Je n'en pouvais plus. Je n'en pouvais vraiment, vraiment plus. Les larmes coulaient de plus en plus le long de mes joues et le sang qui circulait à travers mes veines me faisait me sentir encore plus coupable d'exister. Je n'avais jamais été trahie, démolie, humiliée et anéantie comme je l'ai été il y a un an et demi. Jamais. Je n'en pouvais plus de cette vie, de cette famille, de ces gens qui prétendaient être tous innocents alors qu'au fond ils ne valaient pas mieux que des traitres. Je ne voulais que vivre ma vie, la mienne. Je n'ai jamais voulu faire ce qui ne me plaisait pas et ce n'était pas une question de rébellion ou par principe de jeune femme voulant un peu plus d'autonomie. Je ne voulais plus être la propriété de personne, le pantin qu'on bouge à sa guise et auquel on fait faire toutes sortes de choses. Cela me prit vingt cinq ans pour m'en rendre compte. Vingt cinq années à fermer les yeux, croyant que la vie devait être ainsi. Ce n'est qu'il y a un an et demi que je me suis rendue compte que tout ça, toute cette merde n'arrivait qu'à une seule personne... Moi.
CHAPITRE UN
J'ai grandit dans la famille la plus grande de Bombay, en Inde. Si Khedekar ne vous dit rien, c'est sans doute parce que vous êtes illettrés ou que vous ne savez pas reconnaître la beauté qui nous est donné dès la naissance. Je n'avais rien pour me plaindre, lorsque j'étais jeune. J'avais de beaux parents aimants, charmants et toujours à l'écoute de nos besoins. J'avais des frères et des soeurs en qui je pouvais avoir confiance et avec qui j'adorais jouer à la poupée ou aux petits camions rouge pompier. Nous étions nombreux, sous le toit de notre belle villa. Toujours de bonne humeur, mes parents préparaient le repas du soir avec amour et dévouement. On se mettait tous à table et on récitait les prières avant de prendre la première bouchée de notre assiette. Que de bons souvenirs, je dois être honnête. Sauf que ça me déchire le coeur de savoir que tout cela n'était qu'une façade, qu'un bien-paraître et qu'au fond, aucun d'entre eux n'acceptaient réellement qui je suis. Quand j'étais enfant, je ne me souciais pas de leurs regards. Je préférais passer mon temps à jouer, à danser et à chanter plutôt qu'à porter jugement sur ceux en qui je pensais pouvoir avoir confiance. Pourtant, même si j'étais déjà le petit mouton noir de la grande famille Khedekar, mes parents ne m'ont jamais laissés à part, m'offrant toujours la même éducation et le même respect que tous les autres membres de la famille. J'ai eu droit à l'éducation dans un collège privé pour toutes mes études à la petite école. Ils m'ont aussi inscrit à des cours de danse, des cours de chant et des cours d'arts plastiques, voyant très bien de leur propre yeux que j'avais ce talent inné. C'était parfait… ou du moins, c'est ce que je croyais…
CHAPITRE DEUX
Les choses ont commencées à être plus difficiles et différentes une fois l'âge des quatorze ans atteint. J'avais l'impression d'être à part d'eux, ne plus me mêler aussi bien à la masse. Mes frères et mes soeurs me regardaient d'une façon étrange et j'ignorais pourquoi. Peut-être était-ce parce que j'étais la seule de toute la famille à avoir un si grand talent ? Depuis mes cinq ans, je suivais des cours privés de danse, de chant et d'art dramatique, mais d'entre tous ces cours, ceux que je préférais le plus était le chant. J'adorais m'enfermer dans ma chambre, les écouteurs sur les oreilles et chanter jusqu'à m'époumoner. Je me passionnais, littéralement, pour cet art. Peut-être que mes parents n'avaient pas envisagés que je préférais faire ça de ma vie plutôt que d'être avocate, médecin ou secrétaire de bureau. Quand j'étais jeune, je ne cessais de répéter que je souhaitais devenir la chanteuse la plus renommée d'Inde tout entier. Ils me trouvaient très drôle et m'encourageaient, mais je pense que c'est uniquement parce qu'il croyait que ce rêve n'était qu'une rêverie d'enfant et qu'il partirait avec le temps alors que ce ne fut pas du tout le cas. Pour le moment, je ne me souciais pas de ce qu'ils pouvaient penser. J'étais encore bien jeune et j'aurais sans doute le temps de remettre ce rêve en question pour trouver un plan de carrière un peu plus stable. Comme ma grand-mère me disait toujours, il ne faut pas confondre passion et réalité. Quoi qu'il en soit, nous faisions toujours la petite prière avant les repas et on se serrait tous les coudes dans les moments les plus difficiles. Mes soeurs commençaient à ramener des copains à la maison et mes frères finirent par se marier peu à peu. Je me souviens que le premier mariage auquel j'eus assisté fut celui de mon grand frère, alors que j'étais âgée de seulement quinze ans et lui de dix neuf. La coutume voulant que les jeunes hommes se marient tôt pour ainsi commencer à gagner leur pain et fonder une famille. Nous allions tous y passer avant le cap des vingt ans, c'était certain... Je continuais mes études au lycée privé de Bombay et j'avais de bonnes notes, faisant la joie de mes parents. Tout allait pour le mieux, mis à part le fait que je souhaitais encore à cette époque devenir une grande chanteuse.
CHAPITRE TROIS
Dix sept ans. L'âge où nous commençons tout juste à vivre la vie que nous souhaitions. J'étais une étudiante modèle, ayant des notes extraordinaires et adorée de tous les professeurs. Non seulement j'avais la cote, mais j'étais aussi très belle. On a tendance à croire que les intellectuels ne sont pas attrayants et qu'ils ressemblent à Katy Perry dans son clip Last Friday Night, alors qu'au fond ce n'est pas du tout le cas. J'ai toujours fait très attention à mon image. Étant donné que je fais partie de la famille Khedekar, je me devais d'être jolie et toujours à la hauteur de tous les évènements publics ou quotidiens auxquels ont assistaient. Mes parents, surtout ma mère, ne me permettaient pas de sortir si je n'étais pas habillée convenablement. Au moins, pour eux, le mot « convenable » voulait dire être ne pas en montrer trop. Je devais donc porter ces longues robes colorés, ces bijoux pendants aux oreilles ou au nez, ces voiles qui nous masquait une partie du visage... Malgré cela, j'arrivais à me donner un style sobre, classique qui se démarquait de la masse –même si ma mère parfois avait de la misère à me faire sortir ainsi. J'avais la réputation que toutes les filles rêvaient d'avoir : j'étais reconnue pour ma beauté naturelle, mon incroyable voix et pour mon intelligence. Je n'étais pas perçue comme la traînée de l'école ou comme la petite fille de riche qui se croit tout avoir. Ce que j'ai, je l'ai mérité. Les amies que j'avais réussit à me faire étaient, pour la plupart, toutes fidèles et très enrichissantes pour moi. Sincèrement, je ne pouvais demander mieux. On avait du plaisir à parler des mecs en cachette, à réviser, à se faire des soirées cinémas... Je me souviens du visage de chacune d'elles et de tout ce qu'elles représentaient pour moi. Parfois je me sens mal d'avoir pris la poudre d'escampette et je voudrais retourner auprès d'elles, car j'ai vraiment l'impression qu'elles sont les seules à ne jamais m'avoir jugées et à ne jamais m'avoir trahit. Je vous entends déjà me dire : « Ah, mais Daya... Tu n'avais pas de petit-copain, alors ? » Il est justement là, le problème... C'est à partir de là, de ce moment, de ce point fatidique que tout c'est mis à mal tourner et que le sol se déroba sous mes pieds. Je n'ai jamais, jamais ressenti le grand amour. Bon... enfin, peut-être un seul, mais ce n'était pas grand chose. Juste un flirt de lycéenne qui se demande à quoi ça ressemble d'embrasser un mec sur la bouche plutôt que sur la joue. Par contre... J'ai toujours ressenti cette petite étincelle, cette petite flamme, ce petit chicotement dans le bas ventre à la vue d'une femme. Quand mon frère s'est marié, je me souviens du moment exact où j'ai vu sa femme dans sa belle robe blanche. Elle était tout simplement magnifique. Merveilleuse, même. J'ignorais pourquoi, à ce moment-là, mais j'aurais vraiment voulu être avec elle, à la place de mon frère. Ce fut, je le pense, ma première attirance physique envers une personne du même sexe que moi. Ou du moins, la première fois que je me permis de la ressentir. Puis, ce ne fut pas la dernière, au contraire. À mes seize ans, je me souviens du moment où l'une de mes amies et moi avions fait une soirée pyjama chez elle. Nous étions que toutes les deux et nous avions passé la soirée à écouter des films et manger des sucreries. Une fois les lumières éteintes, les deux couchées dans le même lit comme on avait l'habitude de le faire depuis toute jeune, c'est là que ma première expérience homosexuelle se passa. Seize ans. C'est assez tard, je dois admettre, mais je n'ai jamais eu besoin d'expérimenter les choses pour savoir si j'allais ou pas aimer. Je le savais au plus profond de moi… Alors je savais. À 17 ans, je savais que j'étais homosexuelle et que ce serait toute une difficulté pour moi de le faire comprendre à mes parents. Vous savez, les familles typiquement indiennes qui sont très croyantes et à cheval sur leurs principes ? En même temps, même si je redoutais ce moment, j'étais fière de moi. Fière de savoir un peu plus qui j'étais et de mieux me comprendre. Je n'eus pas de mal à l'accepter, moi-même. J'adorais me balader main dans la main avec ma fameuse « première expérience ». Je n'avais aucune gêne face à cela et j'étais encore moins coincée étant donné que j'allais dans un collège différent de celui de mes autres frères et sœurs. J'avais vraiment tout pour moi, à cet âge-là. Tout. Exactement tout ce dont je pouvais rêver... Mais j'ai été naïve de croire que mes parents me laisseraient vivre cette vie.
CHAPITRE QUATRE
Étant donné que je souhaitais pleinement m'afficher comme étant lesbienne, je devais obligatoirement passer par la case « parents et famille ». Le première était donc d'en parler calmement à mes parents, mes frères et mes sœurs. C'est donc un soir d'août que je me décidai d'avouer mes torts, en plein milieu du repas de famille. Je me souviendrai toujours des yeux de ma mère, du visage de mon père, des rires de ma soeur, du regard de mon frère et des moqueries qui s'en suivirent. Première fois de ma vie où les choses ne se passaient pas comme je l'aurais souhaité. Bouleversée, j'avais quitter la table et j'étais montée directement à l'étage. Je m'attendais à quoi ? Qu'ils m'applaudissent en scandant mon nom comme si j'allais devenir leur dieu ? C'est à ce moment que tout dégénéra. Ma mère m'ignorait, mon père me regardait à peine, sans parler de mes frères et soeurs. Et le pire se produisit. Moi qui n'avait jamais souffert, moi qui n'avait jamais rien vécut de mauvais... Mon père entra dans ma chambre, un soir où tout le reste de la famille était partie pour un concert. Il me frappa une première fois au visage. Assez pour que mon nez se mette à saigner. Je m'en souviens comme si c'était hier, alors que ça fait presque cinq ans. La première gifle, la première insulte. On s'en souvient toujours, laissez-moi vous dire. Et il me débarrassa de ma grande robe dorée, de mes bijoux… Il ne me regardait à peine, mais on pouvait facilement sentir la rage. Il dégrafa mon soutien-gorge et y passa ses mains, le regard sévère et plein de mépris, comme s'il me regardait de cent pieds plus haut... Il m'enleva ma culotte, me couchant sur le dos. Me forçant à me coucher. M'obligeant. Et c'est à ce moment que je compris qu'il n'arrêterait pas; qu'il irait plus loin. Son père, son paternel, ce visage qu'elle a toujours chérit... Je ne voulais plus vivre, à ce moment précis. Je ne voulais plus ouvrir les yeux, je ne voulais plus... Quelques instants plus tard et après une bonne douzaines de fessées, il finit par partir, me laissant nu, la porte ouverte, devant mes frères et sœurs, maintenant revenus à la maison, qui passaient devant la chambre pour m'humilier davantage. Mes parents annulèrent ma dernière année au collège et me privèrent des cours de chant que je prenais depuis toute petite. Ils m'emprisonnèrent dans cette immense maison qui me semblait si soudainement étrangère. Quelques semaines plus tard, ma mère entra dans ma chambre et m'ordonna de me vêtir convenablement. Je m'exécuta rapidement, par peur qu'elle ne se mette à ma frapper elle aussi. Elle ressortit de la chambre, me laissant seule pour que je puisse m'habiller. Je descendis à la cuisine et j'eus de la difficulté à y croire. Mon père, ma mère, un jeune homme et un prêtre étaient assis autour de la table. Je n'eus même pas besoin de chercher trois secondes pour comprendre ce qui allait se passer. Aussitôt, prise de panique, je remontai les marches, mais mon père m'empoigna par le bras avant que j'ai atteint la quatrième marche. Le pasteur commença à faire son discours, sortant deux feuilles. L'un pour moi, l'une pour l'autre. Je regardais l'homme qui était à côté de moi. Il semblait heureux. Trop heureux. Ma mère prononça une phrase qui me restera toujours gravée en tête. «Harjit… Prends soin de notre fille et passez, je vous pris, une belle nuit de noce ! » Le jeune homme signa les papiers l'air terriblement content tandis que moi je me fis forcé de le faire, les yeux remplis de larmes. Aussitôt les papiers signés, mon père me désigna trois valises dans le coin de la salle à manger. Je partais. Avec lui. Dix huit ans, maintenant. Mes parents auraient toujours une emprise sur moi, même si je fuyais à ce moment précis, ils me rattraperaient et ils m'obligeraient à vivre une vie dont je n'ai pas envie. À quoi bon me battre ?
CHAPITRE CINQ
Vingt trois ans, maintenant. Cinq années que je vivais avec Harjit. Au final, j'avais cessé de combattre et je m'étais soumise à cette vie. Sans doute que le plan de mes parents avaient bien fonctionné. Ils voulaient me convertir, me rendre hétérosexuelle, me faire oublier mes amours du passé pour me faire tomber dans la monotonie d'un mariage arrangé qui, visiblement, ne leur apportait qu'à eux. J'étais devenue une femme au foyer, n'ayant pas eu suffisamment d'éducation pour faire quelque chose de bien. Je savais, par contre, que ce n'\u233 tait pas la faute de mon mari... Il avait été forcé, lui aussi. Et même si je ne l'aimais pas et que lui non plus, on s'entendait assez bien et il arrivait que nous ayons du plaisir ensemble. Sauf qu'il avait toujours l'emprise sur moi et théoriquement, je lui devais tout. On faisait l'amour comme les couples normaux, sauf que moi j'étais forcé de le faire et je pleurais constamment... Aussi, je n'avais plus de nouvelles de mes si charmantes amies. Elles m'ont tourné le dos publiquement alors que je faisais l'épicerie, quelques années plus tôt. Une me traita même de gouine, alors que je n'avais jamais, jamais manqué de respect envers elle. C'est à ce moment que je compris que les gens sont tous hypocrites, peu importe ce qu'ils vous font croire. Le coup de grâce fut quand ma belle, mon amour, ma douce Sabina et moi nous sommes vus pour la dernière fois, il y a environ une semaine. C'est d'ailleurs pour ça que j'ai décidé de partir. Je souhaitais partir avec elle, au départ... Alors lors de cette rencontre, je lui avais proposé tout naïvement si elle voulait vivre le rêve américain avec moi, là où on pourrait être heureuses toutes les deux. Elle m'a alors regardé avec les yeux les plus vulgaires du monde et m'a dit « Si tu penses que cela signifiait vraiment quelque chose pour moi, tu te trompes. » Ce fut la goûte qui fit déborder le vase et je décida donc de planifier mon départ pour les USA. Je mis une demie année à faire venir les papiers nécessaires, le visa me permettant de travailler et un autre pour étudier. Je dû mettre Harjit dans le coup et à force de négociations, il accepta, m'assurant la protection dont j'allais avoir besoin… Ce ne serait pas facile, mais je comptais bien y arriver seule.
CONCLUSION
Je suis arrivée à Boston il y a un an et demi. Je me trouva assez facilement un job dans un restaurant italien. Je pris des cours par correspondance parce que je devais me mettre à niveau –les études en Inde ne sont pas reconnues comme celles des États-Unis… J'ai finalement obtenu mon diplôme qui me permit de faire application à la prestigieuse université d'Harvard. J'avais amené avec moi assez d'argent pour subvenir à une année complète et payer les frais scolaires d'admission, mais je devais continuer à travailler. Harjit allait au moins payer mon loyer tous les mois, il avait promis, à condition que je retourne en Inde trois fois par année. En septembre 2016, je pus donc débuter mes études supérieures en criminologie et en chant. Parce que oui, au fil du temps j'avais développé une passion nouvelle pour les crimes. Finalement, Je souhaite qu'on m'accepte pour qui je suis et pour ce que je suis plutôt que de me forcer à vivre une vie qui n'est pas la mienne. }