BAMBI C. CORLEONESI ► Barbara Palvin

   
   Perdue dans ses pensées, trois ans avant ce jour, Bambi avait rarement possédé une expression aussi triste. Oui, elle se trouvait triste. Non pas seulement car l’avion décollait de l’aéroport de Oslo et qu’elle quittait son pays natal, non. Tout en caressant machinalement son bas ventre, une partie d’elle semblait être morte en même temps que son enfant. Un bébé de deux semaines n’ayant rien demandé à personne, et surtout pas à vivre. Seulement, vivre, il n’en n’aurait jamais l’occasion… difficile de ne pas rejeter la faute sur son géniteur, idiot sans qui la jeune femme n’aurait sûrement jamais fait cette fausse couche. Nouveau soupir. Elle serait sûrement restée des heures perdue dans ses pensées, sans rien ni personne ne puisse l’en déloger, si seulement un ado insupportable n’avait pas décidé de taper du pied contre le dos de son siège. D’ordinaire déjà, Bambi n’était pas réputée pour sa grande patience, ni son manque d’accès colériques… elle s’empara donc de son crayon à papier, se tournant vers le principal concerné et, d’un regard menaçant et armé d’un sourire narquois, énonça : « si tu continues à jouer au con là derrière, regarde ce que je vais te faire… » Et elle brisa en deux le crayon à l’aide de son pouce. Aucun autre mot ne fut prononcé, ni aucun regard échangé. Elle se redressa sur son siège, appelant l’hôtesse pour avoir un whisky bien corsé. Quelque chose lui disait que le voyage serait long, très long…

Son verre en main, Bambi commença à le déguster tandis que son visage d’ordinaire si avenant ne laissait pas transparaître le moindre sourire. Cette donnée n’avait pas échappé à sa voisine de siège, une vieille dame pomponnée et qui sentait bon à cent mètres. « Ne pas être heureuse à votre âge, c’est criminel ! » lança-t-elle à l’attention de la piquante demoiselle, qui tourna aussitôt un visage étonné à son attention. « Le jeune homme derrière vous méritait la soufflante que vous lui avez faite ! Mais vous devriez sourire à la vie maintenant qu’il s’est calmé, n’est-ce pas ? Vous savez… si j’avais pu avoir des enfants, j’aurais voulu avoir une fille aussi belle que vous l’êtes ! » le compliment de cette femme, qui ne connaissait pourtant rien de la future étudiante d’Harvard, parvint à toucher le cœur pourtant meurtri de Bambi. Suffisamment pour lui arracher un sourire ému. « Nan, vous voudriez pas d’un emmerdement comme moi, faites-moi confiance ! Vous savez, pour plaquer un sourire sur ma face, il me faudrait une bonne raison. » Si elle avait la fâcheuse tendance à être directe, elle parvint à se contrôler pour ne pas faire fuir la seule personne lui ayant adressé la parole de façon douce et humaine en dehors des infirmières de l’hôpital, que Bambi avait quitté contre ordre médical. Il s’agissait là de la première vraie conversation sans arrière pensée, sans violence, sans colère qu’elle parvenait à avoir depuis sa violente altercation avec son ex. Son ex… c’était à peine si elle parvenait à penser ce mot lorsqu’elle repensait à tous leurs souvenirs heureux. Tout aurait pu être parfait… si et seulement s’il avait voulu de cet enfant avec elle. Ladite discussion se poursuivit de manière douce, humaine, permettant à la jeune femme de relâcher la pression incroyable se trouvant actuellement sur ses épaules, mais aussi lui donnant la force de supporter le voyage qui la menait vers une toute autre vie. Une nouvelle vie, sa nouvelle vie…

Les heures passèrent à une vitesse phénoménale en compagnie de cette vieille dame, qui ne manqua pas de lui donner son numéro avant de sortir de l’avion. De quoi donner un peu d’espoir à cette nénette pourtant pas facilement désespérée dans le genre. Bambi rangea soigneusement la carte contenant le numéro de sa comparse de fortune, avant de sortir de l’avion à son tour, en vue de récupérer sa valise. En main, elle avait la lettre d’Harvard, lui indiquant qu’elle avait été accepté en première année de médecine avec brio. Les examens d’entrée n’avaient pas été simples, mais cela lui permettrait sûrement de repartir sur de bonnes bases… elle l’espérait. Désormais, il lui faudrait se plonger dans les fêtes et le boulot, les deux en même temps, pour oublier à quel point sa vie sentimentale n’était rien d’autre qu’un immense champ de ruines…