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Dehors il pleut des cordes. Un temps à se les foutre au cou.
J'ai été rattrapé. Par le temps, mes démons et mon père. Devant mon miroir, j'ajuste une ceinture qui me rappelle avec amertume l'épisode d'hier. Les plaies sur mon dos, la correction. Vingt deux ans, je souffre encore la violence de mon père. Comme si c'était pour lui le seul moyen de me contenir. La violence pour répondre à la violence que je m'inflige, mon ventre tordu dans tous les sens et ces spasmes itératifs. Je suffoque à plein poumon, enfile fermement ma chemise de soie. Ce que je peux être laid dans ce miroir. Mon visage s'est fermé comme quand j'étais arrivé à Harvard la première fois. Dur, froid, plus rien ne passe si ce n'est cette blase qu'habille mes soupirs d'une lassitude morne. Défiguré sans qu'on ait eu à toucher à mon visage, j'ai l'air de ces cadavres, monstres de pierre, qui n'ont plus le moindre trait humain sous les paupières. Ma cravate nouée, dehors il pleut des cordes à se les foutre au coup. Ma veste et la porte qui vole quand la secrétaire de mon père apparait : "Monsieur d'Aremberg vous attend dans son bureau". Un hochement de tête sans sourire. Expire un soupire quand la porte se referme, attrape mes effets que j'enfonce dans les poches de mon pantalon. Un dernier clin d'œil à ce reflet dénaturé, foutrement normal, qui ressemble exactement à ce que mon père en attend. Un piquet, raide, rude, déshumanisé. Je descends les escaliers sans courber l'échine, le dos droit, les épaules carrées. Je le vois qui m'attend, entrain de discuter. Je me joins à lui en silence, comme s'il fallait être discret, effacer la moindre trace de mon existence qui pourrait le perturber. Tête inclinée, il prend congé de son interlocuteur que je salue d'une poignée de main avant de me tourner vers lui : "Vous m'avez demandé ?". Son visage monstrueux accompagne mes yeux qui tentent de le fuir : "Nous sommes conviés à un diner. J'ai payé une partie de la nouvelle bibliothèque de ton université, ce soir, tu vas t'excuser et dire à quel point tu n'es qu'un idiot capricieux, que tu regrette, et que tu veux retourner étudier à Harvard". Mon objection se coupe à la commissure de mes lèvres quand mon regard le fuit, comprenant que face à lui, je n'aurais jamais le choix. Il se lève de son siège, s'avance vers moi. Une tape sur mon épaule, le chaud et le froid comme à chaque fois : "Tu es très élégant, ta mère serait fière de toi". Je pince mes lèvres quand l'envie d'hurler me gagne, il se tourne vers son trône avant de me faire face de nouveau : "Il va de soi que tu viendras accompagner. Je t'attends pour 21 heures, le chauffeur viendra te récupérer. Ne sois pas en retard". Il reprend place, j'ouvre la porte pour sortir du cabinet , mes mains s'enfoncent dans mes poches, contrarié. Quand il ajoute: "Tu n'as qu'à venir avec ta cavalière de la dernière fois. Kyla c'est ça ? Cette fille était ... amusante". Je lis d'ici son sourire narquois, son regard provocateur. Et moi qu'ait envie d'exploser. J'incline la tête en guise d'affirmation, ferme la porte, m'arrête un instant. Une dizaine de minutes avant de me résigner, prendre mon téléphone, et appeler Kyla tandis que je reprends le chemin vers mes appartements. Pourvu qu'elle soit à New-York. Tant pis la haine, je mets ma fierté de côté, même si au fond de moi je voudrais l'étrangler autant que mon père.
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