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J'aime plus les gens depuis que je t'ai vu.
Je me réveille encore. Comme toujours, face à ces machines qui détonent. A cette courbe uniforme, comme si nos cœurs ne pouvaient battre que d’une seule manière. Comme s’il était possible de dessiner leurs virtuosités. Comme toujours, c’est douloureux. Comme toujours, c’est angoissant. Ça me tire de part en part, j’ai mal au pectoral et j’crois que la cicatrisation est encore plus douloureuse que l’impact de balle elle-même. Je n’arrive pas à bouger. Quelques minutes, je reste là, figé, les yeux dans le vide, à essayer tant bien que mal de faire redescendre mon esprit. Mais il ne redescend pas mon esprit. Je me sens loin, tellement loin. Comme si je regardais un rêve ou un film de loin. J’entends les bruits, je vois les visages, mais il me faut toujours beaucoup de temps pour réaliser que c’est palpable que c’est effectivement face à moi. Mes yeux s’habillent de larmes comme à chaque fois. Depuis le 26 septembre, je revis sans arrêt le supplice d’une nouvelle naissance. Comme un nouveau-né qui hurle à l’intérieur, et toujours cette même et affreuse douleur qui me tord de le ventre. Je suis plat, fade, sans saveur. Terne et morne. Je ne m’agite pas parce que je n’y trouve pas d’intérêt. Bien sure, certaines de mes visites m’ont réconforté, d’autres m’ont laissé de marbre et indifférent. J’ai la sensation atroce d’être toujours dans l’attente de quelque chose que je ne devine pas, que je ne définis pas. La chambre est plongée dans le noir, il n’y a que le néon au dessus de mon lit et les lumières des machines qui l’éclairent. Je ne sais pas quelle heure il est, je ne sais même pas quel jour on est. J’ai mal au bras, je crois qu’ils ont planté l’aiguille de travers, à peine je bouge, que je sens des picotements électriques. Pourtant, quand je semble revenir à moi, quand je prends un peu plus conscience de tout ça, du fait que ce soit vrai et pas seulement imaginé, mes sens remarquent une présence. Je ne saurais pas tellement l’expliquer, c’est comme si tout à coup, ils se retrouvaient connectés, en pleine possession d’eux-mêmes. Tant bien que mal je me tourne dans ce lit, grimaçant à la douleur dans le bras, à celle dans ma cuisse, à celle sur mon torse. Je me laisse tomber sur l’oreiller, je n’arrive plus à bouger. Et là-bas, dans le coin, je la vois. Elle. Gabrielle. Je mets du temps à réussir à penser, me délectant de son visage assoupi, de son corps recroquevillé. Je la regarde et j’ai ce pincement au cœur. Je m’en veux de lui infliger ça, je m’en veux de la savoir en mauvais état. Dans le sens inverse, si ça avait été elle sur ce lit d’hôpital, j’crois que j’me serais jeté par la fenêtre. Gabrielle est plus forte que moi, je l’admire pour ça. Une main fébrile grimpe à mon visage pour l’essuyer, je la regarde encore, comme si elle était la plus belle chose que je n’avais jamais contemplée. Plus belle encore que la légèreté que m’avait procuré ce coma. C’est elle que j’attendais. C’est elle que je voulais voir. C’est elle qui me manquait, voilà, je le comprends enfin. Un sourire timide et mélancolique s’esquisse à la commissure de mes lèvres. Je voudrais la réveiller, lui dire que j’suis réveillé. Y a mon téléphone sur ma table de chevet, mais il me semble hors d’atteinte. Pourtant, c’est le seul moyen que j’ai de la faire venir à moi. Alors tant pis le bras et la douleur, je tire un grand coup, attrape le téléphone, et me relaisse tomber dans le lit, sur le dos, avec des gémissements d’agoniques. J’peux plus bouger le bras gauche, ça me fait atrocement mal. Je refoule cette douleur, je refoule ça, et d’une main j’envoie un texto à Gabrielle. En espérant qu’elle se réveille quand son téléphone se mettra à sonner. Qu’elle me voit là, réveillé, se languissant de la retrouver.
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