« Les beaux jours. » SCARSIN

Premier Noël. Je suppose que c'est un pas qui compte. Je suppose, parce qu'on les compte. La rousse est dans la voiture, les mains sur le volant. Parce que ouais, j't'ai pas laissé le choix, j'ai pris les clés. Que t'es à côté, qu'on traverse la nuit. Qu'on est le 25 au soir, que Noël c'est finit. Y a les yeux fatigués, et le maquillage qui s'est écumé sur la peau. Fin des fêtes. J'ai oublié ma famille pour la première fois depuis mon adoption, je me suis contentée d'un appel. J'suis sympa, j'ai mis la vidéo. Ils ont comprit. De toute façon, c'est pas nouveau, ils me laissent faire tout ce que je veux. « T'endors pas, ou j'vais nous perdre. » Qu'elle rompt le silence, à peine entrecoupé d'une musique pas assez fort pour le recouvrir totalement. Ses lèvres se soulignent d'un fin sourire, ses billes quittent la route pour quelques secondes. Volontairement ou non, j'finirai par nous perdre tu sais. J'suis pas douée avec l'orientation. Puis, j'suis pas encore trop au point avec le fait de notre nouveau statut. Encore perturbée. Pas habituée. Ouais, tout ceci est bizarre. Agréable, mais bizarre. Mais t'es belle, et ça, ça envoie valser les quelques doutes qui parfois me saisissent.

Je savais que ça n'allait rien changer qu'elle voit mon père. Il entends parlé depuis tellement longtemps qu'il sait très bien ce qui se trame entre nous deux, il n'est pas né de la dernière pluie. Il m'a dis de faire attention à elle, il a bien compris que Scarlett est l'une de celle qui compte, une de celle que je n'ai pas envie de perdre. « T'endors pas, ou j'vais nous perdre. » Le corps sursaute, la demoiselle se redresse sur le siège. "Quoi ? Non j'dors pas." je dors pas, je m'endormais, ouais d'accord je l'admet. Mais il est tard et mes paupières sont faibles. Je tourne mes yeux sur elle, ses cheveux roux, son maquillage qui coule, "On aurait pu dormir là bas, tu sais.." Je sais pas pourquoi on a décidé de repartir, pour être honnête. C'est bizarre, de voir Scarlett comme plus qu'une amie, ma meilleure amie. C'était plus simple d'être dans le rôle de celle qui souffre, puis qui fait souffrir, à tour de rôle. Moins de risque de perte, plus d'habitude, certainement. On a du mal à s'y faire, et ça se voit, aussi bien dans tes yeux que dans les miens. Voit la route défiler, se met à rire quand elle voit la rousse continuer tout droit, "Fallait prendre à gauche ici." souris en coin en la regardant, puis hausse les épaules, "C'est pas grave on trouvera un autre chemin." Au pire des cas, je connais une technique pour nous réchauffer si dans la nuit on meurt de froid dans cette voiture. Puis, comme venant de nul part, "Il t'a adoré, tu sais ?" il t'adorait déjà quand on ne faisait que parler via écran interposé, à nos débuts.

Les parents, ça me fait pas peur. Je sais ce qu'ils voient, je sais qu'ils voient mes manières polies, mon rire franc, et ma candeur qui dégouline. Ils ne voient pas gênes ratés, ils ne voient que mon éducation soignée. Ils voient que je suis de ceux incapables de faire du mal volontairement, de ceux qui ont peur de la violence. Qui plaindraient vos égratignures. Qui prendraient des balles, pour n'importe qui, juste parce que la pureté de son cœur est tournée vers autrui. Les parents, ça me fait pas peur. C'est toi, qui me fait peur. J'dis que je suis sereine, mais il n'y a rien de vrai là-dedans. Je connais tes instabilités, je sais que tu peux dresser des murs entre nous, juste par peur, par envie, par désir de l’apocalypse. Vivre au jour le jour. "Quoi ? Non j'dors pas." Mouais. J'te sentais partir. "On aurait pu dormir là bas, tu sais.." J'ai un sourire en coin. « Commencer par une soirée, c'est bien. » Pas trop, tout de suite. « Puis, j'pense que ton père était pas prêt à me voir au réveil. » Je parais moins bien honnête, à peine vêtue auprès de sa fille. Je suis déjà moins belle, avec le noir au bord des yeux. Toujours aussi peu apte à prendre de bonnes routes. "Fallait prendre à gauche ici. C'est pas grave on trouvera un autre chemin." Ouvre la bouche, par réflexe regarde vite sur le côté, à gauche, voyant la route qu'elle aurait dû prendre, s'éloigner. Tant pis. "Il t'a adoré, tu sais ?" Un sourire sur la bouche. « Ah ouais ? » J'le sais, je l'ai senti. Puis, je ne suis pas une fille qu'on déteste. « J'avais peur qu'il imagine quelqu'un d'autre. Qu'il ai une image édulcorée de moi. » C'est le problème, quand la relation date, quand on a été une image derrière un ordinateur. « J'suis la combientième que tu lui présentes ? » Qu'elle reprend avec une petite moue amusée, la regardant du coin de l'oeil.

Mon père était excité rien qu'à l'idée de la rencontrer. Je saurais pas dire pourquoi, peut-être parce que depuis le temps que je lui en parle, il devait commencer à être impatient de mettre un visage sur des mots prononcé par sa fille à chaque fois qu'elle le pouvait. « Commencer par une soirée, c'est bien. » Si c'est ce que tu préfère, alors soit. « Puis, j'pense que ton père était pas prêt à me voir au réveil. » Rigole en secouant la tête, "T'es tout aussi belle au réveil." De toute façon, il t'a adoré. A peine passé la porte, il t'aimait déjà. « Ah ouais ? » hoche la tête, « J'avais peur qu'il imagine quelqu'un d'autre. Qu'il ai une image édulcorée de moi. » secoue la tête, il sait ce que je lui en dis, et si moi je suis à tes côtés, il sera aux tiens aussi. La confiance, on appelle ça. « J'suis la combientième que tu lui présentes ? » Regarde la rousse en fronçant les sourcils, sans vraiment comprendre la question. "T'es.." je sais pas comment le prendre, je sais pas si je dois être vexée ou si ce n'est juste que le reflet de tout ce que je t'ai laissé croire qui se place face à moi. "T'es la première, en fait." souris un peu, bien qu'un peu vexée par la question, ça s'entends dans la voix, "La première et la seule personne qu'il a vu." tout genre confondu, au cas où t'aurais pas compris. C'est peut-être pour ça qu'il était si content, à peine tes pieds avaient passé le pas de la porte. Tu sais que je m'accroche pas, tu sais que je suis pas le genre de personne qui vivra en couple avec quelqu'un. Je suis pas celle qui présentera toutes mes.. copines ou copains à mon père. Je suis pas celle qui tombe amoureuse. T'es l'exception, pas la règle.

Je me demande si lui aussi, il se dit que tu vas me briser. Tu sais, en morceaux. Que tu vas me laisser sur le côté, que tu vas m'oublier dans d'autres bras. Juste quelques minutes. Oh, tu finiras par te rappeler de mon visage, quand vient le petit matin. Est-ce qu'il se demande combien de temps on va durer ? Si l'année prochaine, je serais toujours là, à sa table ? Si toi aussi, t'y seras. Après tout, nos places sont peu fiables. Alors, on profite de l'instant présent. Des secondes qui s'écoulent, pendant qu'on est ensemble. "T'es tout aussi belle au réveil." Secoue la tête, le sourire aux lèvres. Gamine flattée. Tu peux le répéter autant de fois que tu le souhaites, j'le prendrai toujours de la même manière. J'aime, quand tu me regardes comme si j'étais la plus belle de tes conquètes. Je sais que c'est faux. Je les ai vu trop de fois. D'ailleurs, la rousse s'interroge. "T'es.." Ma question t'as surprise, je sais. "T'es la première, en fait. La première et la seule personne qu'il a vu." Vexée, même. « Ne te vexe pas. » Mes billes vont sur toi, douces. La malice aux lèvres. « Ca m'arrange, je ne peux qu'être sa préférée. » Forcément, si j'suis l'unique à avoir franchit cette porte. Ca me rassure, d'un côté. De beaucoup de côtés, à vrai dire. « On s'arrête ! J'ai besoin d'un café. Et de bonbons. Il me faut des petits schtroumphs. » Qu'elle sursaute presque, en voyant le panneau de cette station essence glauque. Je choisis bien mes endroits, moi.