DONOVAN BIAMONTI ► Ryan Gosling

L’enfance –

Ca commence par le meilleur gynéco, dépassements d’honoraires à la clé, mais ce n’est qu’un détail ça, quand on habite Monaco et qu’on s’appelle Madame Biamonti. Neuf mois plus tard, ça continue avec la clinique privée. Le hochet en or et ruban de soie, cadeau des Grimaldi en personne s’il vous plait, le pyjama griffé baby Dior, les premières Pèpè à 1 an, alors qu’on sait à peine marcher. Et ça s’enchaine. Les nounous trilingues, un poney sur un caprice à 4 ans, les cours de tennis à 6, la première Rolex à 8. Une maserati à 18 ans. Pour fêter son permis, quoi de plus normal. Ma vie n’a toujours été que luxe et abondance. Comme si les présents, comme si l’argent, pouvaient compenser les absences répétées de mon père, président directeur d'une grande société monégasque, parce qu’entre gérer de nombreux actifs dans l'hôtellerie haut de gamme et loisirs qui animaient la principauté, et être un père impliqué dans l’éducation de son fils il faut choisir. C’est peut être ça, aussi, qui m’a poussé à me démarquer de lui, à faire les choix que j’ai fait…

Harvard - 2006

"I am delighted to inform you that the Committee on Admissions has admitted you to the Faculty of Medicine." Harvard. J'avais Harvard. La plus prestigieuse faculté au monde m'ouvrait ses portes. C'était à la fois excitant et effrayant... Quitter mon rocher natal pour les states, pour cette faculté à la renommée sans pareille, ça avait de quoi me faire me faire pousser des ailes. Mon père avait étudié à NY, Columbia, mais mes parents restaient fiers de mon admission. Fier de leur fils. De leur merveille. Celui qu’il avait choyé, pourri gâté, et modelé à leur image. J’ai malgré tout tendance à penser que c’était un peu biaisé, tout ça, que quand on naît Biamonti, avec un compte en banque à en faire baver les banquiers, on part quand même avec une sacrée avance. Cours de piano dès le jeune âge, participant actif au groupe de musique du lycée, riche de mon dossier impeccable, de mes résultats scolaires brillants, merci les cours particuliers payés par papa-maman, riche aussi de mes prouesses prometteuses en sport, dans l'équipe d’aviron notamment, ça et mes notes aux sats, voilà ce qui avait du séduire le jury pourtant exigeant de l'Université.  La médecine c’était un choix controversé. Ma famille avait beau m’encourager, cette orientation les déroutait un peu. Je voulais juste donner un nouveau souffle, un nouveau sens à mon existence. Me persuader que je n’étais pas né que pour dilapider l’argent amassé par cet homme d’affaire talentueux et ce dirigeant hors pair qu’était mon père. Non je voulais donner un autre sens à ma vie : aider, soigner, être utile… Et puis…

La bombe - 2013

Les études de médecine me passionnaient, j’avais ce sentiment d’avoir trouvé ce que je voulais être, ce que je voulais faire, d’avoir enfin ma place quelque part, d’exister autrement que comme un fils d’eux. J’évoluais à la Eliot House, entouré de d’autres gosses de riches comme moi. On se comprenait sur beaucoup de points. J’étais différent à l’époque, plus ouvert, plus épanoui aussi… Et puis il y avait cette fille. Parce qu’après avoir papillonné, je m’étais fait avoir au jeu des sentiments et depuis quelques mois, j’étais officiellement en couple, en voie même de présenter l’heureuse élue à ma famille. Mais il y a eu la bombe et puis tout a basculé…
Tout était sombre d'un coup. Il y avait eu cette énorme déflagration. J'avais eu le sentiment que mes tympans avaient explosés. Mais mon audition revint après quelques minutes de sourdine. Mes oreilles bourdonnaient encore mais je pouvais entendre derrière ces acouphènes les cris paniqués de mes camarades. Mes paupières se rouvrirent. Je remarquais bien que tout me semblait flou, mais sur le moment je ne m'en inquiétais pas. Une partie de la fac venait d'exploser alors l'urgence c'était d'aller aider. Je m'activais, près des blessés, riche de mes connaissances médicales et de mon dernier stage en traumato... C'est quelques jours après. A distance du choc, de l'explosion, quand le son était redevenu normal mais que ma vision restait toujours imparfaite et trouble que je finis par consulter. C'était sûrement temporaire, rien de grave, voilà ce que je ne cessais de me répéter dans la salle où j’attendais pour mon fond d'œil. Lorsque le diagnostic tomba, je ne fis que chuter de plus haut : une maladie génétique, une pathologie rétinienne chronique, j'allais perdre la vue, lentement, doucement, glissant peu à peu dans l'obscurité. Mes parents accusèrent le coup... Ce fut les seuls que je mis au courant d’ailleurs… Mais le courrier du médecin tomba entre ses mains à elle. « Tu… Tu vas perdre la vue c’est ça ? » me demanda ma petite amie en détaillant le compte rendu qu’elle avait du trouver par hasard sur mon bureau. Je lui repris des mains sèchement. « Je ne veux pas en parler. Je ne veux plus en parler. Jamais. T’oublies ça. » répliquai-je sur un ton autoritaire. Mais rien n’était plus pareil. Si mes yeux à moi avaient retrouvé leur acuité, pour mieux la perdre plus tard avec le temps, les siens avaient cessé de me regarder de la même façon. « Ça ne va pas être possible Don'... T'es plus le même ces derniers temps, tu ne me parles plus, tu.. » Je n'entendais même plus la suite de ses mots. Regard blasé, air absent, je la regardais sans la voir en me demandant à quel moment j'avais cru que c'était elle la bonne ? On ne m'y prendra plus à ce jeu là. Elle me larguait parce que j’étais malade, parce qu’elle connaissait l’issue, qu’elle savait que j’allais finir aveugle… Voilà pourquoi il ne fallait pas le dire, à personne, jamais. Je redressai le menton, un air fier, un regard froid, et je laissai un petit rire s'échapper de mes lèvres. L'indifférence était la réponse et ça fonctionna parce qu'elle me lança un regard surpris par ma réaction. « Tu pensais que j'allais faire quoi ? Pleurer ? » Déception pour elle. Amusement amer pour moi. C'est ma façon de réagir, de me protéger, je me braquais, je me renfermais, je me cachais derrière ma carapace. Et ce n’était que le début.

Aujourd’hui – 2016

Quatrième année en droit et en compta. Parce qu’à quoi bon aspirer à devenir doc, puisqu’un jour j’allais perdre le sens indispensable pour venir en aide à mes patients, poser les bons diagnostiques et pouvoir les soigner ? Cette réorientation m’avait changé. Je n’étais plus eliot, je ne fréquentais plus les mêmes amis. Plus renfermés, plus froid, plus distant. Cet air grave toujours sur le visage. Il restait bien quelques privilégiés, de rares personnes qui comptaient… Et puis, je devais renoncer à la conduite sportive, qui me passionnait pourtant depuis mon plus jeune âge. Les rallyes, les courses, l’adrénaline des circuits, voilà ce à quoi je devais renoncer. Adieu le volant et bonjour les blouses blanches. J'avais laissé la mienne aux vestiaires mais je n'en avais pas fini avec le monde médical. Rendez vous après rendez vous, mes parents avaient insisté pour que je vois les meilleurs spécialistes américains, leur verdict était toujours le même pourtant. Je finis par tous les envoyer bouler, en plein déni, séchant mes consultations et examens, réduisant au maximum le port pourtant recommandé des loupes qu’ils m’avaient prescrites. Si il me restait vraiment que quelques années pour voir, je voulais les régaler mes rétines. Et pas avec la face grave et la mine décomposée de ces doc'.

Je veux tout voir, je ne veux rien rater, et surtout pas cette jolie rousse là, qui tapait comme une acharnée sur son sac de boxe, à en perdre haleine… Je l’observais de loin, elle ne m’avait pas vu encore. C’est dans de tel moment que ma gorge se serrait. Parce que je me disais que j’allais devoir me passer de telle vision ensuite. Ses cheveux fauves qui suivaient ses gestes dans un mouvement fluide, ses petits points gantés qui s’écrasaient avec énergie sur le punching ball, cette expression indescriptible sur son visage. Cette beauté qu’elle émanait… Elle avait quelque chose cette fille. Je ne saurais dire quoi mais elle m’avait ferré, je n’arrivais plus à détacher mes prunelles d’elle. Et lorsqu’à bout de souffle, elle s’écroula, je m’approchai presque naturellement pour la prendre dans mes bras, où elle s’assoupit presqu’aussitôt, juste après m’avoir soufflé son prénom. Et voilà, maintenant il y avait Millie dans ma vie, et tout cela risquait de se compliquer davantage…

La vérité c’était que j’étais dans une ambivalence complète : oscillant entre la rage de vivre, de profiter, de tout voir, de tout découvrir, avant le noir complet. Et le désespoir anticipé de cette obscurité qui m’attendait, prenant conscience à chaque merveille éblouissant mes prunelles de ce que j’allais manquer, plus tard, lorsque ces dernières seraient défaillantes…