Soleen - Our very first Symphony

"- Ouais, je viens avec toi.
- T'es sûr ?"

Une petite tape sur la joue de mon cher élève. Bien entendu, j'en suis sûr.
Le soir-même, et en sa compagnie, je me rends au Lord Hobo, ce bar toujours plein à craquer près du campus. Bien évidemment, la présence du jeune homme n'est qu'un prétexte comme un autre pour se fondre parmi les étudiants. Bien qu'il soit un joli spécimen, je ne m'en encombrerai pas deux soirs d'affilée.

A l'intérieur, j'ai vite fait de le semer. Me frayer un chemin dans la foule, jouer des coudes jusqu'au comptoir, commander à boire. Le regard qui se paume déjà sur les mille visages pour y trouver la prochaine perle rare. Ce devrait être lassant, comme jeu. Pourtant, je vous le jure, je ne puis le trouver autrement que passionnant, et d'un feu bien singulier propre à chaque proie ainsi conquise. Ça n'est pas mon terrain de prédilection. J'y préfère le calme de la faculté, et chaque recoin infiniment plus intime que l'on pourrait dénicher sur le campus. Mais l'alcool aide, impossible de le nier. C'est presque un Joker trop important pour en rester fier. Peu importe. Alors que la musique et les bavardages étouffent jusqu'à la moindre parcelle de cette atmosphère agitée, je saisis mon verre, recule pour laisser les jeunes gens s’agglutiner et s'écraser à ma place. Les lèvres qui goûtent, le regard levé, au whisky de bien mauvaise qualité. Je grimace légèrement, contrarié, avant de l'apercevoir, à quelques mètres devant moi. Ma jolie proie.

Une blonde, dont je ne puis précisément deviner l'âge à cause des artifices, du maquillage. Ce regard perçant, les traits légèrement androgynes. Je contemple sans bouger, laissant les autres âmes passer, tourner, bousculer au beau milieu de notre scène. Elle lève les yeux. Croise les miens. C'est ça, ma belle. Je souris, mutin, lève mon verre pour l'inciter à attaquer le sien.

"C'est bon, j'arrive, j'arrive !" tu termines ta conversation avec ton pote qui te demande c'que tu fous, et pourquoi tu met autant de temps pour arriver au Lord Hobo, il t'as un peu forcé la main à venir, alors que t'étais sous tes draps. Ouais, en mode feignasse ce soir, à manger du pop-corn devant un film flippant, la période d'Halloween qui joue dans tes choix cinématographiques. M'enfin. T'as fini par te lever, aller prendre une douche, t'as mis, quoi, dix minutes à tout casser pour choisir tes fringues pour ta sortie de ce soir. Pas de maquillage trop vulgaire, c'pas vraiment ton genre de te peinturlurer la face, t'es loin d'être comme ces pétasses trop maquillées. Un dernier regard vers ton reflet dans le miroir de la salle de bain, un message vite fait envoyé à ta coloc, que si jamais elle veut t'rejoindre ce soir.

En tout ça doit bien faire deux trois semaines que t'as pas mis les pieds au Lord Hobo, en général tu préfères les soirées en petit comité, ou alors les soirées dans les confréries des étudiants que tu connais, mais t'es pas une grande fan des bars. Enfin, si, mais c'est rare quoi que t'y ailles toute seule.

"Putain..." y'a déjà plein de monde dehors, tous en train de fumer, et pas que des clopes, sourire moqueur aux lèvres, t'as beau critiquer, t'es comme eux, parfois, pas tout le temps. En petit comité quoi. Ouais. Tu pousse la porte du LH, c'est plus ou moins bondé, tu vas galérer sérieusement pour retrouver ton pote. "T'es où?" tu envoie ce texto, mais y'a pas trop de réseau, ça va être chiant pour voir s'il t'as répondu ou pas. Alors t'avance vers le bar, après avoir bousculé quelques nanas, quelques gars déjà bien chauds pour s'trouver leur conquête du soir. Et tu pousses cette blonde avec sa mini-jupe, elle en fait tomber son verre d'alcool bon marché, commence à te gueuler dessus. "Tu t'calmes ma grande, ça va j'vais te le rembourser ton verre."

La musique pulse comme le sang contre les tempes. C'est noir de monde, ça colle, ça transpire dans ce bain d'hormones et d'effervescence, de jeunesse en mal de sensations et de danse. Ma petite proie, bien à l'aise devant moi, me réponds d'un sourire et d'un vague signe de la main. La mini-jupe laisse apercevoir de jolies jambes bien en chair, les cuisses bonnes à saisir. Mais je n'ai pas tellement le temps de m'approcher. Un pas, deux, et en voilà une seconde qui bouscule la première. Le verre vol, et j'esquive de justesse la boisson qui finit sa course par terre. "Woow." Quelques gouttes, cependant, tâchent l'encolure de ma veste. Un détail regrettable, qui m'arrache une moue franchement contrariée. Et alors que ça gueule, que ça crie comme une truie d'élevage boostée aux hormones de croissance -j'accuse celle à la jupette courte-, j'essuie mon vêtement, relève les yeux vers la seconde.

"Hey, miss." Un signe du menton, vers le bar. Pour qu'elle vienne s'en approcher, pendant que l'autre continue de s'emporter. Lorsqu'elle arrive à mon niveau, je m'avance sans gêne et lui glisse à l'oreille, très directement, "Je comptais offrir un verre à ta copine. Mais puisque tu me l'as toute énervée, est-ce que je peux me permettre de te le proposer ?" J'articule clairement. Ce boucan me pourrit mon effet, mais tant pis, ça vaut la peine de tenter... Je m'écarte doucement, hausse un sourcil en plongeant les lèvres dans mon propre élixir, les yeux plantés dans les siens. Sans jamais trop d’insistance, bien sûr.

Et cette conne décolorée qui s’énerve encore, ça va, c’est juste un verre, et puis avec sa mini-jupe, elle arrivera bien à attirer d’autres mecs qui voudront se bousculer pour lui offrir un autre verre. En échange peut-être de ses cuisses écartées. Tu retiens un rire, mon dieu qu’elle a l’air pas très fut fut cette meuf. Enfin. T’étais peut-être pareille quand tu étais plus jeune, ou peut-être pas, tu n’as jamais vraiment été du genre provoc, plus sobre, jamais de mini-jupe aussi courte que celle de l’autre blonde platine. Alors avant qu’elle ne sorte ses fausses griffes, tu l’esquives rapidement, un autre type qui s’approche d’elle sautant sur l’occasion pour pouvoir la sauter plus tard dans les chiottes du bar. Ouais très classe tu l’avoues, mais préfère te taire, éviter la suite de la confrontation, ne pas te faire de films non plus.

Puis près du bar, installé confortablement, à l’écart de tout ce groupe de jeunes, de ce groupe d’hormones et de testostérones, il y a cet homme, bien vêtu, plus chic que tous les autres, ce brun presque ténébreux qui te fait signe, pour le rejoindre ? Peut-être bien. Ce soir tu n’as pas trop envie de réfléchir, alors tu le rejoins, amusée par la situation mais aussi par sa remarque « L’autre blonde là-bas ? Je vous préviens, ce n’est pas ma pote, par contre j’suis à peu près certaine qu’elle aurait accepté avec plaisir que vous lui offriez ce verre. Mais j’avoue que moi, je ne dis pas non. Par contre si c’est une vieille technique de drague pourrie, vous risqueriez de le regretter. » tu lui sors, faussement sérieuse, une fois installée à sa hauteur. Ton épaule qui frôle la sienne, inconsciemment.

Ouais, ouais. Elle serait pas mal. Pas exactement ça. Pas exactement ce que je cherche. Mais ça s'en rapproche. De la jeunesse fantasmée. Elle accepte, me rejoint. C'est une première victoire. Elle papote, déballe les ragots et chie sur la réputation de l'autre fille. La franchise dont elle fait preuve me fait sourire, étonné d'entendre de telles déclaration de la bouche d'une si jolie personne. "Ça n'est pas une technique de drague pourrie." Je lève la main vers le barman, m'accoudant au bar. La blonde grimpe sur l'un des tabourets,  mais je préfère rester debout, tout près. A l'homme, je désigne mon verre, puis signe un "deux" pour lui réclamer la même chose. Mademoiselle apprécierait surement. "Non, ça me vexerait que tu penses ça." Je continue, imperturbable, les yeux toujours portés sur le barman plutôt que sur elle. Il aurait été bien, lui aussi. Mais il est débordé. Il ne quitterait pas son travail. "C'est une technique de drague... de vrai gentleman." Je lui retourne enfin un rictus joueur, ambiguë, attendant le verre. "Mais je n'ai pas l'intention de forcer quoi que ce soit."

Ce serait avec plaisir, mais je n'aime pas les voir fuir... Je la sens, son épaule, contre mon bras. Un contact si subtile qu'il en serait presque inconscient. Mais je sais. Je sais, qu'aucun geste ne vient au hasard. Qu'elle y pense. Ça se devine, au fond de son regard. Je la fixe ; qu'elle soit spéciale. C'est son instant, tout à elle. Son petit privilège. "Paraît que toutes les filles qui traînent par ici sont aussi bêtes que leurs pieds..." Le barman revient, dépose le verre sous son nez. Je reste légèrement penché, pour mieux me faire entendre. "Mais tu m'as l'air trop futée pour être baratinée, je me trompe ?"

Pas une technique de drague…franchement tu te méfies, il a tout l’air d’un prédateur en quête de nouvelles victimes à pouvoir mettre dans son lit le temps d’un soir et les virer le lendemain matin comme des malpropres. Soit. Tu vas mettre ça de côté dans ta tête, l’étudier, voir son comportement avec toi et tout le reste, s’il est digne de confiance ou non. Il ne te regarde pas, son regard plutôt dirigé vers le barman, c’est étrange comme approche, mais tu restes imperturbable, offre ton plus beau sourire au barman lorsqu’il prend la commande de cet homme trop bien habillé pour traîner dans ce genre de pub étudiant. Il se vexerait si tu penses qu’il s’agit d’une technique de drague de pacotille ? Mais c’est qu’il serait presque trop bon à ce petit jeu, tu n’es pas stupide, il essaie d’attirer ton intention à sa façon, que tu aies de la sympathie pour lui. Ce genre de comportement te dégoûte un peu, enfin tu ne peux pas rester sur une première impression.

Alors tu décides d’entrer dans son jeu, à minauder avec lui, battre des cils comme n’importe quelle cruche le ferait, assez stupide pour croire qu’elle se sent importante à ses yeux, unique. Tu parles.
« Je ne voudrais pas vous vexer voyons… » tu dis d’une voix faussement tendre, pour jouer à son jeu, lui laisser croire que tu t’en voudrais si jamais il se vexait. Mais tu te vexes un peu lorsqu’il sort que toutes les filles présentes ici sont stupides, bêtes comme leur pieds, c’est faux, la plupart sont des étudiantes brillantes d’Harvard, alors sa remarque t’agaces un peu. Tu ne diras rien, pas de suite, mais tu comptes bien lui faire regretter d’être venu ici ce soir. Il a compris que tu étais futée et tu vas lui montrer à quel point il a raison. Le verre commandé sous ton nez, tu décides de tremper tes lèvres dans cet alcool qui te pique la gorge, mais qui est si bon, tu bois, un peu trop vite, lui faire croire que tu ne tiens pas l’alcool pourrait être amusant. « Merci pour le verre. Et oui bien trop futée pour être baratinée, comme c'est dommage. » tu lui balances un sourire à la Colgate, charmeuse, joueuse, juste pour ce soir. Et tu quittes le comptoir, pour t’installer en face de lui. « Vous avez repéré une autre victime sinon pour ce soir ? »

J'ai du mal à voir clair dans son jeu. La blonde ne paraît pas réticente, mais joue probablement sur un principe qui m'échappe. Peu importe. Elle ne veut pas me vexer ? Je souris, difficilement convaincu. Quoique rien ne la retienne. Elle pourrait bien partir et laisser sa place à une autre. Le verre arrive, elle sirote le whisky, sans doute trop rapidement pour une si petite carrure. "Doucement." Il s'apprécie, nom de Dieu. Et j'aimerais autant éviter qu'elle vomisse sur ma chemise, plus tard dans la soirée. Elle se fait tout de même charmeuse, envole pour l'espace d'un instant les doutes et les questions. "Dommage, en effet. Mais un peu de conversation ne peut pas faire de mal." Ça peut juste exacerber cette damnée frustration. Une autre cible ? Quelle question. J'en ai, bien sûr. Quelques uns, quelques unes. Juste ce qu'il faut. "Et toi ?" Je me tourne, dos au bar, planté à ses côtés mais tourné vers la salle. Le verre au bord des lèvres. "Tu vois quelque chose qui te plaît ?"