C. Alexandre de Saint Val * Maxence Danet Fauvel

Tu soupires et pose la lettre sur ton lit. C'est la troisième du mois. Avant c'était pour le ballon de rugby que tu avait malencontreusement "oublié" de rendre au fil de la gouvernante, ainsi que pour les coussins subtilisés dans le salon. Le premier, t'avais adoré le voir pleurer et, pour les seconds, il te fallait bien un minimum de confort dans ta cabane secrète. Mais jamais elle avait été aussi dure. Avant il t'avais suffit de lui ramener des trucs qu'elle aimait bien, des rubans pour ses chaussons de danse ou des bouteilles d'encre colorées mais jamais elle ne t'avais volé quelque chose t'appartenant. Le grenier en plus. C'était sale, infesté d'araignée et noir. Et dieu sait combien tu avais peur du noir. Sauf que tu dormais pas sans ta peluche. Impossible. Cette vieille crasse à l'effigie de Simba du Roi Lion, c'était ton meilleur ami, ton compagnon d'aventures. T'avais huit ans et ton confident était un lion. N'a pas la classe qui veut. Le papier semble te narguer. Alors au lieu de le jeter au feu comme d'habitude, tu le prend et le déchire violemment en rugissant comme Simba le ferait. Tandis que les miettes de la missive te retombent sur mes épaules comme de la neige, tu entends un rire cristallin. Cet éclat, il n'y en aura jamais de semblable, c'est blond, avec des yeux bleus et une malice à toute épreuve. « Bérénice, rend le moi ! Ou je dis à toutes tes amies ridicules que ta princesse préférée c'est Ariel et pas Pocahontas ! » Ses cheveux d'anges disparaissent dans l'embrasure de la porte de ta chambre. Tu ébouriffe les tiens, tout aussi blonds et quitte la pièce en furie, déjà tu lui cours après. Tu effleure à peine sa robe qu'elle hurle, et s'en va à tire d'ailes. « C'est pas vrai, t'es qu'un menteur !  Ariel elle est moche et en plus elle parle à des poissons ! Espèce de Polochon ! » Oui les insultes volaient haut à cette époque. Tu la regrette dans un sens. Vous étiez extravertis, les deux rois de la cours des miracles du manoir familial. Maintenant ta jumelle est une pâle copie de ce qu'elle était avant, apathique et... fiancée. Dieu que ce mot te dégoûtes.  

Elle courait et riait en même temps, riait à s'en étouffer. Alors tu pouvais pas t'empêcher. Toi aussi t'étais mort de rire. Ça marchait comme ça entre vous. Vous pensiez ensemble, viviez ensemble, respirirez ensemble. T'arrivais pas à la suivre, t'adossant aux murs tapissés de tableaux sans intérêt pour l'enfant que tu étais. T'essayais même pas de la rattraper, c'était la plus rapide fille de Versailles. C'est une ménagère qui t'as trouvé là, les larmes aux yeux, somnolent. « Qu'est ce que vous faites ici, monsieur Côme ? C'est l'heure du goûter, allez descendez. » Secoué et fatigué, tu lui tires la langue, parce qu'on aime la maturité chez les De Saint Val. « Non, j'decendrai pas. Et si vous m'aidez pas à retrouver Simba, je dirai à père que dès fois, j'vous entend gémir bizarrement dans le petit salon bleu quand vous vous retrouvez avec le jardinier. Et me dites pas que vous vous cogner le pied à l'aspirateur. Parce que ça fait mal, et là, quand j'vous entend, ça a pas vraiment l'air de faire mal, si vous voyez c'que j'veux dire...   » Elle te regarde, de ses grands yeux boueux equarquillés. T'as pas marqué un point, t'en a marqué dix. Elle ira au grenier pour toi cette bécasse. « Tu n'est vraiment qu'un p'tit crevard toi. Mais vous les riches, vous perdez rien pour attendre, parce que ça va changer et un jour, vous n'aurez plus rien, RIEN. Oh tu m'regarde avec tes prunelles bleues mais c'est pas le paradis derrière mon garçon, oh non c'est l'enfer !   » Tsssss tsssss tsssss, tu secoue ton doigt de droite à gauche pour manifester ton mécontentement avec style. T'as vu James Bond le faire et t'adores le sortir à toutes les sauces. Puis tu dirige ton index vers le plafond, et articules sur tes lèvres "Allez me chercher Simba, et je ne dirai rien..."  Tu je veux pas que Bérénice découvre que tu joue de manière peu orthodoxe. La femme te lance un regard mauvais et lâche un "je reviens dans dix minutes". Tu aquieces, fier de toi et mort de rire.

Elle revient avec la peluche, plutôt propre, aussi propre que peut l'être un tissus mordillé à longueur de journée par un gamin. Tu lui arrache des mains et pousse son seau dans l'escalier avant de partir dans le couloir à toute vitesse, hurlant comme un damné. Tu dévalle les étages avant d'arriver dehors, dans la roseraie. Tu adores cet endroit, il t'apaise, c'est votre jardin secret à toi et à ta jumelle. Jumelle qui se paresse au grès du vent sur la balançoire accrochée au pommier. Tu lui mets Simba devant le yeux et elle se mets à pouffer. « Bravo, t'as réussis à aller au grenier finalement, j'suis fière de toi ! On joue à cache cache maintenant et évidement tu comptes ! » Tu lui tires la langue, ouais à huit ans c'était ta manière de répliquer avant de poser tes paumes sur tes iris océan. Elle s'éloigne déjà mais tu lui hurle avant qu'elle ne disparaisse « Et Bee ! Ça veut dire quoi crevard ? » Elle s'ésclafe de nouveau et se fond dans la nature. Ouais bien sûr, tu comprendra quand tu sera plus grand...

Désormais t'es plus grand, tu sais parfaite que veux dire crevard, tu rempli d'ailleurs les conditions à la lettre. T'es beau t'es bien, un bon p'tit français venu faire ses études dans la plus prestigieuse université du monde. Papa finance le tout, et ce n'est pas pour te déplaire, espérant bien sûr que tu reprenne la tête de Vuiton mais tu laisse volontiers ça a ta soeur, c'est tout à fait son job. Harvard te plaît, t'es près de la personne la plus chère à tes yeux, tu t'éclates, tu cherche, tu trouves, tu te trouves...