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JE SUIS LE MÉTRONHOMME.
« Celui qui s'empare de ce truc appelé musique et qui l'aligne sur ce truc appellé temps. Je suis le tic-tac. Je suis le pouls. La moindre seconde de ce moment. »
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T'entends ce truc qui pulse ? Qui monte, qui grandis en toi, qui t'bouffe ? C'est la musique. Tu la r'ssens cette sensation ? Celle du délicieux coup de poing dans le ventre, à chaque riff de guitare. Cette sensation d'euphorie totale, à chaque solo de batterie. C'est la musique. Qui pulse. Pulse. Pulse moi en moi. Pulse en nous. Elle me transperce. Me transcende. Elle me fait vibrer, m'envoler. T'entends le rythme ? Tu ressens l'tempo ? Ton corps bouge tout seul, mué par une force mystérieuse. Tu as envie de danser. D'accompagner le rythme. De devenir le rythme. Tout ça c'est la musique. Et moi je suis au milieu de tout ça. De cette force qui se déchaîne, et qui nous emporte tous dans une vague de l'incontrôlable. Je contrôle le rythme. Je suis le gardien. Celui qui veille à ce qu'on respecte l'ordre établi. Le bordel a besoin d'organisation pour être harmonieux. J'me sens puissant. Moi, sur la scène. Surplombant la foule déchaînée. Mes doigts contrôlent leurs humeurs. Un simple ralentissement, et tout s'écroule. La musique, s'infiltre dans mes veines. Me parcoure de l'intérieur. Je saute, je hurle dans le micro. Des paroles que j'invente au fur et à mesure. Rythme. Batterie. Basse. Guitare. Clavier. Bordel organisé. Ondes sonores qui me crèvent. Me mettent à nu. Me saignent à blanc. Je me donne à fond. Je balance mes tripes, elles s'envolent en notes. En musique. Je suis bien, je me vide la tête. Tout est meilleur, tout est amplifié avec la musique. Je colore le temps avec ma mélodie imprévisible. Puis je l'aperçois. Et je me désagrège. Je trébuche sur les notes. Je ne suis plus le pilier. Les autres ont perdu le rythme. Mon chanteur a pété un câble et a arraché sa chemise. Mon guitariste va un peu plus vite qu'il ne le devrait. J'essaye de les rattraper. De restructurer tout ça. Mais je ne peux pas. Ses prunelles dorées sont posées sur moi. Et ses mains sur les hanches d'une autre. Une pouffe, ramassé dans un bar sordide. Sans doute. Il l'embrasse, passionnément. Et je le jure, il me regarde. Comme pour me faire plus mal. Et là, je n'ai qu'une envie. C'est de lui reprendre toute la musique. Et de ne lui laisser que le silence. Il ne mérite pas ce don, cette offrande que sont les notes. Il faut que je me ressaisisse. Un énième gémissement à la Ramone de mon chanteur me perce les tympans. Il faut stopper ça. Je me lance dans un solo de basse. J'y met toute mon âme. Tout mon cœur. Je veux qu'il soit mémorable. Qu'Il comprenne qu'il aura beau m'ôter ma fierté, mon amour ou mon bonheur, il ne m'enlèvera jamais la musique. Un silence appréciateur règne sur la foule. C'était le dernier solo. C'était la fin. Puis la foule crée à son tour son propre vacarme, et nous abreuvent d'applaudissements. Je n'ai même pas le cœur à me réjouir. Je commence à ranger les instruments, seul, dos à la foule. J'ai encore l'esprit dans l'Ailleurs. Je me regarde bosser sans réellement y participer. Ce sont juste des gestes mécaniques. C'est toujours moi qui nettoie après les autres. J'ai l'habitude.« Celui qui s'empare de ce truc appelé musique et qui l'aligne sur ce truc appellé temps. Je suis le tic-tac. Je suis le pouls. La moindre seconde de ce moment. »
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Mais être dos à la foule, c'est assez chiant un moment donné. Même si je sais que dos aux autres, je ne le verrais pas. Je ne le croiserais plus. Mais faudra bien que j'y retourne un jour. Faudra bien que je me mêle à la foule. Pitié. J'ai pas envie de revoir ses putains de prunelles dorées, ou je sais très bien que je ne vais pas résister. Que je lui demanderais de me pardonner. De me donner une deuxième chance. Je dirais, retourne avec moi dans la voiture. On suivra la route. Il y a rien de plus beau, rien de plus infini que la Route. Tu t'rappelles ? Tu t'installeras sur la banquette arrière. Je t'écrirais des chansons. Beurk. Si je fais ça un jour, jurez moi de m'euthanasier. La scène est rangé, en attente du prochain groupe. Et moi je n'ai plus rien à faire. Je me tourne vers le bar. J'ai conscience de ne pas réellement passer inaperçu. Mais j'ignore les remarques ou les gens qui m'accostent. Je continue d'avancer. J'ai besoin d'un verre. De deux de même. Adossé sur le bar il y a un mec. Enfin, ils y en a une centaine d'autres. Mais lui se distingue de la foule. Je sais pas si ce sont ses cheveux décolorés et complètement ébouriffés. Ses piercings. Ou encore ses yeux. Qui percent l'obscurité ambiante. J'irais sans doute lui parler, si j'étais quelqu'un d'autre que moi même. Je commande un verre et m'assied sur l'un des rares sièges vides, observant la foule. Puis je le revois. Il ne peut pas feindre la surprise. Il savait foutrement bien que je serais là. Il me lance un sourire et chuchote quelques mots à sa pouffe. Merde. Il s'approche. Panique. Panique. Putain. Son but dans la vie c'est de gâcher la mienne ? Ou est-ce que ça l'amuse simplement ? Voilà pourquoi moi, Isaac, connard notoire et complet désespéré, je me tourne vers monsieur-aux-cheveux-décolorés et lui demande d'un ton implorant :
- Alors oui c'est totalement zarbi, étrange, et je sais que j'ai sans doute l'air d'un psychopathe en puissance. Mais accepterais-tu d'être mon copain pour les cinq prochaine minutes ?
(Invité)