Cela faisait un moment qu’Happy n’était pas venue voir Annalynne en chair et en os. Bien entendu ils s’étaient appelés, envoyé des messages, mais le face à face n’avait rien à voir. Surtout pour apprendre à sa meilleure amie tout ce que l’américain avait à lui apprendre. Ceci étant, hors de question que de débarquer à l’improviste, il lui avait demandé la veille s’il pouvait passer, l’heure qui l’arrangeait le plus, et n’avait pas oublié de passer à la boulangerie pour acheter quelques friandises. Inutile d’amener du vin à une femme enceinte, ce serait une insulte terrible… de son côté, le futur véto ne pouvait pas franchement faire de grande cuisine, la Winthrop House ayant récemment brûlé. Il se retrouvait hébergé chez une amie, adorablement et confortablement, mais il n’osait pas prendre trop ses aises ni squatter la cuisine de la Cabot House pendant des heures. S’il le faisait, c’était pour préparer les biberons et purées de sa fille. Sa fille. Une ravissante petite princesse de six mois dont il avait appris l’existence par hasard une semaine plus tôt. Si Annalynne ne tombait pas métaphoriquement de l’armoire avec ça… en tout cas, avec Marie dans un bras, et ses friandises de l’autre, Happy frappa bientôt à la porte de sa meilleure amie, un grand sourire aux lèvres. Ce qui ne pouvait être remis en cause, c’était sa joie de la retrouver en chair et en os.
On dit toujours des conneries du genre, vous savez « Le dernier mois, c'est le plus long. T'en fais pas, ça va aller. » ou dans le style « Ca en vaut la peine, arrêtes de te plaindre. » Mais le fait est qu'il me reste exactement un mois et une semaine à tenir et que je pense sincèrement que je suis en train de devenir pire que tarée. Il y a un truc dans mon cerveau qui ne veut plus fonctionner. Je suis complètement à l'envers et je n'en peux plus de couver. Il n'y a rien, je me contente d'attendre, d'être surveillée, de faire la sourde lorsqu'on me dit des « Mademoiselle Malcolm, vous devriez vous maîtriser, la tension, c'est mauvais pour le bébé. » Mais ce n'est pas contre mon enfant, c'est juste que je n'ai rien pour me calmer. Je n'ai que la présence de Clay, présence qui reste compliquée en journée, parce que si je suis dans l'obligation médicale de rester chez moi et de ne pas travailler, lui laisser son job c'est une mission presque impossible, et je ne peux passer mon temps à lui dire de rentrer. A jouer les obsessionnelles et à l'empêcher de respirer. Parce que les extrêmes … Ils finissent toujours par tout gâcher, et je sais que lui et moi on a besoin d'une indépendance, tout aussi bien qu'on est accroc à l'autre. Il faut juste apprendre à jongler. Mais au milieu de mes délires incertains, Happy hier m'a envoyé un message afin de me demander si j'étais occupée, et une fois n'est pas coutume mais j'ai eu comme cette impression que sa visite va me faire un peu de bien. Parce que je vais lâcher la cuisine, que je ne maîtrise toujours pas, le ménage qui me fait légèrement frôle la folie – et il y a bien trop de choses qui le font en ce moment – alors je l'attends enfoncée dans mon canapé, et comme une idiote, je m'amuse à faire tenir sur mon ventre … la télécommande. Aux bords du pathétisme, je remercie tous mes dieux lorsque j'entends qu'on frappe enfin, et me redresse, pose sur la poignée ma main. Ouvre la porte à la volée, et directement je troque mon esquisse de sourire pour une expression intriguée, accompagnée d'un ; « Tu l'as volée ? » La gamine de quelques mois qui trônent dans ses bras. « A qui ? »
Pour sûr, si Annalynne ne sortait pas une expression bien sentie face à sa surprise, Happy serait lui même très étonné. À aucun moment le fait qu'il ait mis une femme enceinte n'avait été évoqué dans leurs échanges, ni même une potentielle histoire avec une damoiselle ou encore, plus farfelu, une intention d'adopter. La ravissante petite princesse se trouvant actuellement entre les bras de son jeune père, à agiter les bras en prouvant son éveil sans cesse plus évident, lui était venue non pas par l'effet du saint esprit mais un peu pour les sauver, l'un comme l'autre. Elle, parce que sa mère l'aurait probablement tuée avec ses conneries de drogue, et lui, pour le pousser progressivement à s'assagir. Un message à y lire ? Probablement. En tout cas, il avait envie d'en parler avec son amie, d'avoir son avis, de lui faire connaitre Marie tout en prenant de ses nouvelles. Ce choc émotionnel qu'il vivait ne le rendait toujours pas égoïste, heureusement. Aussi, alors qu'il entendit la porte s'ouvrir à la volée et manqua d'en rire, l'Américain laissa tout d'abord à Annalynne tout le loisir d'observer sa princesse, attendant avec impatience sa réaction qui n'allait pas manquer de mordant il n'en doutait pas une seconde. La preuve, à sa question, son éclat de rire intervint finalement, car il ne pouvait décemment plus le retenir. " Je suis effectivement devenu voleur d'enfant... et je veux que tu me caches..." Il espérait qu'Anna n'allait pas croire sa plaisanterie douteuse, car ce n'était évidemment pas vrai. " Si je l'ai volée à quelqu'un c'est à moi alors... tu me fais rentrer et je t'explique que j'ai en fait ma fille dans mes bras ma belle ? "
Bien sur ma question n'est pas sérieuse, mais le fait est qu'elle n'en cache pas moins la vérité, puisque la provenance de cette petite reste encore le premier mystère de la journée. Naturellement il se met à rire, et j'en fronce, pour ma part, un peu plus les sourcils. Il lui faudrait faire, assurément, un peu plus attention, surtout en présence d'un lion. Hormonal le lion, d'ailleurs, c'est une bonne précision. " Je suis effectivement devenu voleur d'enfant... et je veux que tu me caches..." Ah ah. Et tu en as d'autres des comme celles la ? J'en grimace mais ne bouge pas pour autant, j'avoue que ce n'est pas contre lui, sauf que mon corps pour l'instant ne répond pas. Et mes prunelles sur cette petite qui m'effraie un peu plus au sujet de ce qui se trouve au fond de moi. " Si je l'ai volée à quelqu'un c'est à moi alors... tu me fais rentrer et je t'explique que j'ai en fait ma fille dans mes bras ma belle ? " Quoi ?! On peut faire un semblant de retour en arrière ? Parce que c'est bien avec les marques de la possession qu'il vient de parler d'elle, non ? Le problème majeur – et donc la raison de mon incompréhension – est que je connais Happy depuis bien des années maintenant et qu'il n'a jamais été question ou même une simple discussion sur le fait d'avoir des enfants.
Mais au lieu de me décaler directement, la première chose que je fais et de lever mon index entre lui et moi, et donc de juger de la chose de mon doigt. C'est d'une profondeur incroyable cet acte là, ironique pensée, n'est-ce pas, inutile dans le fond de le préciser. Et enfin après une nouvelle seconde de silence et de non mouvement, je finis par me décaler et pour lui indiquer le chemin à prendre pour accéder au salon de Clay. Non, à notre salon. Déjà plusieurs mois et j'ai encore du mal, c'est plus fort que moi. La paume posée sur mon ventre au moment de marcher, je les précède pour l'inviter quelque peu autoritaire, défensive aussi. « Vas-y assieds-toi. » Et j'en fais de même parce que si je ne m'arrête pas, c'est alitée que je vais finir le dernier mois. « Comment c'est arrivé ? » Au moins, il est clair que ça changer des traditionnels « comment tu vas ? » bien que je me dois de préciser, moqueuse pour le coup. « Pas l'acte, ça je sais comment on fait. » Preuve en chair et en os, pas vrai ?
L’index jugeur d’Annalynne ne surprit guère Happy, connaissant suffisamment le tempérament de la demoiselle depuis le temps pour savoir qu’il valait mieux lui laisser d’abord le temps de digérer la nouvelle. Il attendit, patiemment, que ce soit le cas, Marie toujours dans les cas. Cette dernière était étonnement sage, n’émettant que quelques gazouillis à peine. Ce n’est qu’au bout d’un moment que sa meilleure amie s’écarta pour laisser rentrer l’américain dans le salon que le jeune père ne connaissait pas, qu’il découvrait avec plaisir. Sûrement l’appartement qu’Anna partageait avec Clay, et qu’elle lui décrirait plus en détails une fois que lui-même lui aurait expliqué tout ce qu’il y avait à dire à propos de cette situation étrange et inattendue. Happy attendit d’y être invité pour s’asseoir en compagnie de Marie, s’exécutant face à l’ordre de son amie, esquissant un petit sourire face à ses quelques mots qui trahissaient à la fois une sorte de curiosité et sa grande stupéfaction. « Merci » commença-t-il d’abord, installant sa fille en premier dans ses bras, confortablement. « Ah bon, tu sais comment on fait les bébés ? » plaisanta-t-il ensuite, essayant de détendre l’atmosphère, car ce qui avait à confier n’était pas drôle. Pas fun du tout, Annalynne le découvrirait bien assez tôt. « Je ne vais pas te faire poireauter plus longtemps, ma belle… figure-toi que j’ai eu une histoire assez chaotique avec une fille, l’année dernière, pour laquelle j’avais des sentiments assez forts. Cela a duré quelques mois jusqu’à ce que je découvre qu’elle était accro à l’héroïne. Au départ, bonne poire, j’ai voulu l’aider, je l’ai conduite en cure de désintox, elle m’a promis de se soigner, puis quand j’ai compris que ses promesses n’étaient que du vent, j’ai rompu avec elle. Je pensais sincèrement ne plus jamais en entendre parler. Il y a deux semaines, j’ai eu un mot dans ma boîte aux lettres, me donnant rendez-vous près d’un carrousel à une heure précise, je m’y suis rendu et elle était là, au loin. Je me suis approché et il y avait le berceau avec Marie. Elle a abandonné notre fille, toujours pour sa saloperie de poudre de merde, mais elle a au moins eu la présence d’esprit de me la confier à moi. Même si je ne savais pas du tout qu’elle était enceinte et que cette princesse a six mois. Voilà, tu sais tout… c'est pas évident mais elle est mignonne comme tout, comme tu veux le voir ! »
Je me sais manquer de tact comme de bonnes manières quand je l'invite de cette façon presque sèche et solennelle, alors c'est bien pour cette raison que je prends son « Merci » comme un semblant de rappel à l'ordre. Anna, t'es censée être en présence d'un ami. « Ah bon, tu sais comment on fait les bébés ? » Railleur, afin de faire redescendre mes appréhensions qui n'ont pas lieu d'être à la vérité. Qui suis-je pour juger ? Personne si ce n'est une femme qui un jour l'a empêché de terminer avec un œil au beurre noir ou quelques côtes cassées. « Je ne vais pas te faire poireauter plus longtemps, ma belle… figure-toi que j’ai eu une histoire assez chaotique avec une fille, l’année dernière, pour laquelle j’avais des sentiments assez forts. » Il est vrai que nous n'avons jamais forcément parlé de nos histoires mutuelles … Quelques détails balancés par ci, par là, rien de très concret et qui mérite qu'on s'y attarde plus que cela. Je le sais charmant et charmeur, et sûrement un brin – malgré lui – bourreau des coeurs. Et lui me connaît froide et attachée plus que de raison à Clay, c'est tout ce qu'il nous faut pour garder notre amitié.
Alors il continu son récit, et je me dis qu'il ne faut pas être un génie pour comprendre que la fille qu'il a autrefois connue n'est certainement pas faite pour être mère. Mais après tout qu'est-ce que j'en sais vraiment ? Sous prétexte que je couve un enfant je suis dans la capacité de définir qui ou quoi pourrait enfanter ? Je ne suis pas le plus parfait des exemples, mon futur enfant même s'il est ardemment désiré à présent était dans un premier temps ce qu'on appelle … un accident. « Il y a deux semaines, j’ai eu un mot dans ma boîte aux lettres, me donnant rendez-vous près d’un carrousel à une heure précise, je m’y suis rendu et elle était là, au loin. » Et le tableau se dépeint parfaitement face à mes yeux, cette femme, elle l'a abandonné la petite, ni plus ni moins. Et je réalise que du maternel j'en ai tout de même un brin d'instinct, jamais je ne pourrai laisser – ou tout du moins je le crois, je l'espère au plus profond de moi – mon bébé et disparaître à la volée. « Voilà, tu sais tout… c'est pas évident mais elle est mignonne comme tout, comme tu veux le voir ! » Six mois déjà … Mes pupilles se concentrent essentiellement sur la petite fille, Marie qu'il a dit. Je la détaille quelques secondes et d'autres encore, j'avoue y chercher les traits qui pourraient ressembler à ceux de Happy. Un enfant de cet âge porte-t-il réellement des expressions reconnaissables. Peut-être, je ne sais pas vraiment … J'imagine que mon point de vu changera au moment où je tiendrai le mien dans mes bras. « Happy ... » Que je commence non sans quelques réticences. Je ne veux pas jouer les troubles fêtes, les trop terre à terre, de celles qu'on appelle rabat joie qui coupe et casse tout à la fois. « Comment tu sais ? » Que ce n'est pas un mensonge. « Qu'elle est vraiment de toi ? » La fille qu'il m'a décrit elle n'a pas l'air des plus fidèles, des plus honnêtes. Si je le demande ce n'est pas contre lui, bien au contraire, ce n'est, que pour son intérêt. « Tu as fait ce qu'il fallait ? » En clair, un test de paternité.