LINETTE BUSHNELL ► frida gustavsson

Elle avait l’impression d’avoir toujours vécue à grande vitesse, et peut-être, au fond, était-ce le cas. Vivre vite, à l’échappée, pour fuir la responsabilité d’une existence qui pour elle restait insensée. Linette a vu le jour dans la célèbre ville qui ne dort jamais, sous les néons abimés éclairant la rue d’un hôpital du Bronx. Deuxième enfant d’une famille aux revenus des plus modestes, elle aurait pour autant pu grandir dans un environnement stable si tout ne s’était pas compliqué lors du décès de son père alors que la fillette n’avait que trois ans. A partir de ce jour, la douce enfant qu’elle était alors s’est rapprochée de la seule autre figure masculine qu’elle connaissait, Sloan. Enserrant ses petites quenottes autour de sa manche, elle se dépêcha alors de grandir, fréquentant le même groupe d’amis que lui, les mêmes lieux aux troubles soirées, exécutant les mêmes ritournelles illégales que lui. Comme si, en confondant ainsi leurs vies, elle avait pu un jour combler la différence qui les séparait. Mais ce subterfuge ne dura qu’un temps, avant que l’ainé Bushnell ne soit envoyé en France par leur mère, laissant la blonde sans son repère le plus vital. Injustement, elle ne put s’empêcher de lui en vouloir pour ça, transposant son désarroi sur lui pour ne pas être resté, pour ne pas avoir plus résisté à cette décision. Pour l’avoir laissé là. Vivant ainsi comme un deuxième abandon, les excès de Linette n’en furent que plus démentiels, vivant peu à peu des conditions qui la poussaient dans des extrêmes qu’elle n’avait encore jamais ne serait-ce qu’appréhendé. A cette situation vint s’ajouter le nouveau remariage de sa mère avec Georges, un riche entrepreneur. Peu importe l’autorité qu’il croyait avoir sur Linette, il ne signifiait rien d’autre qu’un nouvel apport d’une généreuse somme sur sa carte bleue. L’adolescente prouvait ainsi à son frère qu’il pouvait bien rester où il était, qu’elle pouvait s’en sortir sans lui. Sottises. Elle s’en rendit compte quelques semaines plus tard, alors que son petit ami du moment, un mec de quelques années plus âgé qu’elle, levait pour la première fois la main sur elle. Ce fut sec et inattendu, la laissant sans voix alors que son visage la brulait du coup violent qu’elle venait de recevoir. Elle tut à tout le monde cette période son histoire, honteuse et humiliée de ce qu’elle vivait. Elle était jeune et, perdant pied, elle ne su gérer la situation, se laissant submerger par ses accès de colère mêlés à ses pardons confus. Il lui fallut quelques mois et le coup de trop avant d’imploser. Aujourd’hui encore, Linette s’en souvient comme si c’était hier. Elle se souvient de sa lèvre en sang, de son dos venant heurter durement la commode et de ses longs doigts rencontrant le manche froid d’un calibre appartenant à son copain. Elle se souvient des cris, de l’arme braquée sur lui, de la panique dans ses si beaux yeux, du coup de feu retentissant contre un vase sur la table, éparpillant des éclats de verre dans tout l’appartement. Et la porte qui se referme derrière lui, les larmes qui s’échappent des yeux de la jeune femme alors qu’elle s’effondre contre le mur, lâchant l’arme qui soudain lui semble peser bien trop lourd pour son maigre poignet. Pour la première fois, elle constatait avec dégout la fragilité qui l’habitait, cette peur qu’elle avait de l’indifférence, de l’échec. De la solitude. Tout ce qu’elle compensait de la pire façon qui soit. Depuis ce jour dont peu de personnes sont au courant, elle a revêtu son masque d’antan, retrouvé son frère et démarré une nouvelle vie à Harvard dès la sortie du lycée pour l'y rejoindre, subissant par la même occasion la mort de sa mère qui sera révélatrice d’un lourd secret. D’orpheline, Linette apprit que son père était en réalité encore vivant, ayant recommencé sa vie avec une autre femme et père d’un nouvel enfant. Elle le hait pour ça, pour l’image que lui renvoie l’enfant d’une autre jouant sur ses genoux, souriant pour lui, l’attendant le soir à la sortie du travail. Ça aurait du être elle. Ça aurait du être elle et Sloan. Mais au lieu de ça, il avait préféré les rayer de son existence. Et pour ça, elle ne pourra jamais lui pardonner.

HARVARD, 2015. Les basses battaient leur plein, résonnant dans les os de Linette alors qu'elle oubliait tout ce qui l'entourait, ondulant souplement au rythme de la musique. Cela faisait presque trois ans qu'elle avait intégré Harvard, trois ans qu'elle s'épanouissait dans sa vie d'étudiante. Dévoilant ses jambes à l'interminable longueur dans une robe moulante bien trop courte, les lumières des stroboscopes résonnaient de façon hérétique dans ses pupilles aquatiques. Cela faisait plusieurs heures qu'elle était arrivé là avec ses amis et elle ne comptait plus le nombre de verres qu'elle avait bu. Elle s'en moquait royalement. Tout comme la valse endiablée dans laquelle s'était lancées sa langue et celle d'un beau brun dont elle ne connaissait même pas le prénom, son corps langoureusement pressé contre le sien alors que sa main glissait innocemment sous son tee-shirt. Ah enfin, j'te cherche depuis tout à l'heure, viens ! Ça, c'était une amie de l'étudiante qui venait de se poser avec impatience à ses cotés. Hmm, tu vois pas que je suis occupée.. lui répondit-elle entre deux baisers et un sourire entendu pour son cavalier. Oh ça va Lily, t'en trouveras un autre, ramène-toi, Ash' a apporté le dessert ça va t'plaire. Lui tirant le bras pour l'emmener dans son sillage, elle ne laissa pas le choix à la blonde qui la suivit, toutes deux éclatant de rire en titubant vers l'extérieur. Là-bas, elles retrouvèrent le reste de leur groupe rassemblé à l'extrémité du parking. Piquant une clope aux lèvres d'un mec de la bande, la jeune Bushnell tira dessus avant de recracher lentement la fumée vers le ciel, regardant l'une des filles sortir un sachet de poudre de son sac. Ça, c'était sa vie à Boston, comme elle l'avait été à New-York. Vitesse, excès et emploi du temps surchargé, rien n'était assez pour se libérer avec immaturité du fardeau d'incertitude qu'elle arborait.