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« Penches toi un peu plus s’il te plait. Non pas comme ça, tu râles doucement en te levant. Ta tête de ce côté-là, voilà parfait. Ta jambe plus détendue. Bon, on va peut-être pouvoir enfin terminer » tu insistes pour la énième fois. Tu te répètes. Tu n’aimes pas ça. Clairement. Tu délaisses le jeune homme, t’assurant qu’il n’a pas bougé entre temps avant de revenir à ton poste. Tu lui adresses un sourire encourageant. Il te le renvoie. Tu as conscience de la singularité de la situation. Une situation complètement loufoque, invraisemblable. Légèrement dérangeante. Au fond, tu commences par prendre l’habitude. Ce n’est pas la première fois que tu dessines un homme entièrement nu. Et puis, faut avouer qu’il a l’air de bien apprécier. Limite, il prendrait son pied. Il aurai très certainement aimé que les places soient échangées. Pervers. Tu es amusée. Chacun ses fantasmes. Tu t’assoies. Tu croises les jambes. Tu te saisis à nouveau de ton carnet. Et tu te remets à dessiner. Julian il s’appelle. Enfin tu crois. Tu n’as pas vraiment retenu tout ce qu’il t’avait dit. Seul le « je suis d’accord pour être ton modèle nu » avait retenu toute ton attention. Tu fronces les sourcils. Ton trait, beaucoup trop épais. Tu le gommes et tu reprends. Minutieusement. Méticuleusement. Tu ne veux rien rater. Tu fais attention à tout. Tu fais attention à chaque minuscule détail. Ce devoir, tu veux le réussir. Et tu y parviendras. Quoi qu’il t’en coûte. Lennox t’a rattrapé. Avec une bien meilleure note que toi. Tu l’avoues, tu ne le supportes pas. Perdre, tu ne peux l’accepter. Ce n’est pas dans tes habitudes d’être plus mauvaise qu’un autre. Tu es douée. Tu en as conscience. Tu n’es pas de ceux qui s’en vantent. Bien au contraire. Depuis ta plus tendre enfance, tu as toujours été celle qu’on relègue au second plan. Toujours après Dakota. Toujours derrière Dakota. Ta place ne pouvait être supérieure à celle de ta sœur jumelle décédée. Tu avais pris sur toi. A chaque fois. Ne cherchant pas à être meilleure qu’elle. Juste à sa hauteur. Juste à son niveau. Pour toi, c’était suffisant. Mais pas pour elle. Elle te pourrissait la vie, Arizona. Elle faisait en sorte d’avoir toujours deux ou trois mètres d’avance par rapport à toi. Tu perdais. Toujours. Face à elle. Tu n’étais pas assez forte. Psychologiquement parlant. Elle restait ta sœur. Ta chair et ton sang. Cette rivalité, cette compétition, elle ne menait à rien. Voilà pourquoi tu avais cédé. Tu n’avais pas cherché à la concurrencer. Tu n’avais pas cherché à lui faire de l’ombre. Jusqu’à son décès. Jusqu’à maintenant. Un raclement de gorge te sort brusquement de tes pensées. « Il est dix-neuf heures passées, faudrait que j’y aille. Enfin si tu as terminé. Je peux revenir demain aussi. » Tu relèves lentement la tête. Tu acquiesces du regard. Tu n’avais pas fini. Quelques finitions. Mais le plus gros du travail était enfin fait. Tu étais plutôt satisfaite de ton œuvre. Il te fait un signe, tu le lui renvoie. Puis tu ranges rapidement tes affaires. Tu ne devrais pas être ici. Pas à cette heure-ci. Surtout depuis que les cours étaient terminés. Tu en faisais toujours à ta tête. Tu voulais te surpasser. Prouver ce que tu valais. Prouver que tu pouvais être au-dessus d'Arizona. Ton dessin et sac en main, tu te diriges d’un pas rapide vers l’ascenseur. Tu esquisses un sourire triste. Même après son décès, tu te sens évincée. Tu ne devrais pas penser de cette façon. Tu n’es qu’une putain d’égoïste. Son fantôme te hante. Tu le sais. Ton passé te rattrape. Un peu plus chaque jour. Et lorsque l’ascenseur s’arrête au troisième étage, laissant apparaître une tête des plus familières, tu te dis que vraiment tu es maudite. Putain de mauvais karma. Abélard. Juste là. Cet enfoiré. Ce connard. Juste en face de toi. Tu hallucines. Tu es en train de cauchemarder. Tu secoues la tête. Tu pries pour qu’il fasse demi-tour. Tu pries de toutes tes forces. Merde. Visiblement, il ne prend pas en compte les signes que tu lui envoies. Des ondes purement négatives. Il entre. Tu te retrouves prise au piège. Tu voudrais t’enfuir. Mais l’imbécile, il s’est mis juste devant. Tu soupires. Il appuie sur le bouton. Tu lèves les yeux au ciel. Il descend au même étage que le tien. De mieux en mieux. Vraiment. Tu es la fille la plus chanceuse du monde. Un silence de plomb s’est installé. Tu n’as pas l’intention de lui quoi que ce soit. Tu ne supportes même pas sa présence. Ni son parfum. Rien. Nada. Tu lui lances juste un regard noir.Tu veux partir. Un bruit sourd te fait chanceler. Tu écarquilles les yeux. C’est une blague ? Tu mets peu de temps à comprendre. C’est toi ou ce putain d’engin n’avance plus ? Tu t’avances vers l’interphone. « Allez, démarre ! putain mais démarre abruti d’engin ! » tu murmures en appuyant comme une délurée sur tous les boutons. Par pitié. Redémarre. Ne me laissez pas seule avec lui. Par pitié. « Il a fallu que tu te pointes et hop plus d’ascenseur ! Le pire des enfoirés en personne. Fais quelque chose ! Pas question que je reste une seconde de plus avec toi » tu lui ordonnes, le visage fermé. La voix froide, glaciale.
AVENGEDINCHAINS
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