MATHEA OESTERWIND ► kassi smith

Funambule sur le fil de la vie, Mathea, elle a toujours vécu sur une ligne droite, un fond uniforme, tout noir ou tout blanc, pâle. Ni heureuse, ni malheureuse, elle a passé les dix-neuf premières années de sa vie à vivre sans vivre, suivant le mouvement de sa famille, mais qui est-elle pour se plaindre alors qu'on lui a apporté une vie de rêve ? Abandonnée à sa naissance, elle aurait pu finir orpheline, trimbalée d'orphelinat en orphelinat, mais c'était sans compter sur son visage de poupée et ses beaux yeux clairs. Rapidement, la belle a eu la chance d'être adoptée, devenant la fille d'un homme d'affaires et d'une pianiste londoniens, elle a passé les dix premières années de sa vie à Londres, avant de déménager en Nouvelle Zélande pour trois ans, puis enfin, s'installer à New York. Par conséquent, jusque quatorze ans, elle a grandi sans réelles attaches, à craindre de se faire des amis, parce qu'elle savait que tôt ou tard, elle allait devoir les quitter pour des milliers de kilomètres de séparation. Jusqu'à ce qu'enfin, ses parents se posent pour enfin offrir à leurs enfants la vie dont ils avaient besoin. Plus jeune d'une famille de deux enfants, ayant un grand frère qui l'aime plus que tout, ça a toujours été une princesse, Thea. Belle blonde à la peau halée et au grand regard clair, quand ses parents s'absentaient et qu'elle était sous la seule responsabilité de sa gouvernante ou de son aîné, elle était souvent au centre de l'attention, sachant exactement comment agir pour attirer les regards. Et en grandissant, elle a su cultiver cette image jusqu'à la fameuse arrivée à Harvard. Thea la parfaite. Courbes envieuses, visage de mannequin, QI élevé et une façon de parler digne d'un adulte. Si certains y voient une bonne éducation et un grand soin de sa personne, d'autres - et la majorité - voient la jeune fille rapidement comme hautaine, snob, supérieure aux autres qui n'ont pas eu une voiture de luxe pour leurs seize ans. Elle s'efforçait d'ignorer, la jeune fille, membre de la Eliot House, étudiante studieuse à l'avenir prometteur, tout lui souriait, si ce n'est qu'elle se lassait, jour après jour, de cette vie tracée comme sur du papier à musique. Elle suivait ses études, sortait avec ses amis, mais elle n'avait pas le petit truc qui lui donnait envie de se lâcher, d'arrêter de penser comme un automate. Elle voulait s'amuser, rire réellement, crier dans le vide puis partir d'un fou rire à en pleurer. Le frisson de l'inconnu, du danger, dès le départ elle commençait de plus en plus à le chercher, et après l'attentat de janvier 2013, elle a eu cette soif de vivre, Mathea, plus que jamais, frôlant la paralysie d'un peu trop près. Du jour au lendemain, elle plaque tout, quitte sa maison où elle ne se sent pas à sa place, trop de pression, trop d'élitisme. Elle décide de rester sans maison, de rester inclassable, le temps de trouver sa place. Elle se sent plus libre de sympathiser avec n'importe qui, laisse tomber les préjugés, et progressivement, les préjugés à son encontre s'apaisent, bien que certains continuent de la voir comme cette fille un peu trop parfaite. Au fond, ça lui plait, tant qu'on s'en prend pas à elle. Mais sa vie elle bascule réellement à la fin de l'année 2014.

Les agressions, le couvre feu, la panique, la fermeture des maisons. Certains ont eu peur, et certains ont vécu l'Enfer. Et Mathea, elle a fait partie de la dernière catégorie, quand une nuit tout a basculé. Elle a enduré le viol, Thea, impuissante et faible pour la première fois de sa vie, et à partir de là, elle a changé. Elle a perdu ce respect qu'elle avait envers elle-même, elle a cessé de croire à la vie de couple, elle est devenue cette fille insaisissable et incompréhensible, énigmatique. Ses proches ont fini par apprendre la vérité, et leurs regards condescendants lui donnaient la gerbe. Elle leur a fait jurer au nom de leur amitié, de leur amour pour elle de ne plus jamais en parler, comme si tout ça n'avait jamais existé. Elle était pas prête à faire le deuil de cet épisode de sa vie. Elle est toujours pas prête, et ne le sera peut-être jamais. Elle s'est réfugiée dans un monde de fête, d'alcool, de sexe et d'histoires sans lendemain. Gosse de riche qui n'a plus rien d'une étudiante modèle, elle garde un bon niveau scolaire, tout en profitant de ce que la vie lui apporte. Un jour, peut-être que sa carapace se fissurera, à Mathea, mais pas ce soir. Seul le temps et beaucoup de patience iront à bout de son caractère d'entêtée.