Et alors ? On prendra le bateau.
Tout remontait à la surface, là d’un coup, d’un seul. Si feindre l’indifférence et jouer les murs inébranlables en public était devenu un art que je maîtrisais, ça semblait à cet instant précis complètement hors de mon champ de compétence. Et puis quoi ? Quel mal y avait-il à être sympa un instant ? Quelques secondes de sympathie en contre partie de toutes les horreurs qu’on s’était balancé ici même la dernière fois. Cette fameuse dernière fois qui avait sonné la fin de notre histoire. Je pensais peut être l’être, sympathique, avec ma remarque sur Drew, mais manque de bol, j’avais appuyé pile où il ne fallait pas. Notre ami commun allait mal, était mal. Puis obnubilé par mes propres mésaventures du moment, je n’en avais rien vu. Comme quoi, je n’étais pas qu’un petit ami en carton, j’étais également un pote en carton en prime. Je soufflai de vagues excuses, expliquant que j’allais écrire au prince… Oui, j’allais faire ça. Si pour la partie couple j’étais fichu, je pouvais peut être encore me rattraper et faire mieux pour la partie amitié. J’évoquais ensuite le chaos actuel, l’incendie, le bordel pour reloger tout le monde, les hôtels pris d’assaut… Et ma langue qui fourchait encore quand j’évoquais le mandarin, fourchement noyé dans mon flot de paroles et qu’elle ne releva pas, qu’elle ne remarqua pas même, enfin c’était ce qu’elle en laissa paraître, parce qu’elle enchaina sur le bien que ça ferait à certain de descendre un peu de leur nuage. J’eus un petit rire, lucide, conscient des goûts de luxes et exigences de mes camarades bleus, que je partageais de toute façon, donc que je comprenais. Peut être qu’à moi aussi, ça ferait du bien de redescendre sur terre et de vivre plus piètrement. Je l’écoutai ensuite me raconter être en arrêt, sauf que les étudiants n’ont pas d’arrêt de travail, il n’y avait rien d’éreintant à gratter à son bureau dans un amphi… Alors forcément, ses paroles laissaient sous entendre qu’elle -travaillait- et comme le dernier taf en date que je lui connaissais c’était escort, je lui demandais si elle avait repris. Regard noir et elle me demanda alors sur un ton agressif si elle n’était qu’une pute à mes yeux. « Y’a une brune au caractère bien trempé qui s’est évertuée un jour à m’expliquer la différence entre escorting et prostitution… » Je ne l’avais pas accusée de racoler, je l’avais bien saisi moi, la différence entre son ancien job et le plus vieux métier du monde. Kyla avait fait de la figuration, aux bras de riches esseulés, comme un jolis trophées qu’ils se payaient le temps d’une soirée mais auquel ils n’avaient pas le droit de toucher… Il fut un temps où je l’avais prise pour une pute oui, le premier soir de notre rencontre, cette fois où je l’avais traitée de manière abjecte… Mais depuis, ça avait fait son chemin dans ma tête. Même si lorsqu’on s’était mis ensemble, j’avais insisté sur le fait que je n’aimais pas son job d’escort, que je souhaitais qu’elle le lâche, ça ne m’avait pas empêché de me mettre en couple avec elle, de m’attacher toujours et encore plus, malgré toutes les réticences que son ancien job avaient provoqué chez mes proches. Donc elle reprit ensuite, m’expliquant que non, ce n’était pas à l’escorting qu’elle avait fait référence mais à une formation qu’elle suivait pour… Et elle laissa sa phrase en suspend. Volontairement ou non. Je ne savais pas. Je ne forçais pas ses aveux, intrigué. Me contentant d’assurer : « C’est bien que tu sois en repos alors… Profites-en. » C’était surement ces murs, cet ancien chez nous qui me donnait envie de poser un peu les armes. Ou alors cette idée, qui s’imposait un peu plus chaque seconde en moi, celle que c’était peut être l’une de nos dernières entrevue, qu’on allait ensuite se quitter pour prendre chacun notre chemin ensuite. C’était un peu les adieux calmes et posés qu’on n’avait pas eu que l’on jouait désormais. Alors, lorsqu’elle s’excusa pour tout, je la corrigeai, j’assumais enfin ma part de responsabilité. Me rappelant notre altercation le soir de l’incendie, je repris ses mots d’alors, pour reconnaître que oui je ne m’étais pas battu. Je devrais m’excuser aussi, pourtant je ne le fis pas, lui expliquant que j’étais comme j’étais, avec mes qualités mais aussi mes défauts, qu’elle ne devait pas s’excuser non plus. Nous étions ainsi, nous n’avions pas à être désolés pour ça, ni l’un, ni l’autre… Quand on n’aime, quand on est fait l’un pour l’autre, on ne change pas. On prend l’autre dans son entièreté. Avec ses petites imperfections. Et on s’y fait. Et on finit même par les aimer ses petits travers qui nous agaçaient tant au début. C’était probablement le moment de servir le –on reste amis ?- mais j’y croyais pas, je le voulais pas. Ca allait sonner comme un mensonge. Je ne savais pas si c’était parce que j’étais pas prêt, ou parce que j’en avais pas envie, mais je ne le fis pas et Kyla approuva. La conversation n’était pas close pour autant. On ne serait peut être pas amis, mais on serait au moins des ex intelligents qui arrivent à se parler calmement. J’obtempérai donc, venant m’installer sur les marches près d’elle, écoutant la suite, cette explication que je ne lui avais pas laissé la chance de me livrer le jour de notre rupture. Je voudrais lui dire que j’avais pas envie de raisons de plus de la détester, que je voulais plutôt le secret pour l’oublier, mais je me tus sagement, me contentant de la scruter alors qu’elle poursuivait, m’en confiant davantage sur cette trouble période de sa vie. En fait, c’était me livrer sur un plateau une raison de plus de haïr mon salopard de demi frère. Je serrai les dents, observant bien le trouble que la simple évocation de cette histoire avait le don de faire naître en elle et ça suffit à me faire fulminer intérieurement. Un faible sourire réussit néanmoins à éclairer mon visage lorsque j’appris que ce crétin avait servi de punching-ball à la brune. « J’aurais aimé en faire autant mais j’ai signé une close stupide là… Dans l’alliance avec les Cabots. » Ma manie de signer sans lire. « J’ai pas le droit de m’en prendre physiquement à Wade. » informai-je donc la demoiselle dans un soupir exaspéré avant d’ajouter : « Heureusement que j’ai pas besoin de mes poings pour faire mal. » La douleur et la vengeance passerait par autre chose, d’autre stade. Il me fallait encore trouver lesquels, mais j’allais m’appliquer à faire de la vie de Wade un enfer. Ses confessions aboutirent finalement à la révélation de l’objet de sa formation : FBI, cellule cyber-harcèlement. « Faut que je me désinscrive de youporn tout de suite avant que tu m’y retrouves c’est ça ? » lançai-je alors, sans sérieux, histoire de détendre l’atmosphère devenue un peu pesante, là sur ses marches. Je repris plus sérieusement : « Si ça te plait, que tu t’épanouies dans cette nouvelle voie, c’est bien. Mais fais attention, sois prudente… » Parce que je sentais que le mal être pas loin, il devait être tentant de s’identifier à tous ces jeunes qu’elle ne parvenait pas à sauver, de se voir en eux, de sombrer donc dans la dépression… Kyla reprit ensuite, concluant qu’elle n’avait volontairement pas voulu aborder tout cela avant parce que ça m’aurait rendu dingue. « Peut être… » Peut être que ça nous aurait éloigné à l’époque, à nos débuts… Ou pas. Avec de si… « Pour moi ça comptait, de savoir la vérité. J’aurais aimé que tu me le dises. » Ca m’aurait évité d’être le dernier pélos au courant des agissements de son ex. « J’ai besoin, et j’imagine que tu l’as bien remarqué, d’avoir une confiance infinie dans les personnes qui me sont chères. » J’avais toujours été continuellement déçu par mes proches : mon père en première ligne. Ma sœur qui préférait se ranger du côté de son mec et s’éloigner de moi. Leevy, mon premier grand amour qui avait refusé de s’afficher officiellement comme étant en couple avec moi. Déceptions sur déceptions. Si je respirais une confiance en moi et un égo surdimensionné, au fond, c’était parce que je doutais de tout, de tous. « Cette confiance elle n’existe plus. Ca ne change rien à ce que je ressens pour toi mais je peux pas avancer en me demandant si dans deux jours, on va pas me révéler que t’as couché avec le président mather, ou la vice présidente, ou l’un de mes meilleurs potes tiens. » Ou les trois. Amen.