ABEL I. GALINHA ► Stephen James

Et dans un bruit digne d'une maitresse d'école aux grands ongles qui grattent le tableau noir, je poussai mon premier cris. Ma famille n'a jamais eu l'argent nécessaire pour aller à l’hôpital, pour acheter des médicaments ou pour vivre simplement. J'suis ce qu'on appelle un gosse des quartiers pauvres, du moins, chez moi, on dit un gosse des Favelas. Né dans une piscine gonflable qui servait de baignoire pour toute ma famille, ma mère décéda à l'accouchement. Tu naquis et t'es déjà un meurtrier. C'est à partir de ce moment-là que tu sais que toute ta vie, ça sera de la grosse merde, que toute ta putain de vie, tu auras ça sur la conscience, être la cause du décès de ta mère. Elle n'a pas eu le temps de te prendre dans ces bras, elle n'a pas eu le temps de te regarder ramper, marcher, grandir, te prendre ta première raclée, manquer de te faire tirer dessus, jouer au foot, courir après des poulets en plein milieu de la route, elle n'aura pas eu le temps d'entendre le son de ta voix, elle n'aura eu le temps de rien, et ça, c'est à cause de moi. Elle a sacrifié sa vie pour que je puisse être ici, pendant neuf mois, elle m'a porté et m'a permis d'être ici aujourd'hui, et je m'apprête à vous raconter une belle histoire, une histoire faites de sang, de tristesse, une histoire d'horreur, mon histoire, ma vie.

"Abel ! Abel ! Ils sont là bas ! Cours où ils vont nous échapper !" Lui, c'était Phelipe. On avait huit ans, et on courrait déjà après le danger. Un t-shirt trop court pour lui, un trop grand pour moi, il vivait dans la maison de pierre au dessus de la mienne. On a toujours pensé que nos parents allaient finir ensemble, lui, il n'avait plus que sa mère, et moi, que mon père, on pensait être frère, on pensait que rien ne pourrait nous séparer, que toute notre vie, on serait ensemble, fort, puissant, n'ayant peur de rien. Mais penser n'est pas la réalité. T'as beau t'imaginer des choses, tout finit par partir en couille à un moment où un autre, je ne suis pas devin, je ne peux pas prédire l'avenir, je ne pouvais pas prédire ce qui allait se passer, surtout à un si jeune âge. [...] Je cours, je le suis, mais avec ces grandes jambes toutes fines, il va beaucoup trop vite pour moi. Un jour, il sera coureur aux jeux olympiques, j'en suis certain, tu peux pas courir pieds nus et aussi vite si t'es pas coureur aux jeux olympiques. Mais je le suis du regard, j'arrive à le suivre, et on va les attraper. En plein milieu de la route, on se moque bien du danger des camions ou autres engin à deux ou quatre roues qui peuvent circuler ici, on est des gosses de la rue, on a peur de rien, et on compte bien le montrer aujourd'hui. "Phelipe ! A droite, t'en as un à ta droite !" Et là, je le vois se lancer en l'air, je le vois rater sa cible, je le vois s'écraser par terre, n'arrivant pas à attraper l'un des poulets qu'on coursait depuis tout à l'heure. Alors, je me mis à rigoler, sa façon de s'éclater par terre, c'était beau, c'était théâtrale. Comme tout ce qui suivit... On a pas eu le temps de réagir, on a pas eu le temps de comprendre qu'on entendis des sirènes retentir, se rapprochant à toute vitesse, on entendait le son augmenter, mais on ne pouvait pas encore les voir. Depuis quand ils passaient ici ? Je reste debout, tournant la tête de gauche à droite à leur recherche, Phelipe lui, il reste à terre, non loin du virage... "ATT..." Et c'était fini. A toute allure, une, puis deux, puis trois voiture de flics lui passèrent dessus, ne s'arrêtant même pas, comme si les suspensions des voitures avaient étudié pour... Phelipe a été écrasé par des poulets... Si ça n'aurait pas été lui, on en aurait rigolé, mais là... J'en ai pas rigolé...

C'est à partir de ce moment-là que tout parti en couille. Plongeant dans un trou sans fond, une tristesse sans fin, je me laissa envahir par mes sentiments, par cette haine d'avoir perdu un frère, d'avoir perdu l'une des seules attaches que j'avais dans ce monde. Je ne réfléchissais plus, à dix ans, je vendais de la drogue, onze ans je me faisais tailler ma première pipe par une gamine de seize ans, derrière des poubelles. A douze ans, j'avais ma première arme, à treize ans, je me faisais tirer dessus, une balle dans l'épaule par des mecs d'un gang adverse. Quatorze ans, j'ai eu mon premier tatouage fait par le mec qui conduisait le camion de lait. Il c'est infecté, j'ai eu l'impression que mon bras allait pourrir, mais non, je m'en suis sorti, et à quinze ans, j'avais déjà les deux bras de tatoués. Et mon père dans tout ça ? J'étais une déception pour lui, et j'en étais conscient. Il aurait aimé que je fasse des études, que j'essaie de m'en sortir, mais... Vous savez, depuis la mort de Phelipe, j'ai pas vraiment cherché à devenir quelqu'un. J'ai juste chercher à être la copie d'une copie d'un autre putain de copie, un mec des Favelas, qui a une espérance de vie qui dépasse pas vingt deux ans. Sauf qu'un jour... Tout changea...

Je reçoit une lettre, pas une lettre pour aller à Poudlard, non, une lettre d'une tante qui vivait à Boston, l'une des six sœurs de mon père. Il l'avait contacté, il lui avait dit que je tournai mal, qu'elle devait me prendre chez elle, que je devais tout faire pour m'en sortir loin des Favelas, que c'était pas une vie pour moi, que j'avais vu bien trop de drame, bien trop de mort, que j'avais vu bien trop de cœurs arrachés, de larmes coulée. Honnêtement, j'en avais pas envie, loin de là même. Et je n'allais pas y aller non. Vous savez, j'avais dix huit ans, à part vivre dans ma Favelas, vendre de la drogue, baiser les clochardes du coin et les femmes mariés, je faisais pas grand chose de mes journées, et je ne voulais pas faire grand chose de plus. Sauf que mon père était plein de ressource, malgré sa petite taille et sa moustache digne d'un Mexicain expatrié au Brésil, il m’assomma pendant mon sommeil. Ouais, c'est pas une histoire inventer, je me réveilla dans un avion qui était déjà en train de survoler l'océan. Comment il m'a ramener dans l'avion ? Je pense que le livreur de lait y est pour quelque chose, je les ai plusieurs fois vu manigancer des trucs sans vraiment comprendre de quoi il s'agissait. [...]

Me voilà donc aujourd'hui, six ans après avoir atterrie à Boston, vivant ici comme un intru, comme un mec qui n'avait pas sa place. Regardant toujours par dessus son épaule, gardant une arme planquée sous son matelas. Je n'ai jamais mis les pieds chez cette tante, non. Je me suis démerdé, comme j'ai toujours fait, je me suis débrouillé, j'ai essayé de m'en sortir à ma manière. J'ai trouvé un travail dans un bar, même si au début, je ne parlais pas très bien la langue, un mec avec une belle gueule et des gros bras, ça attire des clientes d'après le patron. J'ai suivi des cours du soirs, du matin, et même de la nuit, et j'ai tenté ma chance, j'ai tenté le concours d'entrée à Harvard. La première fois, j'ai été recalé, j'étais pas assez bien classé pour avoir droit à la bourse d'étude. Alors, pendant une année de plus, je travailla, enchainant sorti, baise, alcool et drogue. C'était mon moyen de rester éveiller, ma petite pilule secrète qui me permettait de continuer à me sentir en vie. Deuxième année, je réussis le concours, obtenant par la même occasion la bourse d'études qui allait me permettre de m'en sortir. Voilà maintenant trois ans que je suis étudiant à Harvard, et j'peux vous assurez que pour un mec boursier, j'suis loin d'être l'exemple de l'élève le plus studieux. Dans ma tête, je suis encore dans les Favelas par moments, à courir après un poulet, à passer par des fenêtres, à jouer au foot avec une balle à moitié dégonflée... C'était dur, au début je peux vous avouer que c'était dur. Sauf que j'ai compris une chose, ici, c'est comme dans les Favelas, c'est la loi du plus fort, la loi de celui qui pourra te fournir la meilleure drogue ou la meilleure soirée, et disons que pour ça, j'ai toujours été bon, j'ai toujours su me démerder dans ce domaine. C'est ce qui m'a permis de m'intégrer pour le coup...