PETER F. ASAI ► godfrey gao

Peter fait partie de ces déracinés, de ces jeunes qui ont décidé que voir le monde était plus intéressant et stimulant que de rester sagement au bercail, et dont l’appétit de vivre les a menés à l’autre bout du monde. Né au Japon, fils d’un médecin et d’une professeure de lycée, le jeune Fuyuki a grandi dans la superbe ville de Kyôto, au milieu des anciens temples, des pagodes, des arbres aux feuilles rougeoyantes et des fleurs de cerisiers. Fils unique, c’est un écolier puis un étudiant très sérieux et appliqué, bien que rebelle et un poil insolent envers ses professeurs. Rêvant très tôt de voyager, c’est dans l’étude de l’anglais qu’il s’implique le plus, regardant une quantité astronomique de séries télévisées et de films en version originale, tentant tant bien que mal d’imiter les différents accents et de maîtriser la prononciation de l’anglais. Membre du club de théâtre au lycée, son professeur l’encourage dans cette voie, et à dix-huit ans, Fuyuki décroche sa place dans une excellente d’arts dramatiques à Tokyo.

Un échange scolaire entre les deux universités envoie Fuyuki à New York pour un semestre à la Juilliard School, une prestigieuse université d’arts dramatiques. Voyant là sa chance de s’orienter vers une carrière à l’international, et fort de son anglais bien supérieur à celui de ses camarades, il réussit à se faire transférer là-bas, laissant derrière lui le Japon et des parents à la fois ravis de savoir leur fils dans une école de haut standing, et inquiets de le voir s’engager dans une voie aussi hasardeuse que le théâtre. Les premiers mois ne sont pas les plus simples, entre décalage linguistique et choc culturel, mais Fuyuki apprend vite et s’adapte, persuadé que son talent finirait bien par le mener quelque part. Et il a eu raison : ses professeurs s’accordent à reconnaître ses capacités d’acteur, à la fois dans le registre de la tragédie, de la comédie, et du réalisme, et lui prédisent un grand avenir… s’il parvient à s’extraire du carcan du stéréotype, le plus grand ennemi des acteurs de couleur sur Broadway comme à Hollywood. Mais Fuyuki, qui se fait désormais appeler Peter, est optimiste et ambitieux.

Commençant sa carrière sur les planches de Broadway, il enchaîne les petits rôles dans des pièces de théâtre et des comédies musicales, faisant usage pour l’occasion des cours de danse qu’il a reçus à la Juilliard. C’est au bout de deux ans, à l’âge de vingt-cinq ans, qu’il décroche le rôle qui lui permet de percer : celui du personnage principal du Joueur d’Echecs, de Stefan Zweig, adapté pour la scène dans un théâtre de Broadway. Remportant l’unanimité de la critique, la performance de Peter le propulse sur le devant de la scène et lui permet de décrocher des rôles plus importants, devenant l’une des étoiles montantes de Broadway. Mais rapidement, sa couleur de peau le rattrape, et il a un mal fou à décrocher un nouveau premier rôle. Le cinéma et la télévision ne lui proposent que des rôles d’assassin ou de spécialiste en arts martiaux, et au bout de quatre ans, Peter commence à remettre en question ses plans de carrière, se demandant s’il réussira un jour à véritablement lancer sa carrière, ou s’il n’aura jamais eu que cet unique rôle particulièrement marquant, bien que ses seconds rôles soient également remarqués.

Une année durant, Peter se perd dans la fête, l’alcool, et la drogue, enchaînant sans conviction des rôles qu’il sélectionne sans envie. C’est alors qu’Harvard surgit dans sa vie, après avoir rencontré le vieux professeur de théâtre sur le point de partir à la retraite et à la recherche d’un successeur. Peu convaincu par les candidats reçus à la faculté, il s’intéresse à la carrière de Peter et à son approche dynamique et moderne du théâtre. Quelques semaines plus tard, le jeune acteur reçoit cette proposition d’entretien à Harvard, qui débouche sur une proposition d’emploi. Professeur de théâtre, et directeur du Sanders Theater. Après une semaine d’hésitation, Peter a accepté ce nouveau job. Cela fait maintenant six mois qu’il vit à Boston et s’adapte à son nouvel environnement universitaire, trouvant dans l’enseignement une stimulation intellectuelle qui n’est pas sans lui déplaire, et prenant par la même occasion une pause bienvenue dans sa carrière. Il ignore ce que lui réserve la suite, et ne perd pas l’envie de remonter sur les planches, mais en attendant, il se reconstruit et aide ses élèves à trouver leur propre chemin.