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« I am Jack's inflamed sense of rejection. » Fight Club.
caleb & lily
Monotones, languides, ses pensées glissent le long du comptoir de bar comme l’œil fatigué avant elles. Elle a oublié depuis combien de temps elle est là, dans un état proche de la léthargie, à s’arrimer désespérément à un verre qui ne contient même pas de quoi l’enivrer un peu. Cela faisait trois semaines qu’on l’avait enfin autorisée à sortir de l’hôpital, à mettre le nez dehors sans que l’air ne soit chargé des effluves aseptisées du carcan hospitalier. Et cela faisait à peine une semaine qu’elle avait emménagée dans ce petit appartement, en plein centre-ville. Des cartons s’y entassaient encore, ne seraient pas ouverts avant plusieurs jours, le temps qu’elle prenne la mesure d’un quotidien devenu presque étrange, au regard de cet été plein de tortures. Lawrence n’avait pas donné signe de vie depuis son transfert à l’hôpital de Boston. Lui si présent à son chevet pendant un temps s’était volatilisé comme une ombre versatile, injoignable. D’ailleurs, son numéro n’était même plus attribué. Elle avait bien essayé de soudoyer des informations à son paternel, qui, elle en était sure, n’était pas au courant des agissements de son « ami » plus évanescent qu’une ombre. Et elle commençait à bouillir, lentement, à lui en vouloir d’avoir ainsi disparu sans une explication, sans un au revoir. Elle se sentait tiraillée entre la colère de ne pas l’avoir vu partir, et le désarroi de cette absence qui la faisait souffrir plus qu’elle ne le devrait en réalité.
Il était tard, trop tard sans doutes. Et elle songeait, accoudée à ce comptoir poisseux des déboires alcooliques des autres, depuis trop longtemps. Elle ne buvait que de l’eau, toujours en convalescence même si elle avait repris des couleurs, du poil de la bête, et que sa cicatrice se refermait convenablement. Les éclats de voix alentours lui passaient au-dessus, ricochaient sur sa conscience sans la heurter tout à fait, et il fallut qu’une silhouette plus charpentée qu’elle (peu difficile à trouver en réalité) vienne la bousculer légèrement pour qu’elle sorte enfin des réflexions incertaines dans lesquelles elle était plongée. « дерьмо (merde) ... Faites attention à ce que vous faites … » Elle avait froncé les sourcils, une partie de son verre s’était renversé sur sa main, et sur le comptoir, quand l’inconnu avait bousculé son profil. Battant l’air de sa main humide, visiblement de mauvaise humeur d’avoir été « réveillée » brusquement, elle jeta un regard furibond au jeune homme qui semblait à peine avoir remarqué qu’il venait d’entrer en collision. « Oui, c’est à vous là, que je parlais ! Vous qui me regardez avec une mine de poisson déconfit. » Quoi ? Ce n’était pas ça, l’expression appropriée ? Poisson déconfit ? Merlan frit ? Merde. En attendant, elle venait de remarquer sa démarche un peu claudicante, et ses battements de paupières, par-dessus des prunelles rougies par une consommation d’alcool trop abusive. Encore un pilier de comptoir adepte de la dépravation juvénile. Bordel, elle les attirait comme des abeilles sont attirées par le pot de miel ou quoi ?© ACIDBRAIN(Invité)