Keep in the dark (Zoliter)

Les heures vaines et grises s'écroulent comme l'homme en sang qui cède au centre du ring et laissent place à une myriade d'étoiles. Peut-être est-ce la confusion qui l'emporte sur le conscient, qui consume de l'intérieur identiquement à la flamme qui s'érige à la tige d'une allumette. Ma peau vient d'abord virer à l'écarlate, délaisse les grains légèrement hâlés qui d'origine constituent sa robe de vie. Frissonne une première fois mon corps, feuille malmenée par les furies passagères de ces températures nivéales. Que la folie m'emporte aux vestiges de ses songes, qu'elle se sustente de cette paralysie imaginaire qui vient engourdir mes jambes dans les instants d'alerte. Un maigre sac sur le dos qui ne contient que de quoi tenir le temps d'une nuit sous les néons des ténèbres, j'avance. Mes semelles viennent caresser les roches hasardeuses sous l'orchestre des branches qui crépitent. Une brume légère se dépose sur les lignes de mon visage comme un voile légèrement opaque, vient me rappeler qu'il est temps d'arrêter, de succomber à la lourdeur des paupières assoiffées de lymphe. Le dos courbé contre un tronc, je me laisse doucement glisser. D'une main pressée, je sors mon matériel de survie ou tout du moins, quelque chose qui s'en approche. Un sac de couchage, un chauffe-main, une lampe-torche assez puissante pour aveugler un phacochère ou laisser croire à un abruti qu'il voit la lumière au bout du tunnel, un couteau suisse, une gourde et quelques barres de chocolat. Inconscient, bercé par mon goût du risque non-dosé, je me laisse péniblement emporter par cette force interne qui semble vouloir me chasser de mon corps. Un craquement lourd vient déchirer le silence. Les yeux comme deux billes de volume important, je reluque les alentours inquiet. « Du calme Jupiter, c'est sans doute un joli petit écureuil. » Un joli écureuil qu'intérieurement, j'imagine gros, moche et crochu. Une créature plus communément appelée sanglier.

Le doute vient s'installer, innocent et exerce une pression au moindre article de mes muscles. Premièrement obombré de ces idées fluettes aux reflets de paranoïa, du coque à l'âne, homme banal de ces jours modernes je deviens maître de la clairaudience. Je l'entend, je le vis, ce souffle dérisoire qui effleure sans consentement la morphologie de mon tympan. Je pense d'abord devenir fou, bon à jeter au fond d'une cage comme ces oiseaux qu'on maltraite tout en osant imaginer faire ce qu'il y a de plus bon. Sans réfléchir plus longtemps, j'éradique toute possibilité de discours de la nature, du chant des bourrasques de vent sur les corps de bois immobiles. Je discerne les phonèmes dans les lamentations du temps. Une voix, la voix. Celle qui résonne dans la moindre parcelle de ma tête, qui réchauffe, qui rassure. Une voix douce, féminime, peut-être celle de ma conscience qui se décide à me rencontrer après tant d'années. Cette même voix qui depuis mon plus jeune âge ne cesse de répéter ces mots noirs et tranchants. Non, pas comme ça Jupiter. Tu es nul. Tu es inutile. Tu ne sais rien faire. Tu ne comprends pas que tu n'es pas normal. Regardes les autres, eux, ils font bien les choses. Non, pas comme ça Jupiter, arrêtes. Tu comptes réussir quelque chose dans ta vie un jour ? Je secoue la tête d'un mouvement hâtif, me débarrasse du poids de ma pensée comme un chien se dévêt de l'humidité qui vient sublimer son pelage. Conscience, peu importe ce que tu essayes de m'imposer, je n'ai plus peur de toi. Je ne te redoute plus, tes armes ne sont qu'illusions, mes larmes ne sont plus poisons. Une lumière aveuglante vient heurter mes iris, sensation de brûlure qui se méprend de la cornée de mes yeux. La voix, c'est elle, elle est là. Les doigts écartés, je suspend une main devant mon visage, dernière protection contre ces rayons aux teintes du paradis. « Vous croyez ? » Le visage crispé, je tourne légèrement la tête. « Je crois que je suis aveuglé. » Une main agrippée  aux courbes épaisses du tronc, je prend appuie d'un souffle et me relève à la hauteur de l'ombre qui se présente à moi comme une entité féminine.

Perdue. Le mot me heurte autant que sa lumière m'agresse. D'abord un inconfort certain, une gêne, quelque chose qui semble bloquer un mécanisme, une branche dans des rouages, puis une évidence. Perdue, je le suis moi aussi, perdu. Je ne sais où je suis, où je met les pieds, ce que je fais. Je ne sais pas, je ne sais rien, je ne sais pas même ce que je fais vraiment, si cette nuit sous les étoiles peut être qualifiée de survie ou de vulgaire randonnée nocturne bon marché, une activité de gamine à peine âgé de cinq ans qui retrouve sa meilleure amie le temps d'un léger week end avant de retourner apprendre sa table des additions. « Je veux bien vous aider mais... je ne sais pas comment le faire pour être honnête. Je suis venu ici pour passer la nuit et je ne connais pas plus le coin que vous sans doute. Vous pouvez dormir avec moi si vous le voulez, je ne mord pas, en principe. » En principe seulement, parce que si mademoiselle sort les crocs, si elle se relève être l'un de ces vampires perdus en pleine forêt, alors aucun doute, je laisse mes canines briller sous les rayons lunaires, ni plus ni moins. « Habitué, pas encore mais à la vue du contexte, ça risque d'être prochainement le cas. » Je lâche un léger grognement, tourmenté par la fatigue qui m'assaille au niveau des paupières et d'un geste rapide, attrape une barre chocolatée du fond de ma poche et lui jette en prenant le soin de viser correctement, de manière à lui éviter une blessure subtile post-papier de chocolat en plein iris. « On peut se tutoyer ? Je dois avouer que le vouvoiement me donne des frissons. Encore mieux sinon, moi c'est Jupiter. »