ELIOT LLEWELLYN ► felix bujo

The truth is you don't know what is going to happen tomorrow. Life is a crazy ride, and nothing is guaranteed.

CHILDHOOD ► « Papa t’aime très fort, tu le sais ça mon grand ? » Eliot, cinq ans, pas plus haut que trois pommes, avait acquiescé instinctivement, habitué à cette question, ces déclarations subites de son père, sans jamais s’interroger sur ce surplus d’amour. Eliot avait grandi dans un foyer tout ce qu’il y avait de plus chaleureux, un foyer, bien que modeste, qui ferait envier n’importe quel enfant au monde. Fils unique, Eliot a toujours eu l’attention et tout l’amour possible et inimaginable de la part de ses parents. Amour et attention qu’il leur a toujours bien rendu ; depuis son premier mot prononcé, le jeune homme n’est que la définition de politesse et respect. Ses parents l’ont bien éduqué, l’ont bien entouré dans ce petit quartier modeste parisien dans laquelle ils avaient emménagé un an après sa naissance à Boston. Des petits américains expatriés dans le pays du fromage et de la baguette. Maman lui racontait souvent des histoires de sa petite enfance, au coucher le soir, pour ne pas qu’il oublie ses origines paraît-il. Maman aimait bien les Etats-Unis, Boston, en vraie américaine pure souche et Eliot le voyait dans son regard, son pays, sa famille lui manquait. Il lui avait demandé souvent : « Maman, pourquoi on est venu vivre en France avec papa ? », réellement intrigué, curieux, parce qu’Eliot était la définition même de la curiosité. Mais maman ne répondait jamais, se contentait de hausser les épaules, et lui embrassait le front. Le bisou magique comme elle l’appelait si bien. Aussi efficace qu’un somnifère, Eliot s’endormait toujours paisiblement trois minutes et dix-sept secondes suite au bisou magique, pensant à son lendemain à l’école avec ses petits copains, à sa maman, toujours à la maison pour l’attendre que ce soit au lever ou au coucher, et à son papa, toujours aussi abrupt d’amour, de câlins et de tendresses. Eliot Llewellyn vivait une vie modeste, oui, dans un quartier populaire parisien où l’intégrité des voisins laissait à désirer et où leurs repas se composaient de pâtes, midi et soir, mais quand bien même Eliot menait une vie moyenne et peu désireuse, il était heureux, et était aimé, plus que tout. Et rien ne vaut plus que l’amour d’un père et d’une mère.

JUNE 2006 ► Le problème en général dans toutes les vies trop calmes et trop paisibles, c’est que le calme et le paisible ne durent jamais. 24 juin 2006. Chacun a un date marquante dans l’histoire de sa vie, vous savez, une date à graver au fer rouge sur votre tombe pour vous rappeler à quel point la vie n’est rien qu’une, pardonnez-moi de l’expression, chienne. 24 juin 2006. C’était sa date, à Eliot. Le jour où tout a basculé. Excusez-moi de l’utilisation de cette phrase plus que stéréotypé, réutilisée et usée, mais aucune phrase ne peut mieux décrire cette journée en Enfer, où, vraiment, tout a basculé. Il avait quinze ans. L’appel. L’accident. L’hôpital. L’attente. Le verdict. Tout était allé si vite et si brutalement qu’Eliot n’en a, aujourd’hui encore, que des vagues souvenirs. Des paroles qui résonnent, des gestes flous qui reviennent en mémoire, des « Je suis désolé » qui ne cessent de se répéter, un seul mot lui avait explosé à la figure comme si on lui avait jeté une bombe ou de l’acide : « fini ». « Je suis désolé, tout est fini. » Vous savez cette belle phrase que les médecins avaient le don de vous sortir au moment fatidique, ‘belle phrase’ parce que ‘fini’ n’était qu’un euphémisme, ils avaient le don de tout minimiser, tout faire paraître comme si ce n’était que la fin d’une aventure et qu’une autre commencerait demain. Pour eux. Mais non bordel, ils étaient morts. Pas finis, morts. Juste morts, archi morts. Et Eliot avait envie de crier à plein poumons sa colère, sa rage, sa peine, sa douleur, tout ce qui le rongeait au fond de ses entrailles. Ce n’était pas juste de faire vivre ça à un enfant de quinze ans vous savez. A un enfant tout court. A un bon enfant, qui plus est. Souvent il se disait que c’était sa faute. Sa faute s’ils ne faisaient plus partis de ce monde – pardon, morts. Ses parents étaient morts et il culpabilisait, de ne pas avoir été en voiture avec eux, d’être allé à l’école, d’avoir mené sa petite vie tranquille de collégien pendant que ses parents subissaient le pire sort qu’on puisse jeter à un être vivant. C’est normal de ressentir ça, paraît-il, c’est ce que le médecin lui avait prédit : « Ne te sens pas coupable petit, ce n’est pas ta faute. » Non, c’était aussi peut-être la vôtre. Incapable de faire votre job et sauver mes parents. Sales abrutis. Eliot était en colère, il n’avait jamais été aussi en colère. Contre tout, contre lui-même, contre les médecins, contre la porte automatique de l’hôpital, contre la secrétaire idiote et immonde de l’hôpital, contre l’hôpital, contre la voiture, contre leur voiture et leurs foutus freins incapables également de faire leur foutu boulot à la con, contre la vie. Alors il était parti. Il avait tout quitté, et était parti. Rien ne le retenait dans ce quartier à part ses parents, vous savez, et maintenant que sa seule raison de rester stable et vivre bien lui avait été arraché, à quoi bon s’acharner ?


HARVARD, 2016 ► « Je te rappelle ce soir, le cours de droit international m’attend. » Papa. Il se retenait toujours de prononcer ces deux syllabes, ce mot. Non, en réalité, il ne se retenait pas, il se l’interdisait. Cet homme, ô combien il l’aimait et il était proche, n’était que son père. Son papa était mort dix ans auparavant, celui qui l’avait élevé, changé les couches, apprit à parler etc. Son papa était celui dont il avait hérité le nom et dont il portait fièrement. Son papa était Calvin Llewellyn, et non Victor Campbell. Lui, était son géniteur. Toute la différence résidait là. Eliot a mis du temps, beaucoup de temps pour avaler et digérer la nouvelle ; nouvelle qu’on lui avait desservi une semaine après la mort de ses parents, suite à l’autopsie et à des foutus tests ADN dont il avait même ignoré l’existence. Mais les faits avaient été là, et il ne pouvait pas le nier, ni le réfuter mais juste accepter. Il en a mis du temps, mais au final, l’étape de l’acceptation est là, il a appris à balancer correctement entre son papa et son père. Et entre sa nouvelle vie et son ancienne. Car l’identité de son père n’était pas la seule conséquence et suite de la mort de ses parents : sa vie de vagabond suite à son départ brusque et rebelle de son chez-soi parisien l’avait mené à cette femme russe qui puait à des kilomètres l’opulence et la richesse qui, l’avait amené avec elle, en Russie. Histoire sordide et totalement irréaliste racontée comme ça en deux mots mais synthétiquement, tout était là. Elle avait décidé de se charger de ce pauvre enfant orphelin, vagabondant dans toute la France, paumé, sans aucun but précis. Il venait d’apprendre pour son père lorsqu’il l’avait rencontré, il était désespéré et elle était gentille. Il l’avait suivie, sans plus poser de questions, et il n’avait jamais regretté. Sa vie aujourd’hui, il la doit à cette femme, son entrée à Harvard il y a six ans, ses voyages humanitaires, sa vie en tant que nouveau riche. Harvard qu’il chérissait tant, Harvard qui allait lui procurait un avenir sûr et certain, avenir dont ses parents seraient tellement fiers, il le sait, Harvard qu’il considérait comme sa propre maison avec ses frères de confréries. Harvard, grâce à cette rencontre. Rencontre qui n’était qu’un coup de chance, mais quelle putain de coup de chance. « Oh et attends Victor, comment va, hum, Athéna ? » Oh, autre petit détail également : la découverte de Victor venait avec une autre découverte parce qu’un train peut en cacher un autre, vous savez, et elle s’appelait Athéna Campbell cette découverte. Sa, hum, demi-sœur. Qui lui refusait toute approche et tout contact. Athéna, Athanaël. Il lui avait demandé à Victor si c’était une coïncidence, et pourquoi sa réponse l’avait étonné, il ne le savait pas, mais non, ce n’était pas une coïncidence. A croire que c’était une lubie chez les parents de donner à leurs enfants filles et garçons le même prénom version fille/garçon. Pour quoi ? Créer un lien ? Oups, loupé. Athéna ne voulait rien à voir avec lui. Même des années après, il se contentait de demander simplement des nouvelles d’elle à Victor, même s’il la croisait sur le campus, à peu près tous les jours. Eliot voulait la connaître, il était curieux et avide de nouvelles connaissances, toujours, et il était persuadé qu’ils s’entendraient plus que bien avec Athéna, il se voyait déjà jouer le grand frère protecteur et taquin. Il se voyait déjà avoir une grande complicité avec elle, mais faudrait-il déjà qu’elle lui autorise à l’approcher au moins de dix mètres d’elle. « Elle va bien, je pense. » Eliot acquiesça, ne préférant pas pousser la chose. Un jour, il saura directement de lui-même si elle va réellement bien, il se le garantit. « Bon je te laisse vraiment, je vais être en retard en cours, salut ! » Il avait tout le temps du monde après tout dorénavant, de la connaître, et selon lui, avait déjà vécu la pire des choses que la vie pouvait lui balancer alias la mort de ses parents donc rien ne pouvait être pire dorénavant. Rien.