loin des yeux, près de l'esprit | Feldt&Peter

Dès lors qu'il eut franchi le pas de sa porte, le premier réflexe de Peter fut de consulter sa montre. Exactement 20:04, signifiant par là qu'il avait déjà quatre minutes de retard sur l'heure prévue. Laissant échapper un marmonnement frustré, il fit néanmoins un crochet rapide par le salon et la cuisine pour saluer sa colocataire, mais ne trouva qu'un appartement vide, lui épargnant le soin d'être encore plus en retard à cause des obligations sociales incombant à la vie en colocation (à savoir, demander comment s'était passée la journée, entre autre choses). Attrapant dans le frigo deux bouteilles de bière, le jeune professeur se dirigea rapidement dans sa chambre, referma la porte derrière lui, laissa sa sacoche sur son lit et troqua sa chemise contre un t-shirt plus confortable, avant d'allumer son PC et de se laisser tomber dans son fauteuil.

Une minute s'écoula avant qu'il ne parvienne à se connecter et à lancer Skype, pour constater que Feldt était déjà en ligne - évidemment plus ponctuelle que lui. Chaussant son casque et son micro, il lança l'appel audio - jamais de vidéo, comme si une règle tacite s'était instaurée sans qu'ils aient besoin d'en discuter - tout en ouvrant sa première bière.

"Konbanwa!" s'exclama-t-il tout en grimaçant après que de la mousse lui ait attaqué les doigts. "Désolé du retard, des collègues m'ont coincé en réunion jusqu'à ce que je ne menace de lui faire manger un dictionnaire s'ils ne me laissaient pas partir." grommela-t-il. La jeune femme savait qu'il était professeur, il ne lui avait simplement jamais dit dans quelle université, la question n'ayant jamais été abordée. Feldt était, depuis quelques mois maintenant, une de ses plus régulières partenaires de jeu vidéo. Il n'avait aucune idée d'où elle vivait, ni d'à quoi elle ressemblait, mais ils se retrouvaient en ligne plusieurs fois par semaine pour quelques parties acharnées. Et pour tout avouer, Peter s'était pris à attendre avec impatience ces rendez-vous du troisième type, durant lesquels il pouvait vraiment se déconnecter de la vraie vie - de sa reconversion inattendue, de ses doutes, de sa carrière entre parenthèses minables, et de tout le reste. Une foutue bouffée d'oxygène plus que bienvenue.

"Qu'est-ce qu'on se fait ce soir ? Overwatch ? Ils viennent de sortir le personnage de Sombra. Mais je suis ouvert à toutes les suggestions du moment que je peux passer mes nerfs sur une IA ou de pauvres innocents. Comment s'est passée ta semaine ?" demanda-t-il en buvant une première gorgée amère.

19h58, les jumeaux étaient à présent au lit, et leur histoire leur avait été lu. Si une certaine routine s’était instaurée maintenant que mes enfants allaient à la maternelle, il n’en restait que le processus de les mettre au lit était bien souvent long et laborieux du fait par leur énergie parfois débordante. Ce soir, cependant, tout allait bien, que j’avais pu fermer la porte derriere moi tranquillement avant de me rendre dans mon bureau, mon espace personnelle que personne n’avait le droit de pénétrer. C’était en quelque sortes mon sanctuaire le soir, ou je pouvais échapper le temps de plusieurs heures ma triste réalité. Je ne me plaignais ni de ma vie, ni de mon travail, mais si ma vie de maman et de boulot roulait sur des roulettes, ma vie personnelle était un long toboggan qui ne semblait jamais s’arrêter. Pouvoir simplement faire autre chose pendant plusieurs heures me permettait ainsi de décompresser et de ne surtout pas penser aux restes des jours. Si le contact humain me semblait encore bien difficile, je n’avais pas de problèmes à m’ouvrir à une personne derrière un écran, qui ne pouvait pas me voir, et donc ne pas me juger sur les choix de ma vie. J’attendais patiemment que Peter se connecte, mais aucun signe de lui à vingt heure. Avait-il eu un empêchement? Devrais-je simplement commencer sans lui? Pourtant, ce soir était bien un de vos rendez-vous habituels pour jouer ensemble, et parler. J’avais trouvé en lui un certain confident, quelque chose que j'attendais avec impatience. Soudain, mon skype se mit à sonner, affichant sur mon écran le nom de mon compagnon de jeu. « Konbanwa ! » Lui répondis-je. « Ne t’en fais pas. Je n’attendais pas depuis bien longtemps. » Choses à remercier aux enfants qui s’avaient seulement fermer les yeux peu avant leur heure de rendez-vous. Peter me demanda à quoi nous pourrions jouer ce soir, me proposant Overwatch. « Overwatch me va! Je t’avoue aussi que buter quelques IA me feraient du bien. » Rigolais-je. « Et pour ma semaine, disons que travailler avec des ordinateurs, ce n’est jamais facile. » J’adorais mon travail, j’adorais ma thèse, mais si je pouvais être honnête, parfois je voulais me tirer une balle dans le pied car rien ne fonctionnait. « Et toi? La réunion ça a été? » Demandais-je en lançant le dit jeu.