LUDMILA S. PETROVA ► erin heatherton

Retourner à Harvard ou rester en Russie, encore un peu du moins, c'était le dilemme de l'année. Autant ça lui avait paru être une évidence de mettre de côté ses études pour aller prendre soin de sa mère malade autant là, Ludmila n'était plus sûre de rien. Sa place était ici, là où elle était née et avait passé toute son enfance, entourée par sa famille, toute sa famille. Ça, c'est ce qu'elle disait pour ne pas avoir à affronter tout ce qui l'attendait là-bas. Et puis il y avait ce que sa soeur s'acharnait à lui répéter, encore et encore, jusqu'à la voir prendre l'avion pour Boston. Etudier à Harvard avait toujours fait partie de ses objectifs, à elle comme à ses frères et soeurs, parce que c'était ainsi que fonctionnaient les Petrova. Et viser l'excellence, c'est ce que Ludmila désirait. Enfin non, pas juste la viser mais l'atteindre. C'est d'ailleurs pourquoi la blonde était une très bonne élève, se donnant toujours à fond dans chacun des projets. Alors avec des études qui lui plaisaient, la mode qui la passionnait, elle n'avait pas le droit d'abandonner. Pas après s'être donné tout ce mal pour réussir. Ce n'était pas ce qu'elle aurait voulu, de toute façon. Et puis, à part décevoir tout le monde, qu'est-ce qu'elle ferait hein ? Elle dansait certes, mais ne serait jamais aussi brillante que sa mère dans ce domaine, c'était certain. À Harvard par contre, tout tendait à la réussite, au succès et à se forger le futur dont elle avait toujours rêvé. C'est là-bas qu'était sa place, malgré tout ce qu'elle pouvait trouver comme excuse pour prétendre le contraire. Oksanna avait raison, même si ça lui faisait mal de l'admettre. Elle avait raison.

"Lud ? Luuud ? Tu m'écoutes ?" Sursautant presque, la blonde tourna vivement la tête vers son amie qui la regardait d'un air incompréhensif, une robe dans chaque main. "Hum ?" Haussant un sourcil, la Petrova inspecta rapidement les deux tenues en faisant mine de réfléchir puis en pointa une du doigt. "Les deux sont belles mais... celle-ci te mettra beaucoup plus en valeur. Tu peux me croire." Non elle n'avait absolument rien écouté de ce qu'elle lui avait dit mais supposait sans trop de difficulté ce que désirait son amie. "Est-ce que... ça va ?" reprit l'autre en ignorant complètement le commentaire qu'elle venait de faire sur les robes. Non mais elle se fichait d'elle ou quoi ? Bien sûr que ça allait. Du moins, c'est ce dont Ludmila tentait de se persuader depuis plusieurs mois maintenant. "Pourquoi ça n'irait pas ?" demanda-t-elle en relevant la tête, dévisageant sa camarade qui commençait légèrement à l'agacer avec toutes ses questions. "Je ne sais pas, tu as l'air... Enfin j'veux dire, si tu veux parler..." Attendez, elle était sérieuse là ? Est-ce qu'elle était vraiment en train de lui dire ça alors qu'elles étaient censées faire les boutiques en se racontant les derniers potins ? Est-ce qu'elle était vraiment en train de faire référence à la mort de sa mère et de lui demander de lui en parler ? Non, ce n'était juste pas possible. "Je vais bien, ok ? Alors arrête de te préoccuper de moi et choisis une des deux robes." La blonde n'avait aucune envie de faire ça, aucune envie de lui raconter quoi que ce soit, d'aller voir un psychothérapeute ou d'exprimer ce qu'elle ressentait. D'ailleurs, elle se cachait sous un masque de marbre depuis son retour et même avant. La disparition de celle qui l'avait mise au monde l'affectait énormément, plus que ses frères et soeurs visiblement, du moins c'était l'impression qu'elle en avait et la seule chose que Ludmila pouvait faire, c'était de faire face et de reprendre sa routine d'étudiante, malgré sa baisse de motivation flagrante. Ces derniers temps, elle se perdait souvent dans ses pensées et on ne lui manquait pas de le lui faire remarquer. Susceptible, elle l'était encore plus que d'ordinaire et bavarde, beaucoup moins. Plus du tout en fait. C'était passager, ça allait finir par lui passer mais en attendant, tout ce qu'elle désirait, c'est qu'on la laisse tranquille. Qu'on la laisse ressasser le passé, se souvenir et penser à sa mère qui lui manquait.

"Et là, vous pouvez me dire ce que vous voyez ?" "Bien sûr que je sais reconnaître un papillon. J'ai juste eu un coup sur la tête, pas comme ma soeur qui a reçu une balle. C'est elle que vous devriez aller voir." protesta la jeune femme en levant les yeux au ciel, agacée de devoir répondre à ces stupides questions sans queue ni tête. D'accord, elle avait de petits trous de mémoire suite au coup, mais le médecin lui affirmait que ce n'était que passager. Et la blonde avait harcelé l'équipe médicale assez de fois pour accepter l'idée qu'elle allait bien, qu'elle n'allait pas mourir, que ce n'était pas grave. Par contre, ce qui l'inquiétait c'était Oksanna. Elle avait reçu une balle lors de la prise d'otage et venait de perdre l'enfant qu'elle portait. Rien qu'à cette pensée, Ludmila sentait la haine et le dégoût l'envahir. La peur aussi. Parce que ce n'était pas la première fois que l'on s'en prenait à sa famille, aux Petrova au grand complet. Son oncle en avait subi les frais. Et maintenant, sa soeur... Qui sait ce qui les attendait encore, malgré toute la protection dont ils pouvaient bénéficier ? Et puis, si son père ou même Lukà finissaient comme sa mère ? Une foutue maladie foudroyante ou même un accident... Elle ne pourrait pas accepter une mort supplémentaire, c'était déjà de trop. "Ne vous en faites pas, quelqu'un s'occupe déjà de votre soeur." Ouais bah encore heureux tiens. Mais ça ne changeait rien. Faire semblant que rien ne pouvait l'atteindre, que tout allait parfaitement bien, c'était facile. C'était ce que Ludmila faisait tous les jours, sans interruption. Ça lui allait d'ailleurs, parce qu'elle avait appris à vivre avec cette crainte. Ça ne l'empêchait pas d'être heureuse d'une certaine manière et d'évoluer comme elle le désirait. Mais la peur était bien présente, enfouie au fond d'elle.