K.-M. CHARLÈNE BENDORVA ► mimi elashiry

Être assise dans cette salle, regarder les gens qui m’entourent sans même me poser sur les petits détails qui forment leurs visages pour m’en rappeler, un journal dans les mains pour couvrir le cahier qu’il y a à l’intérieur. Je regardais tout autour de moi pour être sûr que rien ni personne ne bougeait dans ma direction. En fait, je le faisais toutes les cinq minutes, parce que je n’avais pas envie qu’on découvre qui j’étais, ou ce que représentait ma vie. Ce cahier était en quelque sorte des essais pour une lettre qui serait destinée à ma grand-mère. Le dernier membre de ma famille auquel, je faisais confiance à cent pourcent. « Cher grand-mère, je sais que ça fait longtemps que je ne t’écris plus, que je ne te porte plus aucun intérêt vu ce que tu racontes à mère le soir au téléphone… » Cette salle était bien trop remplie à mon goût. Et la peinture sur ses murs ne m’inspirait rien de bien heureux. Entendant mon prénom au loin, je me levais, fermant mon magazine en me dirigeant vers l’infirmière qui me guidait au bureau de mon père. Je la connaissais bien, et mère me disait souvent à quel point elle n’avait pas d’affection pour elle. Je passais la porte en la fermant derrière moi, qu’importe le fait qu’elle me parle ou non de son mari et du bouquet de rose jaune qu’il lui a offert. Sérieusement, les roses jaunes sont pour les enterrements des ancêtres et non pour proclamer son amour à la femme qui partage notre vie, mais bon. « Mais je veux que tu saches que qu’importe ce que tu penses de moi, je n’arrête jamais de penser à la femme que tu es. À tout ce que tu représentes. Tu es cette lumière qui comble ma vie, qui me guide malgré les épreuves. Je sais que tu sais à propos de… » Assise au bureau de mon père, je me demandais si je devais déchirer ce papier, alors je relevais la tête vers cette photo de ma famille qui ne quittait jamais le bois de ce meuble. Je la regardais et voyais un sourire sur mon visage. Je la regardais et sentait l’amour qui nous comblait le jour où nous avions emménagés ici à mes six ans. Boston était une ville de rêve pour ceux qui savait comment y vivre, mais pour une personne simple comme moi, elle représente un immense complexe. Je l’ai depuis toujours, par le fait qu’on me regarde différemment parce que je suis étrangère. Par le fait que ma vie et mon sang n’appartenait pas à cette terre. « Père. J’imagine que tu dois le ressentir. Il veut revenir à tes côtés, mais il n’en a pas la force, parce que mère refuse et que je commence enfin à trouver ma place dans un coin de cette immense université que j’ai rejoins. » Les gens voient souvent en moi cette fille un peu tête en l’air qui est beaucoup trop mystique pour leur correspondre. Je n’ai pas ma langue dans ma poche ou même si parfois il m’arrive de ne pas dire ce que je pense, je le fais ressentir à ceux qui se trouvent en face de moi. J’aime le fait d’être mystérieuse. D’être si étrange qu’on ne m’approche que quand j’ai quatre verre d’alcool dans l’estomac, un corps qui bouge au rythme de la musique sans demander son reste, des lèvres qui chante et s’amuse sur tout ce qui passe. Des mouvements plus chaleureux que la normal. Des envies de prendre tout le monde dans mes bras. Oui, je suis plus marrante quand je suis soûle, mais je suis plus naturelle et prévenante quand ce n’est pas le cas. La boisson est devenue une part de mon quotidien, et mes parents n’en sauront jamais rien, pourtant, parfois je n’en peux plus d’être là, dans l’incapacité de me contrôler. Dans l’incapacité de marcher droit quand ça faciliterait la vie à tout le monde. « J’aimerais te revoir, mais si cela veut dire que je ne reviendrais plus jamais ici, je ne sais pas si je serais même capable de rentrer dans l’avion. Autant j’aimerais m’enfuir de cette vie que je n’ai pas choisie, autant quelque chose, quelque chose de plus puissant que moi me fait m’investir et m’empêche de fuir. » Si j’étais arrivée aussi loin dans ma vie, si j’avais pu intégrer Harvard, ce n’était pas par hasard. J’avais toujours rêvé d’un jour rejoindre ce monument culturel. J’avais toujours voulu y mettre les pieds en tant qu’étudiante, et ce souhait c’est réalisé il y a trois ans. En fait, pour être totalement honnête, tout à commencé quand mon père m’avait emmené face à cet endroit, nous l’avions visité ensemble pendant de longues heures, et son regard éblouit ne quittera jamais ma mémoire. Alors oui, c’est sans aucun doute pour lui que j’ai tout fait pour être prise à Harvard. Oui, je voulais qu’il soit fier de moi, qu’un jour je brandisse mon diplôme et qu’il me prenne dans ses bras. C’est peut-être égoïste de faire ça pour une autre personne, mais je trouve que c’est surtout altruiste de se former et de grandir dans l’optique qui était préparé pour nous. Un bruit me faisait sortir de mes pensées. Surtout quand on sait que j’ai travaillée toute mon enfance pour arriver à entrer ici. Que j’étais la plupart du temps première de mes classes, ou alors dans les cinq favoris. J’ai en quelque sorte tout fait pour avoir le meilleur dossier scolaire possible pour être acceptée. Ce bruit de porte qui s’ouvre et de rire étouffé juste derrière. Je ferme mon cahier avant de le ranger dans mon sac, me levant du siège de mon père, un sourire forcé sur le visage. « Charlène, mon ange que fais-tu ici ? Tu as un problème ? » Le côté chaud de son cœur ne pouvait pas m’échapper, et je courrais presque pour me réfugier dans les bras de l’homme qui m’avait suivit tout au long de ma vie. Je n’avais pas envie de l’alerter, mais j’avais encore moins envie de lui cacher la vérité. « Tout va bien papa, je voulais juste manger avec toi aujourd’hui, partager un peu de temps ensemble, c’est tout. » Menteuse. Je n’allais pas bien, je le savais. Surtout à cause du petit-déjeuner que j’avais pris. Autant dire que deux verres de whisky avec une brioche au chocolat n’était pas des plus consistant. Mais en même temps, si lui avouer ma débauche voulait aussi dire que toute cette confiance allait disparaître, je ne le voulais pas. Je voulais qu’il me regarde toujours comme ça petite fille, qu’il soit le père aimant et fière de son enfant jusqu’à la fin de sa vie. Et même si pour ça, je devais me noyer dans l’alcool en priant pour me réveiller le lendemain matin. « En route alors mon cœur. »  Que la comédie commence, et que les règles soient mise en pratique. Si vous voulez savoir, je n’ai jamais envoyé cette énième lettre à ma grand mère. Ça marchait comme ça avec moi après tout. J’écrivais, je froissais, je jetais. Règle numéro une, ne montre jamais tes faiblesses à l’ennemi.