SORROW NOVÁKOVÁ ► Giza Lagarce

Regarde la, regardez vous, là, étendus sur une herbe qui s'embourbe dans vos cheveux, qui tâchent vos vêtements mais qui s'en préoccupe réellement ? Elle aura droit à un sermon de sa mère, un regard sévère de son père qui oubliera vite une fois les yeux détournés. Elle préfère le bleu des yeux que lui offre Adam, Adam et ses fossettes qui lui donnent l'air toujours plus jeune, Adam et les tâches de rousseurs qui lui ornent les pommettes, Adam et sa liberté, Adam d'un autre monde. Elle l'observe, lui tourne autour, joue de ses doigts dans ses cheveux, lâche un rire quand il tente de l'embrasser, rougit peut-être parce qu'elle ne donne jamais ses lèvres, parce qu'elle se dérobe trop souvent Sorrow. Parce qu'on y voit jamais beaucoup de choses dans son regard à la princesse aux ailes qu'elle s'arrache d'elle-même, torture intérieur qu'elle aime s'infliger. Sorrow qui ignore les promesses faites au creux de son oreille, murmurées après un baiser trop chaste déposé sur son épaule dénudée. Adam qui ne sait pas qu'il n'y aura rien après, rien d'autres que quelques roulades dans l'herbe, au loin des festivités, Sorrow qui s'envolera aussi vite qu'elle sera apparue, qui ne sait pas qu'elle est promise à un autre avenir, à une mort certaine de l'allégresse qu'elle affiche constamment. Il n'y voit que l'amusement, que les rires qui s'échappent de ses lèvres trop fardées pour une jeune fille de son âge. Sorrow, où iras-tu ? Sorrow que feras-tu ? Elle-même qui n'a plus de réponse, qui se fait condamnée de par son nom qu'elle porte pourtant avec fierté.

« Tu deviendras princesse et une princesse se doit de rester digne, Sorrow. » lui dit sa mère, toujours ce même regard qui n'exprime plus rien d'autre que l'agonie, dissimule les tremblements derrière une frigidité qui laisse Sorrow de marbre, Sorrow qui hausse simplement un sourcil, reine de son royaume simplement assise face à sa mère, entourée par ce décor trop victorien pour elle, comme une sorte de décor de théâtre qu'elle commence lentement à mépriser « Je le sais bien, Mère. Qu'est ce qui vous pousse à me reprendre sur ma dignité ? » Sorrow qui n'épargne plus sa mère de ses mots tranchants, quitte à lui faire mal, si ça peut bien l'éveiller, si ça peut faire revenir la lueur dans les yeux d'une mère plus morte que vivante « J'ai eu vent de … rumeurs. » L'héritière ne retient pas un ricanement, cassant, l'interrompt sans plus de cérémonie « Oh … Vous écoutez les bruits de couleurs, à présent ? Comme c'est charmant. » Sorrow qui ne s'entoure plus de velours, se métamorphose en furie glacée, méprise de son regard celle qu'elle considérait pourtant autrefois avec le plus grand des respect. Mère brisée par un père qui se fiche bien des femmes qui l'entoure, Sorrow qui se voit déjà fuir loin de ce cocon familial qui n'est en fait qu'une vaste comédie qui lui donne envie de vomir. Sa mère blêmit et prend le temps de défroisser un pli imaginaire de sa jupe de tailleur avant de reprendre « Ne sois pas insolente, s'il te plait. J'ai juste peur que ta réputation en prenne un coup, tu n'as jamais été un exemple de décence, tu dois bien l'admettre ? » Et Sorrow qui hausse une épaule, délicate enfant qui se fiche bien des mots que l'on murmure sur elle « Oui, sûrement. Je n'ai jamais caché à la presse ni même aux autres membres de cette famille que je comptais bien profiter de ma liberté tant que je le peux encore. » Sa mère qui relève brusquement les yeux, des larmes retenues dans le berceau de ses yeux et Sorrow qui cille, s'arrêtant brusquement de parler « Tu n'es pas libre, Sorrow. Tu ne l'as toujours pas compris ? Le monde dans lequel tu vis n'est pas fait pour que le mot « liberté » ou même « libertinage » ne soit prononcé. Tu vas devenir princesse et ton père te promettra à quelqu'un de digne de toi et de notre famille, j'en suis certaine. Réveille toi, tu n'es plus une enfant, tu te dois de comprendre que les gens comme nous ne sont pas faits pour les scandales, à moins que tu veuilles être déshéritée. » achève-t-elle en relevant le menton, rien qu'un peu, assez pour que sa fille y voit briller le défi. La brune qui se laisse aller au silence, le temps de bien comprendre l’ampleur des mots prononcés par sa mère qui ne dit plus rien depuis des années. Repose le verre qu'elle a dans les mains sur la table basse face à elle avant de s'éclaircir la gorge, plongeant ses yeux jumeaux à ceux de sa mère « Si telle doit être ma sanction faite le, déshéritez moi. Mais je suis sûre que vous n'en seriez pas vraiment capable, chère Mère. » ce sourire qui dégouline de venin, un souffle, Sorrow qui se relève, se sait toujours aussi gracieuse sur ses escarpins dont les talons mordent sans vergogne le tapis persan à ses pieds « Je veux vivre, Mère. C'est tout. » « Mais tu salis notre nom, notre famille ... » Un autre rire, où ne résonne que l'ironie « Avons-nous déjà été une famille ? Je n'en ai aucun souvenir. Je ne cherche pas la gloire, ni le succès. Je veux simplement qu'on se souvienne de moi comme celle que je suis à présent, pas comme la simple princesse qui héritera de je ne sais quelle fortune et qui épousera je ne sais quelle benêt assez naïf pour croire que je serais une femme docile et calme, qui se contentera de sourire face à la caméra. Je ne veux définitivement pas d'une vie comme ça. » et voilà qu'elle se détourne, ignorant sa mère « Sorrow ! Nous n'avons pas ... » la porte qu'elle referme étouffe la fin de sa phrase. Si, si elles ont finis de parler, elle n'a plus rien à dire, plus rien à promettre. Sorrow qui sait qu'elle se verra enchaînée à quelqu'un, mais pas maintenant, pas tout de suite. Laissez moi juste un peu de temps.

« Oui, pose ça là, ça n'a pas grande importance. » dit la brune en y ajoutant un geste nonchalant de la main, le regard rivé sur son téléphone, un bruit sourd et celui cristallin du verre qui se brise lui font relever la tête, un froncement de sourcil alors qu'elle le voit affaler sur le sol, un vase chinois éparpillé en plusieurs morceaux devant lui. Un rire gêné qu'il lâche « Désolé ... » Sorrow qui soupire « Peu importe, je ne tenais pas à ce truc. » elle laisse finalement errer son regard autour d'elle, laisse planer ses yeux sur le grand lit au centre de la pièce, les fenêtres donnant sur l'université et les autres maisons de ces confréries dont les noms lui échappent encore. Se tourne finalement vers celui qu'elle a réussi à traîner avec elle jusqu'ici « Je crois que je me plairais bien ici, mes parents seront verts si la presse me remarque mais peu m'importe, je suis ici pour ça, après tout. » « Et pour tes études, aussi, non ? » qu'il ajoute avec un air concentré sur sa tâche, trop occupé à ramasser les plus gros morceaux du vase et Sorrow qui penche légèrement la tête, en hochant la tête « Moui, il y a de ça aussi. Je compte bien avoir mon diplôme et devenir quelqu'un. Tu t'es renseigné sur ce que je t'ai demandé ? » son regard bleu perdu qu'il remonte jusqu'à elle « Hein ? » toujours ce ton qu'elle ne peut s'empêcher de trouver mignon … ou agaçant, elle ne se décide pas. Sorrow qui lève finalement les yeux au ciel « Les meilleurs de l'université, Adam, les meilleurs. Qui sont les meilleurs de la promo ? » Le voilà qu'il hausse les épaules, laisse les morceaux tomber dans une poubelle près d'une commode « J'ai pas eu le temps, je le ferais plus tard, tu veux bien ? » La brune qui lui concède d'un hochement de la tête « Bien, mais le plus tôt possible. J'aimerais bien savoir de qui je dois me rapprocher ou non. » Adam qui revient jusqu'à elle, les mains plongés dans les poches de son jean déchiré « C'est à dire ? Tu comptes faire quoi si j'trouve ces noms ? » Les prunelles qu'elle remonte jusqu'à son visage « Les écraser ou m'allier à eux, tout dépendra. Mon père est un connard mais il m'a toujours appris à garder mes ennemis toujours près de moi. » « Tout le monde n'est pas ton ennemi Sorrow. » un haussement d'épaule fasse à son regard qui la couve un peu trop, comme si elle était prête à se briser « Peut-être. Je ne fais confiance qu'à toi de toute façon. » qu'elle se laisse aller à dire, en lui caressant la joue de ses doigts glacés, toujours trop froid Sorrow. Il saisit sa main, aucun sourire ne venant briser son sérieux « Je suis pas con. Fais gaffe à ce que tu vas faire ici, on est pas à Prague, on est plus dans ton joli royaume de princesse des fées là. Harvard, c'est … j'veux dire ça a plus l'air d'un bain à piranhas qu'autre chose. » La jeune femme qui se laisse aller à rire, le seul à qui elle laisse  entendre ce bruit un peu incongru « Ce sont de des bébés piranhas alors. Je n'ai peur de personne, réellement. Et j'aime quand ça mord. »