plus jamais de ne sortir qu'à deux en boîte. D'accord, elle avait passé un bon début de soirée mais... juste un début. Elle s'était absentée le temps d'aller chercher à boire et à son retour, son amie ne faisait plus qu'un avec un inconnu sur la piste de danse. Et cette vision l'avait profondément agacée. Peut-être qu'elle s'amusait à aguicher les mecs c'est vrai, mais la Petrova avait assez de respect pour elle-même pour ne pas galocher le premier venu qui lui ferait des avances.  Aussi beau et riche soit-il, elle n'était pas une fille facile. D'ailleurs, la demoiselle s'était décidée à retrouver seule la voiture et rentrer chez elle puisque de toute évidence, sa copine avait d'autres projets pour ce soir. Le truc, c'est qu'il faisait froid et que malgré le gros manteau qu'elle pouvait porter, Lud était complètement gelée dans sa petite robe rouge. C'était pas censé se passer comme ça, en aucune manière. C'était l'hiver, la fatigue se faisait ressentir mais surtout, seul le bruit de ses talons retentissaient dans l'obscurité. Ouais, c'était sûrement ça le pire, en fait. La jeune femme n'était absolument pas rassurée et s'imaginait déjà les pires scénarios possible. Il n'y avait personne d'autre qu'elle dans cette rue et pourtant, Ludmila avait l'impression d'être épiée, que quelqu'un la suivait depuis qu'elle était sortie. Les bras croisés tout en continuant d'avancer, elle jeta un rapide coup d'oeil derrière elle avant d'accélérer le pas. Bah en fait, c'était peut-être pas qu'une impression tout ça... Soit elle venait vraiment d'apercevoir une silhouette soit elle était complètement parano - et dérangée, aussi. Ne pas paniquer, ne pas paniquer... Plus facile à dire qu'à faire. La seule chose qu'elle désirait là, en cet instant, c'était de monter dans cette fichue voiture qui n'était même pas la sienne et de rentrer chez elle. Baissant la tête vers son sac à la recherche du trousseau de clés, tentant par la même occasion de se souvenir où le véhicule était garé, la blonde bifurqua sans s'en rendre compte et releva les yeux de justesse pour éviter la collision avec... Philip. Et bah, ce devait bien être la première fois en cinq ans qu'elle était contente de le voir. Pendant un instant, elle avait cru être prise au piège, que c'en était fini pour elle. Mais non, c'était juste Philip. Enfin, il lui avait brisé le coeur quand même mais soit. Lâchant un long soupir de soulagement, la Petrova lui lança tout de même un regard noir, le même qu'elle avait l'habitude d’arborer en sa présence maintenant, parce qu'il lui avait fait peur. Elle avait toujours peur d'ailleurs, bien qu'avoir le winthrop juste en face d'elle la rassurait assez, ce qu'elle avait beaucoup de mal à accepter soit dit en passant. "Je pourrais te poser la même question." répondit-elle froidement en se redressant afin de reprendre un peu de contenance. Elle soutint son regard un moment avant de laisser ses yeux glisser vers les mains du jeune homme ou plutôt, ce qu'elles gardaient précieusement. "En fait, je pense que j'ai déjà ma réponse..." ajouta-t-elle après s'être emparée des préservatifs qu'elle agitait juste devant lui, l'observant d'un air interrogateur. "Tu lui as dit, au moins, que tu comptais foutre le camp ensuite ?" Comme il l'avait déjà fait cinq ans auparavant. Elle, rancunière ? Absolument pas. Mais Ludmila n'oubliait pas, jamais. "Quoique, vu son niveau d'exigences, ça ne doit pas la déranger..." Une fille facile, une fille d'une nuit, qui ne demandait que ça, tout l'opposé de la Petrova.

Bien sûr tu l’as déjà croisée plusieurs fois sur le campus de l’université. Vous avez même eu l’occasion d’échanger quelques mots en diverses occasions que tu préfèrerais d’ailleurs oublier. Vraiment, ce n’est pas comme si tu la revoyais pour la première fois depuis ce qui s’est passé… là-bas. Cet autre monde, cette autre époque qui appartiennent à ton passé, votre passé. Ce temps où vos destinées s’étaient entremêlées pour ne faire plus qu’une, une période brève mais intense, un chapitre marquant de ta vie mais définitivement clos. Et pourtant, tu ne peux t’empêcher d’être profondément déstabilisé par sa vision soudaine. Tu te demandes comment sa présence peut encore t’affecter à ce point, toi qui a tourné la page depuis si longtemps. L’effet de surprise ne peut expliquer à lui seul ta réaction disproportionnée. Plus tu avances dans tes réflexions, et plus tu t’agaces. Tout ceci est ridicule, tu n’as pas de temps à perdre avec ça. Tu reportes toute ton attention sur son visage. Ses traits que tu connais à la perfection et qui n’ont pas changé malgré les années. Tu te souviens de cette peau douce que tu as maintes fois caressée. De cette chevelure dorée où tu as aimé te perdre. De ces lèvres bombées que tu ne voulais libérer. De ces yeux envoûtants qui désormais reflètent colère et mépris. Tu ne sais comment réagir à ce que tu y lis. Cela n’a pas d’importance après tout, elle est sortie de ta vie. Tu l’as sortie de ta vie. Malgré ces réflexions qui fusent dans ton esprit, tu notes toutefois qu’elle semble… soulagée. Presque comme si elle était heureuse de te voir, en dépit de ce regard noir qu’elle t’adresse, le même qu’elle te réserve à chaque fois que vous vous croisez d’ailleurs. Contradiction inexplicable qui ne fait que s’ajouter à la confusion qui règne en ton for intérieur.  « Je pourrais te poser la même question. » Son ton est cassant, distant, aussi froid que la nuit qui vous enveloppe. Un silence tendu s’installe au cours duquel vous ne vous quittez pas des yeux une seconde. C’est tout juste si tu oses respirer. Et puis son regard finit par dévier pour se poser sur la seule chose capable d’envenimer davantage la situation. Avant que tu n’aies pu esquisser le moindre geste, elle s’empare de ton assurance du soir. « En fait, je pense que j'ai déjà ma réponse... Tu lui as dit, au moins, que tu comptais foutre le camp ensuite ? » La moutarde te monte instantanément au nez. Parce qu’elle vient de te piquer tes capotes. Parce que son sous-entendu vous ramène une fois de plus à votre relation d’autrefois. Parce que, aussi, tu n’apprécies guère qu’elle te surprenne dans une telle situation. Tes histoires de cul ne la concernent pas. « Quoique, vu son niveau d'exigences, ça ne doit pas la déranger... » Ton orgueil piqué au vif par cette dernière remarque répond du tac au tac. « Evidemment tout le monde n’est pas aussi parfait que toi. Mais je me rappelle qu’à une certaine époque, ton niveau d’exigence n’était pas bien élevé non plus. Qu’est-ce qu’il s’est passé entretemps ? C’est en rejoignant la Eliot House que t’es devenue Bitchy Princess ? » Tu essayes de maîtriser la colère dans ta voix, refusant de lui montrer telle faiblesse, mais malgré tes efforts elle reste largement perceptible. D’un geste sec, tu lui reprends des mains ce qui t’appartient et les glisse dans la poche de ton pantalon. La noirceur de son regard est désormais partagée.

Ludmila n'avait pas attendu avant de lancer les hostilités. Oui, ça faisait à peine deux minutes qu'ils se trouvaient l'un en face de l'autre, à se regarder comme si c'était la chose la moins banale qui soit et elle avait déjà attaqué. Mais en même temps, que croyait-il ? Qu'elle allait lui dire que tout allait très bien dans le meilleur des mondes et prendre gentiment le temps de lui retourner la question ? Ou alors, lui dire qu'elle était effrayée et heureuse de tomber sur lui dans de pareilles circonstances ? Certainement pas. Philip pouvait toujours rêver, c'était mal la connaître que de penser ça d'elle. Parce qu'à chaque fois qu'elle le revoyait, elle avait la désagréable sensation de se prendre une claque monumentale. Peut-être que toute cette histoire datait de plusieurs années maintenant mais la Petrova n'avait toujours pas dirigé la pilule. Elle ne le ferait sûrement jamais, même si les apparences laissaient à croire le contraire. Il l'avait brisée et ça, c'était juste inacceptable. Elle lui en avait voulu, lui en voulait encore et le lui faisait comprendre à chaque fois que leurs chemins se croisaient d'ailleurs. Mais ce n'était jamais suffisant pour Ludmila. Ce qu'elle désirait, c'était une vraie vengeance et pour le moment, l'occasion ne s'était pas encore présentée. Tout comme ce soir d'ailleurs où elle se trouvait en position de faiblesse, encore. Son coeur lui criait haut et fort de l'envoyer balader mais son esprit et sa peur surtout, l'en empêchait. Elle avait besoin de lui là, tout de suite. Enfin, pas de lui spécialement mais d'une présence. Et malheureusement, seul le winthrop se trouvait dans les parages. Le winthrop et les capotes qu'il venait de ranger dans sa poche, comme par crainte qu'elle ne les lui enlève à nouveau. Que c'était chou. Pas comme le surnom qu'il venait de lui attribuer et qu'elle trouvait plus que ridicule d'ailleurs, raison pour laquelle Lud n'allait pas le relever. "Ne sois pas stupide..." commença-t-elle en pouffant, faisant de son mieux pour paraître toujours aussi désintéressée alors qu'en réalité, elle était irritée. Quatre mois, la Petrova avait passé quatre mois à ses côtés, sûrement les quatre meilleurs de sa vie d'ailleurs. Elle n'avait jamais découvert ni tenté autant de choses qu'à cette époque et le seul fait d'y penser lui rappelait à quel point ce mec était un connard. "J'ai juste appris de mes erreurs, ce qui n'a pas l'air d'être ton cas apparemment." dit-elle en arquant un sourcil, ses lèvres souriant narquoisement. Erreur, elle venait vraiment de sous-entendre qu'il n'était qu'une erreur de parcours, oui. Parce que c'était ce que la blonde pensait, de toute manière et au cas où il aurait encore quelques doutes sur le sujet, elle allait très certainement le lui dire la prochaine fois qu'ils auraient à se croiser, again. Et puis, le silence s'installait à nouveau, juste un échange de regards, juste une tension palpable jusqu'à ce qu'un bruit ne vienne rompre ce calme pesant. Ou un grincement plutôt. Enfin, peu importe ce que c'était, il n'en fallait pas plus pour faire revenir la jeune femme à la réalité. Son coeur battait à cent à l'heure tandis qu'elle s'était retournée pour voir de quoi il s'agissait. C'était plus que du stress là ou de l'inquiétude là. Elle avait peur et ne pensait même plus à le cacher sous son masque d'indifférence totale.

T’es pas vraiment du genre à t’énerver pour rien. Au contraire, tu te vantes même généralement d’avoir un certain self-control, d’être capable de garder ton sang-froid là où les autres perdent les pédales en moins de deux. Et pourtant, il n’a suffi que quelques mots de la part de Lud pour te faire sortir de tes gonds. T’es furieux de te laisser atteindre aussi facilement, et encore plus que ce soit à cause d’elle. Comme si le temps, au lieu d’atténuer les peines, n’a fait qu’au contraire les accentuer. Pitoyable. Il n’y a pas de meilleur mot pour te décrire à cet instant, toi à l’ego meurtri par tant de faiblesse face à cette femme. Elle qui te regarde de son air sévère tout en riant de la mauvaise répartie que tu viens de lui lancer, tu en as conscience. Déstabilisé, tu n’as toutefois pas voulu pousser jusqu’à une insulte qui aurait eu des conséquences irréversibles… et qu’elle ne mérite pas forcément non plus. « Ne sois pas stupide... » Au moins t’es d’accord avec elle. Il faut que tu arrêtes la laisser mener ce petit jeu. Elle a peut-être eu une grande influence dans ta vie passée, mais il est nécessaire que ça se termine. Maintenant. Elle t’y aide d’ailleurs de son mieux, à sa façon. « J'ai juste appris de mes erreurs, ce qui n'a pas l'air d'être ton cas apparemment. » Ces yeux qui lancent des éclairs, ce sourire provocateur… elle te pousse à bout. Ainsi elle te considère comme une erreur. Six lettres qui prouvent qu’elle ne te ménage aucunement, qu’elle sait où appuyer pour te faire mal. Jamais tu n’avais laissé quelqu’un prendre autant de pouvoir sur toi. Il est temps que ça s’arrête. Cette fois-ci tu es prêt. Tu répliques, la voix ferme et le regard glaçant. « C'est là notre plus grande différence. Moi je n'ai fait aucune erreur. » Non tu ne regrettes pas d’être parti. De l’avoir abandonnée du jour au lendemain, sans une explication, sans même aucun signe ou indice avant-coureur. De l’avoir emmenée dans ton univers pour ensuite la ramener brutalement sur terre. De l’avoir abreuvée de mots doux pour ensuite la nourrir du silence. Tu croyais regretter mais en voyant cette sorcière te frapper sans hésiter, tu en doutes. Vous vous défiez du regard pendant de longues secondes, seule la complainte du vent glacé se fait entendre. Jusqu’à ces bruits étranges qui se rapprochent petit à petit de votre position. Tu essayes d’en identifier la source mais sans succès. En face de toi elle se retourne nerveusement pour faire de même et lorsque son visage te fait de nouveau face, tu y lis la peur. « Qu’est-ce que… ? » Est-ce la nuit, le froid, l’obscurité, l’inconnu, qui créent cette inquiétude naissante au creux de ton ventre ? Ton instinct te dicte de protéger Lud. Même si tu ne sais pas contre quoi. Ce n’est peut-être rien mais c’est peut-être ce type recherché par la police pour avoir poignardé un gars sur ce même parking il y a quelques semaines. Sans vouloir tomber dans la psychose, tu ne veux prendre aucun risque. Tes réflexes s’activent et tu lui ordonnes, sans discussion possible : « Monte dans la voiture. » Tu fais rapidement le tour pour t’installer sur le siège conducteur, démarrer au quart de tour et t’éloigner au plus vite des lieux. « Mets ta ceinture. » lui rappelles-tu alors que tu boucles toi-même la tienne d’un geste rapide. Le silence s’installe alors que tu roules vers le campus de l’université. 

C'était plus fort qu'elle,  à chaque fois que Ludmila voyait Philip, elle se sentait obligée de lui rappeler à quel point elle le détestait, de le rabaisser, de lui montrer qu'elle se portait très bien sans lui et qu'elle avait définitivement tourné la page. Un connard parmi tant d'autres, voilà ce qu'il était à ses yeux ou du moins, c'est ce dont elle tentait de se convaincre. Mais les douleurs finissaient-elles réellement par guérir avec le temps ? Ludmila en doutait. À chaque fois qu'il apparaissait devant elle, à chaque fois qu'elle croisait son regard, la jeune femme était ramenée cinq ans en arrière. Et ça faisait mal, encore. Toujours. Une douleur atténuée certes, mais surtout transformée en haine, en colère. Une erreur, c'est ce que Philip était pour elle. Mais pas pour lui. Il ne regrettait rien, en fait il devait même être fier de l'avoir abandonnée du jour au lendemain, comme ça, elle en était persuadée. Au final, elle qui pensait l'atteindre, se moquer, se faisait avoir à son propre piège. Mais pas le temps de laisser paraître une quelconque faiblesse ou quoi que ce soit d'autre qu'un bruit de source inconnue la ramenait à la raison. Si Philip avait réussi à lui faire oublier la peur pendant un instant ce n'était plus le cas désormais. Peut-être que ce n'était que son imagination, peut-être qu'elle était en train de virer parano comme son demi-frère à cause de tout ce qu'elle avait déjà vécu mais ils allaient devoir remettre cette conversation à plus tard visiblement. Ludmila n'avait aucune envie de rester ici à discuter et encore moins alors qu'il s'agissait du winthrop. D'ailleurs lui aussi semblait avoir entendu quelque chose puisqu'il se permettait de lui donner un ordre. Comme s'il en avait le droit. Comme si elle allait s'exécuter sans broncher. "Quoi ? Hors de question." lança-t-elle en le regardant d'un air surpris, comme si elle en était offusquée. Mais Philip était bien sérieux et à choisir entre le suivre ou rester ici, sur ce parking, une minute de plus à chercher une voiture qui ne se trouvait peut-être même pas là, le choix était vite fait. Mettant de côté sa haine et sa fierté, elle finit par s'exécuter, non pas sans grimacer. Une fois installée, elle attacha sa ceinture et croisa les bras sur sa poitrine, sa mâchoire se crispant rien qu'à réaliser là où elle se trouvait. Ça pouvait être pire, c'est certain mais en cet instant précis, tout était pour lui rappeler ce qu'elle s'efforçait d'oublier depuis longtemps. Eux deux, dans une voiture, à fuir... Bienvenue dans le passé.

Toi qui n'est pas du genre très bavard, tu pourrais parler pendant des heures de ta relation avec cette petite princesse russe tellement il y aurait de choses à dire. Ce que vous avez vécu, ce qu'elle a été pour toi, ce qu'elle représente aujourd'hui encore à tes yeux... N'importe qui qui assisterait à votre présent échange le remarquerait immédiatement. Il y a cette tension palpable, cette atmosphère électrique, qui pourtant se brise en un millième de seconde lorsqu'elle se fait chasser par la peur de l'incertitude. Le quartier n'est pas particulièrement mal famé mais il est samedi soir et nombreuses sont les âmes troublées qui rôdent aux abords des lieux fréquentés comme celui-ci. Au delà des méandres engendrés par l'alcool dans ton esprit, ta raison te pousse à mettre Lud en sécurité. Tu retrouves toute ta lucidité pour lui intimer de monter dans ta voiture alors que tu te glisses toi-même derrière le volant. « Quoi ? Hors de question. » Est-elle vraiment obligée de contester en pareille situation ? Ta langue brûle de lui répliquer que tu peux aussi bien la laisser ici seule dans la nuit avec le premier psychopathe venu, mais tu t'abstiens. Ce genre de réplique ne t'aidera pas à obtenir ce que tu veux, tu le sens bien. A la place, tu tentes d'adoucir ton propos en ajoutant un petit « S'il te plaît. ». Tu la vois réfléchir quelques secondes supplémentaires, peser le pour et le contre, puis finalement obtempérer. Les premières minutes du trajet se font dans un silence pesant. Il ne te vient pas à l'esprit d'allumer la radio pour combler le vide, de toute manière cela ne changerait pas grand chose. Tu te concentres sur ta conduite, priant pour ne pas te faire contrôler par la police. Si tu te sens pleinement confiant en tes capacités, la décharge d'adrénaline t'ayant totalement éclairci les idées, tu n'es toutefois pas certain d'être en dessous de la limite d'alcoolémie autorisée. Et mieux vaut que tu penses à cela plutôt que de penser aux souvenirs que la scène que vous vivez actuellement te rappelle. Comme un bond dans le passé que tu aurais volontiers évité. Tu finis par rompre le silence, constatant que Lud n'a pas desserré les dents depuis que vous êtes partis et qu'elle croise les bras sur sa poitrine. Marque-t-elle juste son opposition ou a-t-elle froid, tu choisis de t'en assurer. « Tu as froid ? Je peux monter le chauffage si c'est le cas. » La voiture est plutôt tiède en comparaison des températures glaciales du dehors et si conduire réchauffe ton corps, il n'en est rien pour ta passagère. « Où est-ce que je te ramène ? » Tu ne sais pas vraiment si où elle habite maintenant et réalise que tu roules depuis tout à l'heure en direction du campus de l'université sans connaître ta réelle destination.  

Non, Ludmila n'était plus du tout rassurée, même par la présence du jeune homme. Elle sentait son coeur battre de plus en plus fort dans sa poitrine tandis que tout s'accélérait de manière si soudaine autour d'elle... Laisser sa fierté de côté et monter dans cette foutue voiture en compagnie de ce très cher Philip ou bien rester ici et se retrouver seule et désarmée ? Aussi grande la haine à l'égard du winthrop pouvait être, le choix ne fut pourtant pas difficile et la blonde s'empressa de grimper dans le véhicule, non pas sans contester cependant. Peu importe la situation, madame restait fidèle à elle-même. Elle se devait de lui faire comprendre que ce n'était pas parce qu'elle acceptait qu'il ne la ramène qu'elle lui pardonnait ce qu'il avait pu faire, bien au contraire. Ce serait beaucoup trop simple à son goût et Philip était bien placé pour savoir que la Petrova était tout sauf une fille facile. Jouer le gentleman, il n'était pas le seul à savoir le faire et malheureusement pour lui, ça ne fonctionnait plus. Pas avec elle du moins, plus maintenant. Alors les bras croisés, la mâchoire serrée, elle regardait le paysage nocturne défiler sous ses yeux, le silence s'étant installé aussi vite qu'ils étaient sortis de ce parking. Ludmila n'avait absolument rien à lui dire, pas même un merci, surtout pas ça en fait et les regards qu'elle pouvait lui lancer en disaient long sur le fond de sa pensée. L'idée de se retrouver encore une fois coincée dans une voiture avec lui l’écœurait tellement qu'elle hésitait très sérieusement à lui demander de la déposer au coin d'une rue. Les taxis se faisaient beaucoup plus rares à cette heure-ci mais par chance, il y en aurait bien un ou deux qui passeraient par là. "Non." lâcha-t-elle aussitôt en réponse au jeune homme, non pas sans une certaine agressivité incontrôlée. "Ça va, merci..." s'empressa-t-elle alors d'ajouter en serrant davantage ses bras contre son corps tandis qu'elle détournait le regard du jeune homme. Fallait vraiment qu'il arrête d'agir de la sorte parce que... c'était pas possible quoi. Ludmila avait toujours l'impression de passer pour la méchante, l'être détestable de l'histoire alors que s'il y avait bien quelqu'un à blâmer ici, ce n'était pas la blonde. "À la Eliot House." Pas d’appartement non et même si elle en avait un, elle ne lui aurait sûrement pas donné son adresse personnelle. De toute manière, la Petrova était bien assez peu rassurée pour dormir  ailleurs qu'à la confrérie. Il y avait un côté sécurisant à savoir que bon nombre de ses amis ne se trouvaient qu'à quelques épaisseurs de murs d'elle. Bien plus que de se tenir en compagnie du jeune homme ? Peut-être, peut-être pas.

Jamais tu n’aurais pensé que tes “retrouvailles” avec Lud se passeraient ainsi. Quelques fois lorsque tu la croises sur le campus, tu imagines une scène d’un tout autre genre où tu viendrais l’aborder à la sortie d’un cours pour lui proposer d’aller boire un café, ou bien une soirée en petit comité où vous seriez tous les deux invités. Tu ne chercherais pas spécialement le grand déballage des sentiments ni même le mea culpa du siècle, mais au moins de quoi tenir une conversation correcte entre deux adultes civilisés ayant un passé commun, et dans tous les cas rien qui ne s’approche de la situation dans laquelle vous êtes à présent coincés. C’est un écho bien trop réaliste à votre rencontre, à votre relation. Tous ces kilomètres que vous avez parcourus ensemble, lorsqu’il n’existait rien d’autre que vos deux âmes entremêlées et le vrombissement du moteur sur l’asphalte. Ce furent des mois bénis qui étaient sans aucun doute les plus heureux de ta vie. T’avais beau être loin de tous tes amis, de ta famille, de ta grosse pomme adorée, rien de tout cela ne te manquait. Parce que tu l’avais elle. Mais aujourd’hui tu n’as plus que son silence. Tu sais que tu le mérites mais tu n’as pu t’empêcher d’espérer malgré tout, éternel optimiste. Devant ses réponses courtes et sèches à tes questions, tu choisis prudemment de ne pas insister pour faire la conversation. Le reste du trajet se déroule comme il a commencé, sans un mot échangé. Ton cerveau te fait revivre les vingt dernières minutes qui viennent de s’écouler et tu te rappelles soudainement de la fille que tu as laissée en plan dans la boîte. La pauvre a dû t’attendre un bon moment devant les toilettes. Peut-être est-elle en train de te chercher en ce moment même. Encore une qui va te maudire d’être parti sans prévenir, bien que cette fois-ci tu n’éprouves pas une once de culpabilité. Qu’importe son physique ravageur qui t’a affolé les sens ou les promesses salaces qu’elle t’a murmurées à l’oreille, tu préfères masochistement être là où tu trouves en ce moment. Avec elle. Tu arrives finalement devant l’imposante résidence des Eliot et te gare quelques mètres plus loin dans la rue. Moteur coupé, tu te tournes enfin vers ta passagère. « Tu veux que je te raccompagne jusqu'à la porte ou ça va aller ? » demandes-tu d’une voix neutre.  Il ne sera pas dit que tu ne prends pas ton rôle au sérieux. Elle décline l’offre toutefois et tu ne trouves donc plus rien d’autre à ajouter. « Bon ben… bonne nuit. Fais attention à toi. » Tu déverrouilles la portière pour qu’elle puisse sortir et rejoindre sa chambre. Toi-même tu songes au lit que tu vas retrouver dans quelques minutes, seul. 

Philip pouvait bien se comporter de la manière la plus adorable qui soit, se soucier qu'elle n'attrape pas froid et même la ramener chez elle, pour Ludmila la situation restait absolument la même. À ses yeux, il restait le même mec qu'il y a cinq ans, le même qu'elle détestait toujours autant depuis et à qui elle ne désirait pas parler. Pas plus que ce qui était nécessaire du moins. Alors désormais qu'ils étaient loin de ce parking, dans cette voiture, la blonde n'avait aucune raison ni la moindre envie de lui adresser la parole, ce qu'elle ne fit donc pas. Que voulait-il qu'elle lui dise, de toute façon ? Si quelqu'un avait des explications à donner, ce n'était pas la jeune femme, aux dernières nouvelles. Mais elle ne lui demandait rien, parce qu'elle n'en avait plus rien à faire maintenant. Et puis, elle était certaine que le winthrop n'avait aucune excuse de toute manière. Lâche et con, voilà ce qu'il était, voilà pourquoi il avait disparu, tel un fantôme, du jour au lendemain. Philip était sorti de sa vie de la même manière qu'il en était entré et ce dont Lud était sûre, c'est qu'elle n'avait aucune envie de le voir y entrer à nouveau. Pourtant, c'était un peu ce qu'il faisait ce soir, malgré elle, malgré eux. Il s’immisçait et la seule chose qu'elle pouvait faire, c'était de s'assurer que cette distance entre eux soit toujours aussi grande. Et pour ça, la blonde n'avait que deux cartes : celle du silence et celle de la froideur. Jusqu'à la délivrance. Enfin, presque... La raccompagner jusque l'entrée de la eliot house ? Et puis quoi encore ? Il ne voulait pas non plus lui conter une histoire pour l'aider à s'endormir ? Fallait pas rêver, non. C'est plutôt auprès de celle qui attendait encore - ou pas - après lui qu'il devait tenter d'amadouer par de telles attentions. "Au cas où les choses ne seraient pas claires..." commença-t-elle, une fois sortie du véhicule, d'un ton presque aussi désagréable que lors de leur échange sur le parking. "Ne t'attends pas à recevoir un merci de ma part ou à ce que j'aille raconter à qui veut l'entendre que tu es un héros, car tu n'en es clairement pas un." Elle marqua une courte pause avant de se redresser pour plus de prestance.  "Tu étais juste au mauvais endroit au mauvais moment, c'est tout." Voilà, maintenant elle pouvait s'enfuir pour aller retrouver la douceur et la chaleur de son lit. Oh, et bonne nuit à toi aussi, Harrison.

FIN DU RP.